Et Dieu, dans tout ça ? - L'Infirmière Magazine n° 311 du 01/02/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 311 du 01/02/2015

 

RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ

Votre cabinet

GÉRALDINE LANGLOIS  

La maladie ne fait aucune différence entre les croyances. Les soignants non plus, bien sûr. Mais parfois, chez certains patients, la façon de pratiquer une religion peut retentirsur les soins. Sur le terrain, les soignants font avec et trouvent souvent des solutions pour concilier au mieux leur art et les demandes du patient.

« Faire un soin, cela implique d’aborder les individus dans leur globalité, avec leurs croyances, leurs représentations, leur culture… Si on ne veut pas être en échec, il faut prendre tout », estime Isabelle, infirmière. Ce n’est pas toujours facile. « Parfois, poursuit-elle, parce qu’on est fatigué par exemple, on peut être moins réceptif [aux demandes liées à la religion]. On est aussi limité par le temps. Mais, dans tous les cas, essayer de passer en force conduit à l’échec. » Comme le rappelle Isabelle Lévy, conférencière sur les religions et les soins, les religions les plus pratiquées privilégient la vie à l’observance des rites et pratiques. « Si les patients sont vraiment malades, ils se laissent soigner », note un Idel. Mais ce principe n’est pas toujours connu. Voici quelques moments où la religion peut interférer avec le soin.

Modifications d’horaires

Pendant le ramadan (qui aura lieu cette année du 18 juin au 17 juillet), certains patients d’Isabelle lui demandent de passer avant le lever du soleil ou après son coucher afin que les soins ne “cassent” pas le jeûne. Comme bien de ses consœurs et confrères, elle essaie alors de se rendre chez ces patients en tout début et toute fin de tournée. Mais ce n’est pas toujours possible ou suffisant, surtout l’été, quand les journées sont longues. Si les patients insistent pour qu’il passe en dehors de la journée, Rachid, installé dans une grande ville de la couronne parisienne, évoque quant à lui le tarif de nuit qu’il devra appliquer.

Les souhaits de modifier les horaires des visites des infirmières émanent aussi de juifs pratiquants lors du shabbat hebdomadaire. Dans la ville où exerce Charlotte, certains patients lui demandent ainsi de passer plus tôt le vendredi ou plus tard le samedi. Elle en a pris l’habitude : « Quand c’est possible, on s’adapte. » Ailleurs, certains confrères ont été confrontés au refus des patients d’actionner l’interrupteur du digicode, car, le jour du shabbat, aucun appareil électrique ne peut être utilisé. Pourtant, les interdits de ce type sont levés dès que la personne est assez malade pour être alitée, rappelle Isabelle Lévy.

Refus de soins

Pour des motifs religieux, il peut aussi arriver que des patients refusent un soin. Ainsi, face au refus de certains de subir une injection ou un sondage pendant la journée de la période de ramadan, Isabelle a interrogé les imams de son secteur. « On les connaît car on travaille avec eux par ailleurs sur la prévention du diabète », explique-t-elle. Grâce à leurs indications, poursuit l’infirmière, « je peux dire aux patients : “D’après ce que je sais de votre religion, vous ne devriez pas faire le ramadan en ce moment.” » Rachid s’est lui aussi renseigné auprès d’un imam. « Les soins qui ne passent pas par la bouche ne cassent pas le ramadan », assure-t-il aux patients.

Certains patients insistent aussi pour respecter l’interdiction de toute prise alimentaire diurne pendant le ramadan. Charlotte se rappelle d’une patiente qui souffrait d’un cancer et refusait au nom de sa religion de s’alimenter durant la journée. « Elle était à risque de dénutrition et avait besoin d’une nutrition parentérale mais elle la refusait catégoriquement, se souvient-elle. Même si on posait la perfusion la nuit, elle ne voulait pas garder le cathéter le jour. J’ai essayé pendant plusieurs jours de la convaincre qu’elle n’était pas obligée de suivre le ramadan car elle était malade, mais elle n’a rien voulu entendre. Il a fallu l’hospitaliser car elle était trop faible. »

Relations homme-femme

La pratique religieuse n’est pas la seule raison qui suscite la réticence de certains à être examinés par une personne de l’autre sexe, mais elle est parfois invoquée. Isabelle arrive généralement à faire tomber ce type de réserve de la part de patients hommes. Mais « certains cabinets d’hommes nous demandent parfois d’intervenir à leur place auprès de certaines patientes, en particulier pendant le ramadan », précise-t-elle. C’est ce que fait Rachid?: il anticipe le problème en posant la question dès qu’on le sollicite pour des soins nécessitant qu’une patiente se dénude ou portant sur les parties intimes. « Quand on me téléphone [pour ce type de soins], je demande tout de suite si cela pose un problème que je sois un homme. Je préfère procéder ainsi plutôt que de me déplacer et devoir rebrousser chemin. »

Rapport à la maladie

Religion ou croyances magiques, Isabelle, de son côté, a croisé des patients convaincus que leur maladie constituait une forme de punition, individuelle et familiale. Cela concerne parfois aussi le rapport à la douleur dans la religion catholique. La pratique de cette religion n’aurait pas trop d’incidence, du moins aux dires des infirmiers interrogés, sur la vie quotidienne ou les soins – en raison de la construction historique du soin en France, en partie en lien avec cette religion, à l’hôpital notamment ? Par deux fois, Annie, qui travaille dans une ville moyenne, est arrivée au moment où les amies d’une de ses patientes célébraient une sorte de messe. « Je ne savais pas trop ce qu’elles faisaient mais je n’ai pas posé de question, reconnaît l’infirmière. Elles se sont interrompues le temps des soins. » Une autre fois, un patient lui a demandé de lui faire boire de l’eau de Lourdes. « Si ça peut lui faire plaisir, pourquoi pas », s’est-elle dit alors.

Neutralité des Idels

Les Idels évoquent peu leurs propres convictions. « J’essaie de garder une certaine neutralité, témoigne Isabelle. Ce que je pense et mes états d’âme, je les laisse à la maison. Ou alors j’en parle avec mes collègues du cabinet et de la maison de santé au sein de laquelle je travaille. » La religion, « ce n’est pas mon truc, reconnaît Annie. Mais si un patient me demande si je crois en Dieu, je sens parfois qu’il vaut mieux que je réponde “oui” pour ne pas choquer. Et pour ne pas entamer une conversation sur le sujet, car je n’en ai ni l’envie ni le temps. Cette réponse peut faire du bien à la personne, elle peut se sentir mieux comprise… » Rachid aussi parle peu de sa religion (il est musulman), mais il s’est retrouvé à en discuter chez un patient chrétien le jour de l’Aïd el-Fitr, la fête qui clôt le Ramadan. « Il est descendu dans sa cave et est remonté avec un cadeau, une bouteille de vin », dit-il. Malgré la maladresse – puisqu’en cette période, il est interdit de boire de l’alcool –, l’infirmier a apprécié son geste. Rachid, par ailleurs, se rend souvent au domicile de patients témoins de Jéhovah – dont le refus de transfusions sanguines peut interférer avec des soins, et à propos desquels des “dérives sectaires” ont été signalées (cf. www.derives-sectes.gouv.fr). Ses soins ne sont pas impactés par leurs croyances mais il a noté que « ce sont les seuls à essayer de [le] convertir ». Ils abordent systématiquement la question religieuse et, dès son arrivée, ils argumentent… « Je leur dis pourtant que je suis musulman, mais ils discutent tout de même. Ils me proposent souvent de repartir avec leur petit livre. Je l’ai pris une fois pour leur faire plaisir. »

ISABELLE LÉVY « L’important, c’est le soin »

« Ce n’est pas le rôledu soignant d’entrer dans un débat spirituel. Face à un patient qui s’oppose à des soins au nom de la religion, je conseille très fortement au soignant de rappeler que le médecin les a prescrits parce qu’ils sont nécessaires étant donné son état de santé. On peut aussi préciser au patient, sans pour autant entrer dans le détail des textes, que toutes les religions aménagent des temps de soins pendant les fêtes, et l’inviter à se rapprocher de son religieux de référence. Les croyants ont l’obligation de respecter leur proprevie et leur intégrité physique et mentale. Les croyances magiques ou traditionnelles font du bien au patient, mais il faut prendre garde aux ingrédients des potions qu’il peut ingurgiter ou des crèmes qu’il s’applique. Quant aux questionsdes patients, on peut y répondre en disant par exemple : “Peu importe ma position, ce qui est important, c’est le soin.” »

Isabelle Lévy est conférencière sur la place de la religion dans les soins, auteure de Guide des rites, cultures et croyances à l’usage des soignants, De Boeck – Estem (2013).