PSYCHIATRIE
RÉFLEXION
Pour le Dr Catherine Paulet, le champ de la psychiatrie doit se recentrer sur la prise en charge des malades mentaux les plus difficiles, stigmatisés et quelque peu abandonnéspar notre société.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : On entend souvent que la psychiatrie est en crise, par manque de moyens. Qu’en pensez-vous ?
CATHERINE PAULET : Certes, en quelques années, la moitié des lits d’hospitalisation en psychiatrie ont été fermés, et cela n’a pas été compensé par l’ouverture de structures alternatives équivalentes en terme de places. Mais, à mon avis, le manque de moyens n’est pas le principal problème. C’est, avant tout, une crise de sens qui frappe la psychiatrie. On assiste à une extension de ses compétences vers le champ de la santé mentale, à savoir tout ce qui contribue au bien-être des personnes… On ne peut qu’observer une banalisation du recours à la psychiatrie vue comme une aide à la souffrance humaine. La file active des secteurs de psychiatrie est de l’ordre de 1,2 million de patients, soit une augmentation de près de 75 % en une vingtaine d’années… En clair, 1,2 million de Français consultent un psychiatre au moins une fois par an, à l’hôpital ou dans un CMP (centre médico-psychologique). C’est beaucoup. Une confusion s’est opérée entre la psychiatrie et la psychologie, d’une part, et l’approche relationnelle, d’autre part, qui est indispensable en cas de drame, de deuil, de séparation… Un exemple : si un accident se produit dans une école ou un quartier, on met en place, d’emblée, une cellule psychologique. Le problème est confié à des spécialistes ; la collectivité se décharge de la douleur humaine sur des experts. Or, à mon sens, ces situations pourraient être prises en charge par l’entourage, le médecin traitant, une infirmière, la société en général… La psychiatrie doit suivre, d’abord, les personnes malades ; ensuite, celles en souffrance ; enfin, les personnes en demande (de développement personnel, notamment).
L’I. M. : Qui sont les malades les plus difficiles ?
C. P. : Un nombre important de patients sont atteints de pathologies invalidantes : psychoses schizophréniques, paranoïaques, troubles bipolaires, troubles dépressifs graves, problèmes anxieux majeurs, délires, conduites addictives… Pour ces personnes, qui ont un problème de relation avec elles-mêmes et avec les autres, vivre est particulièrement douloureux. Parmi elles, les plus difficiles à soigner sont celles qui n’ont ni métier, ni domicile, ni soutien familial. J’observe que ces patients sont de plus en plus marginalisés, à la rue, envoyés dans les unités pour malades difficiles (UMD)… ou en prison. Une enquête épidémiologique de 2006 menée par les Prs Rouillon et Falissard montre que 35 % des détenus interrogés étaient manifestement malades et relevaient de soins psychiatriques.
L’I. M. : Ces personnes sont-elles aujourd’hui stigmatisées ?
C. P. : Tout à fait. Ces malades font peur à la société, et ils ont été particulièrement stigmatisés ces dernières années. Les drames, qui interviennent de manière exceptionnelle (meurtres, agressions), sont très médiatisés et suscitent la défiance des citoyens. Le recours aux moyens de contention et aux chambres d’isolement s’est développé : UMD, chambres sécurisées dans les hôpitaux, unités d’hospitalisation sécurisées pour les détenus… Or, ce sont non pas des lieux alternatifs à l’hospitalisation, mais des structures visant à neutraliser le malade. Aujourd’hui, on confond dangerosité criminelle et dangerosité psychiatrique. Cela est dû à la montée inquiétante d’une tendance sécuritaire qui a germé dans notre société. Fondée sur la culture de la peur en général, et de la peur de l’autre en particulier, sur le principe de précaution et du risque zéro, elle est exploitée par les politiciens. Je pense, notamment, à la loi créant les centres de rétention de sûreté.
L’I. M. : Comment les professionnels réagissent-ils ?
C. P. : Les psychiatres et les psychologues acceptent cette extension des missions vers la santé mentale ; par conséquent, ils ont moins de temps pour les malades. Il semble même que ceux-ci fassent peur à la communauté psychiatrique, elle-même touchée par cette culture de la peur, et qui, dès lors, se désinvestit à l’égard de ces patients. La sécurité passe avant tout par l’appartenance à une équipe structurée, pluridisciplinaire, soudée, qui témoigne d’une solidité interne. L’équipe doit être capable de travailler la clinique du sujet, de mettre ses émotions à distance et de repérer les signes avant-coureurs d’un malaise chez le patient.
L’I. M. : Quelle est l’approche psychiatrique qui vous semble la plus pertinente ?
C. P. : Il ne faut pas réduire la maladie à un dysfonctionement cérébral. Je plaide pour une approche globale, bio-psycho-sociale, qui prenne en compte la complexité de chaque être humain, la singularité de son histoire, de son environnement. Cette approche requiert du temps et des moyens en dehors de l’hôpital. L’objectif est de faciliter la réinsertion du patient dans son tissu social et familial, avec un psychiatre de ville, un psychologue, un ergothérapeute, une assistante sociale, dans la logique de partenariat sous-tendant les secteurs de psychiatrie qui fonctionnent bien. À ce jour, malheureusement, les secteurs de psychiatrie ne sont pas déployés partout.
L’I. M. : Quel regard portez-vous sur la formation des soignants ?
C. P. : Je pense aux infirmières. J’étais favorable au diplôme unique polyvalent. Soyons clairs : je ne souhaite pas revenir en arrière. Mais, quand le diplôme unique a été acté, il avait été dit que des spécialisations devraient être créées, notamment en psychiatrie ; or, celle-ci n’a pas vu le jour, car il aurait fallu revaloriser le traitement de ces infirmières… De fait, les infirmières que nous accueillons n’ont souvent aucune connaissance du fait psychiatrique, de l’approche à adopter. Elles ont pourtant un rôle important à jouer, notamment à travers les entretiens infirmiers. Pour cela, il faut une autonomie psychique et relationnelle, qui nécessite une bonne année de formation « sur le tas ». J’estime qu’il faudrait réexaminer le contenu des formations des acteurs de la psychiatrie, les modalités des stages, l’organisation des soins… Le basculement vers le LMD est un moyen de revoir l’approche des différentes théories et la façon dont elles s’articulent avec les stages pratiques. La logique de secteur doit perdurer et rester à taille humaine, avec des moyens suffisants. Nous sommes arrivés à un bon moment pour nous poser des questions essentielles et organiser, par exemple, des états généraux, rassemblant la communauté médicale et les citoyens, avec pour objectif de redéfinir le champ d’action et de compétences de la psychiatrie.
L’I. M. : Que préconisez-vous pour améliorer la prise en charge des malades les plus difficiles ?
C. P. : Proposons à ces personnes du temps, des moyens, des structures d’hospitalisation rassurantes, des lieux d’hébergement thérapeutique et non pas des foyers d’hébergement d’urgence. Il faut aussi travailler sur l’accès au logement et la prise en charge sociale. L’hôpital ne peut pas tout résoudre ; l’articulation médico-sociale est importante. Il faut aussi que la société dans son ensemble réinvestisse la dimension du collectif et de la solidarité envers les plus vulnérables. C’est un réinvestissement à vivre non comme une charge, mais comme un espoir.
L’I. M. : N’est-ce pas utopique ?
C. P. : Les personnes en difficulté font partie de la communauté des hommes et des citoyens. C’est le principe de l’intégration, de la solidarité, à l’œuvre dans la loi sur la sectorisation, et dans la Sécurité sociale fondée en 1945. La société se préoccupe aujourd’hui du déficit de solidarité envers les personnes âgées ; des structures pour rompre l’isolement voient le jour… Il doit en être de même pour les malades mentaux.
PSYCHIATRE
→ Psychiatre des hôpitaux depuis 1988, elle exerce d’abord en psychiatrie générale au CH de Montfavet (Vaucluse).
→ En 1991, elle intègre le SMPR (service médico-psychologique régional) de la prison des Baumettes.
→ Aujourd’hui responsable du SMPR, elle coordonne le pôle psychiatrie-médecine-addictologie en détention-médecine légale de l’AP-HM et de la région PACA.
→ Membre fondateur et présidente d’honneur de l’ASPMP (Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire).
Secteurs de psychiatrie
Entre 1974 et 2011, le nombre de lits d’hospitalisation en psychiatrie est passé de près de 140 000 à 57 600 (voir le rapport « L’organisation des soins psychiatriques » – Cour des comptes – décembre 2011). L’hôpital n’est plus le lieu unique et de référence pour la prise en charge des patients depuis la mise en place des secteurs de psychiatrie. Ces secteurs sont des aires géodémographiques qui organisent la prise en charge des malades sur tout le territoire. Une équipe soignante pluridisciplinaire assure la prévention, le diagnostic, le traitement intra et extrahospitalier des malades. La sectorisation a été mise en place par une circulaire du 15 mars 1960, puis précisée par les lois du 25 juillet 1985 et du 31 décembre 1985.