Une fois les odeurs senties et ressenties, le premier réflexe est de les fuir. Pourtant, les accepter semble bien plus efficace…
Le moyen idéal de mettre fin à une mauvaise odeur est d’en combattre la cause : une infection, un manque d’hygiène, une fréquence trop faible des soins, un tissu nécrotique à enlever… Finalement, « il n’y a plus d’odeurs particulières à l’hôpital », estime Hélène Dolange, cadre de santé en unité d’hémovigilance, presque vingt ans après son mémoire sur le sujet. « Le circuit des déchets ainsi que celui du linge sale se sont améliorés, les infections sont sans doute mieux traitées, les patients, plus autonomes, peuvent se doucher plus rapidement après une intervention », liste-t-elle notamment. Les soignants disposent de plus en plus de matériels et de médicaments : les pansements au charbon, révolutionnaires filtres d’odeurs ; l’aspirateur d’air intégré au bistouri électrique pour réduire les odeurs de peau grillée dans le bloc ; les changes anatomiques, en cas d’incontinence, captant les odeurs et absorbant des quantités croissantes d’urine ; le Flagyl®, en perfusion sur certaines plaies malodorantes ; les antiémétiques, prescrits aux patients plus sensibles aux odeurs… « Des aménagements minimes peuvent provoquer de petits miracles, comme le fait d’ajouter une discrète fragrance citronnée au ventilateur d’une unité d’isolement », note l’infirmier Philippe Glémarec
Mais l’atténuation d’une odeur incommodante peut être insuffisante, et l’éradication de ses origines, difficile. Des infirmières se ruent alors sur la fenêtre, les bombes désodorisantes des toilettes ou un masque à l’alcool de menthe… Ces stratagèmes ne sont pas forcément explicités au patient, ou bien sous un prétexte qui ne trompe guère – par exemple, on aère en raison de la chaleur. Certes, ils s’expliquent par le besoin de se protéger. Mais ils s’avèrent illégitimes médicalement (comment justifier le port d’un masque en l’absence de risque contagieux ?), peu efficaces (un masque prémunit-il vraiment contre la puanteur ?), vexants pour le patient, et, parfois, irréalisables (si les fenêtres ne peuvent pas s’ouvrir). De même, d’aucuns jugent satisfaisant le dépôt, dans la chambre, d’une coupelle de métroni-zadole contre les mauvaises odeurs. Mais le médecin Michel Cavey s’interroge : comment les germes anaérobies responsables de mauvaises odeurs pourraient-ils être sensibles à cet antibiotique quand il est utilisé ainsi, à distance de la plaie ?
Une issue est de progressivement faire abstraction des odeurs dérangeantes, c’est-à-dire de « faire avec ». Elles font partie du malade, donc des exigences du métier : une IDE affectée ne s’autorise pas à le montrer. À l’Ifsi, l’attention des étudiantes est attirée sur la nécessité de ne pas trahir sa gêne de façon non verbale, note une cadre formatrice rémoise. « Si une collègue réagit mal et oublie de cacher sa réaction tellement elle est perturbée, c’est difficile de le lui reprocher. Si elle verbalise son dégoût, on peut essayer de la sensibiliser au fait qu’elle doit être attentive à ce que l’on fait et dit devant le patient », souffle Cécile Peignier, IDE référente en plaies et cicatrisations. Faute d’avoir prise sur l’odeur, une soignante tente au moins de gérer sa réaction, et se concentre sur le soin. Pour autant, on ne parle pas d’habituation. D’une part, parce qu’il semble impossible de s’accoutumer à une émanation fétide, d’autre part parce qu’il serait dangereux de faire l’impasse sur une potentielle information olfactive. Il s’agit de s’y habituer tout en restant curieux. La vigilance peut ainsi conduire à renouveler le change anatomique d’une personne incontinente.
Cette culture olfactive se nourrit aussi du dialogue entre infirmières sur les odeurs et leur prise en charge. Ces échanges mettent les odeurs à distance, permettent de mettre en garde une collègue avant son entrée dans une chambre (évitant qu’elle ait une moue de surprise ou de dégoût) et conduisent à collaborer (les infirmières se relaient d’un commun accord dans un même soin, prenant chacune sa part de l’odeur). Le tout peut se faire avec humour. Sur son blog
Dialoguer avec le patient (et sa famille) est aussi possible. En l’écoutant, en l’interrogeant sur ce qui le gêne, par rapport à qui et pourquoi, en l’informant des odeurs que sa pathologie est susceptible d’entraîner… « Pour savoir si nous positionnons un pansement au charbon, nous demandons systématiquement : “Êtes-vous gêné par telle odeur ?” », témoigne Isabelle Fromantin. Parfois, le patient est gêné bien avant nous. » Cathy Larhantec, cadre de santé en Ehpad, conseille « d’accompagner par la parole » en cas de gêne du soignant, et, pourquoi pas, dans un cas extrême, avant de mettre un masque. Elle imagine ce message au patient : « C’est un peu difficile pour moi, cette plaie est importante, ne soyez pas étonné de mon visage, ce n’est pas à cause de vous. » Souvent, la gêne induit le tabou, ou, du moins, le silence. Des soignés eux-mêmes le rompent. « Qu’un patient souffrant, par exemple, d’une escarre du sacrum, s’excuse pour l’odeur et me dise : “Mon Dieu, je suis navré”, cela m’arrive souvent, raconte l’IDE Sylvie Palmier. On le rassure, on lui dit qu’il n’y a pas de souci. » Et pourquoi ne pas demander au patient avant d’ouvrir une fenêtre ? Dans son mémoire, Céline Kovaes
Toujours pour le bien-être et la dignité du soigné, notamment s’il est plus sensible aux odeurs, il est judicieux de choisir des aliments aux senteurs plus neutres, de ne pas se parfumer ni de trop sentir la cigarette. Des patients se plaignent des effluves entêtantes de certaines infirmières, en général directement auprès d’elles, pour les parfums, ou à une collègue quand il s’agit de l’odeur de cigarette, selon l’IDE Anne Pach. Des établissements découragent l’utilisation de parfums. Une initiative consiste aussi à demander au patient hospitalisé d’apporter un objet, ou un mets, dont il trouve l’odeur agréable. À lui proposer séances de massage ou de sophrologie. Pour soigner l’odorat et/ou le goût, se développent, enfin, des ateliers avec parfums ou huiles essentielles, entre autres en soins palliatifs, où « la majorité des patients ont une perception aiguë des odeurs »
1- « Une touche de bien-être dans la tourmente », Soins infirmiers, février 2011.
2- Sur Impacted Nurse : bit.ly/lesHhE
3- Sur Scrubs (bit.ly/dK2Pzd). Autres échanges sur All Nurses : bit.ly/RzmqCx
4- Sur son blog : bit.ly/Qlnxp8
5- Voir encadré Sources.
6- « Importance des odeurs pour le patient et pour le personnel soignant », Revue internationale des soins palliatifs, vol. 20, 2005/1.
7- Lire, notamment, l’introduction de Benoist Schaal à « L’odorat chez l’enfant : perspectives croisées », Enfance, janvier 1997.
→ Panorama général dans « Olfactions et processus sociaux chez l’homme : bref bilan » (B. Schaal, Revue internationale de psychopathologie, 22, 1996) ; « Éloge de l’odorat » (André Holley, Odile Jacob, 1999) ; Terrain (numéro 47, septembre 2006).
→ De Joël Candau : « De la ténacité des souvenirs olfactifs » (La Recherche, bit.ly/bLaBnm), et les documents cités dans son interview.
→ « L’influence des odeurs sur la qualité des soins », de l’IDE Céline Kovaes, récompensé par le Cefiec (bit.ly/QTVdMN), et « Le nez soignant », de la cadre de santé Hélène Duperret-Dolange (publié en partie dans la revue de l’Amiec).
→ Témoignages des médecins Scarabée (sur le blog de Martin Winckler : bit.ly/f1RrnH), Georges Szafran (bit.ly/QZJ5sf) et Michel Cav.