L'infirmière Magazine n° 309 du 15/10/2012

 

DOSSIER

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

Mme H. R., âgée de 92 ans, est hospitalisée dans un service de soins de suite et réadaptation pour prise en charge d’un érysipèle associé à une thrombose veineuse profonde. Une embolie pulmonaire est également suspectée.

Les antécédents de cette patiente sont peu importants : seule une péritonite durant l’enfance est rapportée. Son traitement médicamenteux à domicile comporte du Lasilix (furosémide) 20 mg le matin, du Lercan (lercanidipine) 10 mg par jour, du Seresta (oxazépam) 10 mg au coucher, et du paracétamol à la demande. Un traitement par anticoagulant a été ajouté peu de temps avant l’entrée à l’hôpital : Préviscan (fluindione) 10 mg le soir.

L’examen clinique à l’entrée montre une désorientation temporo-spatiale et une forte anxiété, accompagnés de troubles cognitifs importants. Le médecin traitant contacté signale un état dépressif, consécutif au décès du conjoint peu de temps auparavant. Sur le plan sensoriel, la patiente présente un déficit visuel et auditif. Le reste de l’examen est sans grande particularité.

Une échographie cardiaque réalisée au début du séjour objective une cardiopathie, conduisant à la prescription d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion : ramipril (Triatec) 1,25 mg le matin.

A J8, la patiente présente une tension artérielle très basse (105/57), ainsi qu’une dégradation de la fonction rénale, motivant l’arrêt de l’IEC. Quelques jours plus tard, la tension est mesurée à 102/52. Le séjour de cette patiente se complique d’une chute, potentiellement en lien avec cette hypotension.

Un arrêt du traitement diurétique est alors décidé. Trois jours après l’arrêt, la tension se stabilise entre 115 et 130 de systolique.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

Le furosémide est un médicament appartenant à la classe des diurétiques. Ces médicaments agissent en augmentant l’élimination urinaire de sodium, ce qui se traduit par une élimination accrue d’eau. Comme pratiquement tous les antihypertenseurs, les diurétiques peuvent provoquer une hypotension, et, en particulier, une hypotension orthostatique. Cette situation est rendue plus probable chez cette patiente en raison de l’association avec un inhibiteur de l’enzyme de conversion.

2. RAPPELS SUR LES DIURÉTIQUES

Les diurétiques sont des médicaments très largement utilisés, comprenant trois familles principales, déterminées en fonction de leur mode d’action :

– les diurétiques de l’anse : furosémide (Lasilix), bumétanide (Burinex). Ils agissent au niveau de l’anse de Henlé des néphrons.

– les diurétiques thiazidiques : hydrochlorothiazide (Esidrex), Indapamide (Fludex). Ces diurétiques agissent au niveau du segment cortical de dilution.

– les diurétiques dits « hyperkaliémiants », comprenant les antialdostérones et apparentés : spironolactone (Aldactone) et éplérénone (Inspra), ainsi qu’amiloride (Modamide) et triamtérène (Isobar).

Indications

Les diurétiques possèdent plusieurs indications : l’hypertension artérielle, le traitement des oedèmes d’origine cardiaque, rénale ou hépatique, et certains cas d’hyperaldostéronisme pour les diurétiques de type antialdostérone. Ils sont également utilisés dans le cadre de l’insuffisance cardiaque.

L’utilisation des diurétiques en cardiologie repose à la fois sur leur effet sur la diurèse (augmentée) et la volémie (diminuée) et sur la diminution des résistances vasculaires observée avec ces médicaments.

Effets indésirables

Les effets indésirables potentiels de ces médicaments sont nombreux. Parmi les plus souvent rencontrés, citons : l’hyponatrémie (entraînant un risque de déshydratation, d’hypovolémie et d’hypotension), et les perturbations de la kaliémie. Selon le diurétique utilisé, les patients pourront présenter une hypokaliémie (diurétiques de l’anse et diurétiques thiazidiques) ou une hyperkaliémie (diurétiques antialdostérone et apparentés). Ces hypokaliémies peuvent augmenter le risque de certains traitements comme les digitaliques et les antiarythmiques. À l’inverse, une hyperkaliémie peut favoriser la survenue de troubles du rythme cardiaque. En raison de ces effets indésirables, un contrôle préalable du ionogramme est nécessaire, ainsi qu’une surveillance régulière de la kaliémie. D’autres effets indésirables sont possibles, comme des hyperuricémies, des hyperglycémies, des réactions allergiques cutanées, des photosensibilisations ou des troubles hématologiques. Les diurétiques de type antialdostérone peuvent également provoquer, rarement, une impuissance, des troubles des règles ou une gynécomastie. En cas de surdosage au cours d’un traitement par diurétiques, les patients présenteront principalement des perturbations hydro-électrolytiques (hyponatrémie, dyskaliémie), une hypotension, une déshydratation, pouvant être accompagnées de troubles digestifs.

Contre-indications et précautions d’emploi

D’une manière générale, l’usage des diurétiques est dangereux en cas d’obstacles sur les voies urinaires, d’hypovolémie et de troubles hydro-électrolytiques non corrigés (en particulier pour la kaliémie). De plus, en raison de leur mode d’action, ces médicaments sont contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine inférieure à 30 ml/min), à l’exception des diurétiques de l’anse (comme le furosémide) qui restent efficaces et utilisables dans cette situation.

Interactions médicamenteuses

De nombreuses interactions médicamenteuses avec les diurétiques s’expliquent par leurs effets sur la kaliémie :

– Pour les diurétiques hypokaliémiants (diurétiques de l’anse et thiazidiques) : l’association aux autres médicaments hypokaliémants (comme les glucocorticoïdes) augmente le risque d’hypokaliémie. Le risque toxique de certains médicaments, comme les antiarythmiques, sera augmenté en cas d’association avec ces diurétiques.

– Pour les diurétiques hyperkaliémiants, l’association avec d’autres diurétiques hyperkaliémiants ou avec des médicaments contenant du potassium (DiffuK, Kaléorid) est interdite sauf en cas d’hypokaliémie.

D’autre part, de nombreux médicaments pourront voir leur élimination rénale perturbée en cas d’association avec les diurétiques, ou bien cumuler des effets nocifs sur le rein ou la régulation de la pression artérielle : exemple du lithium, de la ciclosporine, des AINS, des inhibiteurs de l’enzyme de conversion, et des antagonistes de l’angiotensine II.

À noter : la potentialisation des effets sur la tension artérielle lors de l’association d’un diurétique avec un autre médicament antihypertenseur peut également être recherchée lorsqu’une monothérapie ne suffit pas. Des associations de diurétiques avec des IEC, des bêtabloquants, des inhibiteurs calciques ou des antagonistes de l’angiotensine II sont ainsi commercialisées.

3. EN PRATIQUE

→ Les traitements par diurétiques sont extrêmement fréquents. Pour autant, leur utilisation n’est pas sans danger. En particulier, l’IDE doit être vigilant quant au risque :

– de perturbation de la kaliémie ;

– de déshydratation, en particulier chez le sujet âgé lorsque l’apport en eau est insuffisant, ou en période de canicule ;

– d’hypotension orthostatique.

→ Une grande part des effets indésirables des diurétiques sont dose-dépendants : une diminution de la posologie, lorsqu’elle est possible, peut permettre de réduire l’intensité de ces effets indésirables.

La prescription d’un diurétique s’accompagne d’une surveillance clinique (tension artérielle, prévention des chutes, hydratation) et biologique (kaliémie, natrémie).

À SAVOIR :

→ En raison du mécanisme d’action de ces médicaments, et pour limiter les désagréments pour le patient, la prise se fait usuellement le matin. L’infirmère doit recommander à la patiente de se lever en deux temps : se mettre assise, puis se lever, pour éviter l’hypotension.