SÉCURITÉ CIVILE
REPORTAGE
Au sein des unités militaires de la Sécurité civile, les infirmiers assurent les soins médicaux quotidiens, le soutien aux sapeurs-sauveteurs engagés sur des sinistres et le secours aux populations. Une activité intense et exigeante, qui implique un entraînement permanent.
Le véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) a été prépositionné à un carrefour stratégique. Cagoule sur la tête, tenue de feu soigneusement zippée, l’infirmière réserviste Sandrine Martin, adjudant-chef, et ses deux auxiliaires sanitaires, les caporaux Merand et Faiveley, se tiennent prêts à intervenir depuis de longues minutes quand, soudain, la radio se met à grésiller. « Message urgent “San” de 32, appelle une voix d’homme. J’ai un blessé, brûlé côté droit, on prodigue les premiers soins. Vous prenez la direction du Petit Thouars, nous sommes à environ deux kilomètres de votre position. » L’ambulance s’élance sur la route au son du deux-tons, franchit un passage anti-chars, puis débouche sur le lieu de l’incident. Au milieu de la forêt, sur un site portant des traces de feu et de bivouac, des hommes tentent de combattre un incendie : ce sont des militaires de la troisième compagnie de l’unité d’instruction et d’intervention de la Sécurité civile (UIISC)
Formations militaires du corps de défense civile, les UIISC interviennent en appui des moyens locaux ou nationaux en cas de sinistre – incendie de forêt, inondation, séisme, effondrement de bâtiment, risque nucléaire, radiologique, bactériologique ou chimique (NRBC)… –, en France comme à l’étranger. Basée à Nogent-le-Rotrou, l’UIISC 1 compte près de 650 sapeurs-sauveteurs. Sport, instruction, exercices dans les conditions du réel, l’entraînement y est permanent. En cas d’alerte, l’UIISC doit pouvoir mobiliser 100 hommes en une heure, et 100 autres en trois heures. Toujours appelé « infirmerie » dans le langage courant, le service médical de l’unité (SMU) appartient à la 4e compagnie. Comme dans tout régiment, il assure les soins médicaux quotidiens et le contrôle de l’aptitude à l’emploi des personnels, fonction qu’il occupe également pour les 189 gendarmes de Nogent-le-Rotrou. Mais il intervient aussi en soutien des personnels sur le terrain, et directement auprès des populations civiles en cas de sinistre. À la tête du service, un médecin-chef, le colonel Christian Decanlers, et ses deux adjoints, le lieutenant-colonel Lignac et le capitaine Courbin. Le personnel comprend des aides-soignants, des ambulanciers, des auxiliaires sanitaires – militaires du rang formés au brancardage et aux gestes de premiers secours – et trois IDE
En ce matin de mai, il n’y a pas grand monde dans le service. Plusieurs soutiens sanitaires sont en cours : la section d’instruction de la compagnie est partie au fort de Penthièvre (Morbihan), et d’autres se sont lancées dans une marche-course, huit kilomètres en treillis et rangers. Au premier étage, dans la salle « popote », le sergent-chef Virginie Fachat a enclenché la cafetière. Elle a les traits aussi tirés que son chignon : elle vient de rejoindre l’unité après une nuit de garde aux urgences de l’hôpital de Nogent, où elle n’a traité « que des gros cas ». Pour « garder la main », les IDE du service assurent au minimum deux à quatre gardes par mois dans le civil. Une condition indispensable pour disposer d’urgentistes « formés et compétents », estime le colonel Decanlers : « Seule la pratique hospitalière régulière permet d’acquérir les automatismes nécessaires pour surmonter le stress d’une intervention en mode dégradé, et se montrer efficace pour le patient », résume-t-il. « À l’unité, on ne reçoit que des jeunes de 20 ans qui ont de bonnes veines, ajoute Diane Moakler. Le public des urgences, avec des enfants, des personnes âgées, des proches angoissés qu’il faut gérer, ressemble davantage aux patients que nous allons soigner en mission. » Pour compléter cette formation de terrain, les infirmiers participent à des congrès ou à des stages internes à l’armée. Périodiquement, ils se réunissent également à l’infirmerie pour travailler sur les protocoles. Ces fiches de tâches, extrêmement détaillées, portent aussi bien sur les soins que sur les visites médicales ou le suivi médico-administratif. « Dans l’armée, le binôme médecin/infirmier relève plus du partenariat que de la relation prescripteur/exécutant, souligne le colonel Decanlers. Il n’est pas rare qu’ils ne se trouvent pas ensemble. Comme chez les infirmiers sapeurs-pompiers, une protocolisation stricte permet aux infirmiers d’assurer la prise en charge d’une urgence en l’absence d’un médecin. En dehors de l’urgence vitale immédiate, nos infirmiers doivent prendre contact avec le médecin régulateur du Samu avant d’agir ou, si vraiment il ne s’agit que d’une simple entorse, avec le médecin de permanence du régiment. »
Sur un des murs de la salle « popote », une horloge en bois porte l’inscription « Soutien santé feux de forêt, Nouvelle-Calédonie, janvier 2006 ». Des drapeaux – Haïti, Liban, Chine –, des gants – Sri Lanka 2004 –, une multitude de photos, cartes et petits objets témoignent des multiples missions de la Sécurité civile. À l’UIISC 1 depuis janvier 2010, Virginie Fachat a déjà participé à de nombreux déplacements : déneigement, tempête Xynthia, feux de forêt à la Réunion, séisme au Japon… Ancienne auxiliaire sanitaire, elle a obtenu son diplôme à l’École du personnel paramédical des armées (Eppa) de Toulon (Var). « Pour être infirmière militaire, il faut adhérer à l’esprit de l’armée, sinon on ne s’intègre jamais au régiment », affirme-t-elle. La fonction nécessite aussi une bonne condition physique : « Il faut être capable d’intervenir avec son sac sur le dos, partout où un sapeur peut en avoir besoin », glisse le colonel Decanlers. Diplômée de l’Eppa en 2006, le sergent-chef Diane Moakler a eu moins de chance que sa collègue. Partie au Tchad avec les hommes du régiment d’infanterie chars de marine de Poitiers (Vienne) au début de sa carrière, elle n’a pas eu, depuis, l’occasion d’être envoyée en mission. « Chaque infirmier est d’alerte à tour de rôle pendant une semaine. Et ça ne tombe jamais sur moi ! », plaisante-t-elle.
Pas de quoi s’ennuyer pour autant : avec plus de 800 personnels à suivre, les tâches ne manquent pas au SMU. Les visites systématiques annuelles représentent une grosse part de l’activité. Chaque année, les militaires subissent toute une batterie de tests – biométrie, tests auditifs et visuels, électrocardiogramme –, puis passent une visite médicale avec un médecin. Le cas échéant, les infirmières mettent à jour les nombreux vaccins auxquels sont soumis les sapeurs-sauveteurs, susceptibles d’être envoyés dans n’importe quelle partie du globe, à n’importe quel moment. Ce matin, c’est consultation libre. Au rez-de-chaussée, un sapeur s’est présenté avec des douleurs à l’index droit. Il s’est coincé le doigt dans la porte de son camion citerne. Sur ordre du médecin, Virginie Fachat appelle la radiologie de l’hôpital pour prendre rendez-vous. Puis, elle enroule le doigt blessé dans une compresse et des bandes. « Je vais perdre mon ongle ? », s’inquiète son patient. Elle hoche la tête : « Sûrement, oui. Vous avez encore mal ? Parce que je vais maintenir, il ne faut pas que ce soit trop douloureux. » Deux étudiantes – Oriane Medour, en première année à l’Ifsi de Dreux, et le sergent Clémence Sipolis, en troisième année à l’Eppa – assistent à l’opération. « L’objectif du bandage, c’est que le doigt sain devienne l’orthèse du doigt lesé », leur explique Virginie Fachat.
À l’étage, Diane Moakler assure, ce matin, le rôle de l’infirmier major. Un travail essentiellement administratif, un peu ingrat mais indispensable : activation des réservistes, gestion des plannings, dossiers de pension, suivi des arrêts maladie… La période est particulièrement chargée : l’unité prépare son départ annuel pour la Corse, où elle passe tout l’été en renfort des services départementaux d’incendie et de secours. Il faut vérifier tout le matériel, s’assurer que les stocks sont complets, redonner les directives nécessaires aux auxiliaires sanitaires… Mais aussi savoir, en parallèle, répondre à l’imprévu. Une « note express » vient en effet de tomber : la section d’instruction participe le lendemain à un exercice d’extraction d’otages dans un contexte NRBC avec le Raid, à Trappes (Yvelines). « Je vais envoyer deux auxsan, mais on n’a plus de véhicules », réfléchit l’infirmière à voix haute.
En début d’après-midi, après une courte sieste, Virginie Fachat appelle ses deux étudiantes. Un gros exercice se prépare à la 3e compagnie : 72 heures de sauvetage-déblaiement (SD), dans un hôpital désaffecté, à Dreux (Eure-et-Loir). L’équipe « san » doit rassembler son matériel. Le stock se trouve au deuxième étage. Les produits sont rangés par dates de péremption. Tout le nécessaire de la médecine de voyage – vaccins, anti-paludiens, insecticides… – côtoie les produits destinés à traiter les risques NRBC – iode, Gaviscon, seringues prêtes à l’emploi en cas d’attaque neurotoxique… Le matériel occupe plusieurs pièces : défibrillateurs semi-automatiques, Hemocue, respirateurs, moniteurs scopes, appareils de transmission, piles, ciseaux, masques, tensiomètres… Responsable du stock, Diane Moakler est chargée d’organiser toute la pharmaco et la matério-vigilance, aussi bien pour la salle de soins que pour les véhicules, les sacs infirmiers ou encore le poste médical projetable (PMP), deux tentes équipées pour armer deux postes de déchocage, huit postes de soins, et un poste de consultation de médecine courante. Pour assurer cette lourde tâche, l’infirmière a instauré un échéancier, scrupuleusement mis en œuvre par les auxiliaires sanitaires et le secrétariat du SMU, qui se charge, notamment, des commandes. Pour aujourd’hui, la chef Fachat piochera dans le stock d’instructions, composé de produits et de matériels abîmés ou périmés. Le scénario de l’exercice de SD est déjà connu : une explosion d’origine indéterminée s’est produite dans le sous-sol d’un hôpital en cours de démantèlement, provoquant l’effondrement partiel des bâtiments. Plusieurs dizaines de personnes sont piégées dans les décombres. L’infirmière annonce les consignes. « Vous écoutez les sapeurs quand ils vous indiquent un itinéraire, mais ils doivent aussi vous écouter si vous leur dites qu’une victime doit rester dans telle position. En SD, le but, c’est d’extraire. On priorise. Si le patient a un Glasgow à 7, que les hémodynamiques sont stables, on le met en position latérale de sécurité et ils le sortent tout seuls. On n’est pas là pour faire du maintien tête. Ne vous laissez pas embobiner : les gars vont rechercher la facilité. » Et, à l’heure du rassemblement, la commande du capitaine Richard, commandant la 3e compagnie, est claire : « Vous avez pris de quoi jouer ? Il va falloir perfuser, retarder la manœuvre ! », lance-t-elle en souriant à l’équipe « san ». Pansements hémostatiques, garrots, injectables, oxygène, couverture de survie, en effet, l’équipe a préparé de quoi jouer. Mais, surtout, de quoi honorer, pendant trois jours d’affilée, la devise de la 4 : « Toujours soutenir, jamais faillir. »
1- Compresse stérile hydrogel permettant de refroidir la brûlure et interrompre son évolution, et de soulager la douleur.
2- Au total, la Sécurité civile compte sept infirmiers : trois à l’UIISC 1, trois à l’UIISC 7 (Brignoles, Var) et un à Corte (Haute-Corse).