DOSSIER
IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN
FLORENCE BONTEMPS* LAURENT BOURGUIGNON** MARINA FARGÈRE*** MARYNE FIASSON**** SANDY JAHIN*****
Mme B. est hospitalisée pour un tableau d’insuffisance cardiaque et respiratoire survenant au décours d’un syndrome infectieux bronchique. Cette patiente, âgée de 83 ans, présente de nombreux antécédents médicaux et chirurgicaux : prothèse totale de hanche gauche, hystérectomie, cholecystéctomie, AVC ischémique, myocardio-pathie hypertrophique avec troubles du rythme, BPCO, ostéoporose… Son dossier médical rapporte également un terrain allergique, la patiente ayant présenté des réactions (cutanées, mais également de l’hypotension) d’origine allergique lors de traitements par Pyostacine, Rocéphine, cefpodoxime, ainsi qu’avec une pénicilline.
La patiente reçoit habituellement un traitement à visée cardiologique (aténolol, furosémide, énalapril, nicardipine, warfarine), ainsi que du Seretide, de l’Aérius et du Temesta. Durant l’hospitalisation, un traitement antibiotique par Rovamycine est mis en place, ainsi qu’une prescription de dérivé nitré (Discotrine), de furosémide au pousse-seringue et d’aérosols de terbutaline et d’ipratropium.
Un examen dentaire réalisé durant l’hospitalisation montre la présence d’une dent cassée, nécessitant une extraction de la racine. En prévention d’une endocardite infectieuse, une antibioprophylaxie par amoxicilline est prescrite. L’interne en pharmacie validant la prescription alerte le médecin des antécédents allergiques de cette patiente.
Le terrain allergique de cette patiente était bien connu : son dossier médical rapportait des réactions allergiques lors de plusieurs traitements antibiotiques. Cette information importante avait été retranscrite dans le dossier patient informatisé, et également sur la prescription informatique, sous la forme d’un commentaire du prescripteur. Dans les premiers jours de l’hospitalisation, un traitement antibiotique avait été mis en place pour lutter contre l’infection respiratoire. Cette prescription tenait compte des nombreuses allergies de la patiente. Cette information a probablement été « oubliée » durant le séjour, lorsque le dentiste a proposé un traitement antibiotique. Par chance, la prescription a été faite par anticipation, en prévision d’un geste prévu dix jours plus tard, ce qui a permis l’interception de l’erreur avant toute administration. Suite à l’intervention de l’interne en pharmacie, l’antibioprophylaxie a été modifiée, et la pénicilline remplacée par de la clindamycine (Dalacine). La situation aurait été probablement bien différente dans le cas d’une prescription classique, à débuter rapidement : l’erreur n’aurait sans doute pas été repérée avant qu’une ou plusieurs prises n’aient été effectuées.
Les pénicillines sont des antibiotiques de la famille des bêta-lactamines. On distingue différentes catégories de pénicillines, dont les propriétés et le spectre d’action varient en fonction de la classe considérée. (voir tableau ci-contre). L’acide clavulanique (associé à l’amoxicilline dans Augmentin) et le tazobactam (associé à la pipéracilline dans Tazocilline) sont des inhibiteurs d’enzymes. Ils permettent de neutraliser les enzymes bactériennes responsables de la destruction des pénicillines (les pénicillinases), qui confèrent à certaines bactéries une résistance aux pénicillines. Leur association avec une pénicilline permet ainsi de retrouver une efficacité contre ces bactéries sécrétrices de pénicillinases. Ces inhibiteurs d’enzymes exposent toutefois à un risque augmenté d’atteinte hépatique.
Les principales indications des pénicillines sont le traitement de première intention des infections ORL, des infections cutanées, digestives et broncho-pulmonaires ainsi que la prévention des endocardites bactériennes. L’amoxicilline, pénicilline du groupe A, est également utilisée dans l’éradication d’Helicobacter pylori (responsable d’ulcères gastroduodénaux) et dans la maladie de Lyme.
→ Les principaux effets indésirables observés avec les pénicillines sont les troubles gastro-intestinaux (diarrhées, nausées, vomissements). Cet effet indésirable peut être prévenu par la prise de l’antibiotique au cours du repas ou la prise concomitante de probiotiques et/ou prébiotiques.
→ Les pénicillines sont fréquemment responsables de réactions allergiques : urticaire, voire œdème de Quincke, et, très rarement, choc anaphylactique. Cette allergie aux pénicillines peut être croisée avec une autre famille de bêta-lactamines : les céphalosporines. Un patient allergique à l’une de ces familles pourra également être allergique à l’autre.
→ Elles peuvent être également à l’origine d’éruptions cutanées non allergiques et de candidoses cutanéo-muqueuses.
→ Les pénicillines sont contre-indiquées en cas d’allergie aux bêta-lactamines. Les pénicillines du groupe A sont contre-indiquées en cas de mononucléose infectieuse, en raison d’un risque accru de réactions cutanées. La présence d’acide clavulanique contre-indique l’utilisation de l’Augmentin en cas d’antécédents d’atteinte hépatique.
→ Certaines pénicillines nécessitent une adaptation posologique chez les patients présentant une insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine inférieure à 40 ou 30 ml/min, selon les pénicillines). Il est important de bien respecter la durée de traitement prescrite par le médecin pour éviter les résistances, de plus en plus fréquentes avec cette famille d’antibiotiques. Lorsque les pénicillines sont sous forme de gélule, il est recommandé de ne pas les ouvrir.
→ L’association de pénicilline (sauf pénicillines du groupe G et M) avec l’allopurinol augmente le risque d’apparition d’éruptions cutanées.
→ Les pénicillines entraînent une diminution de l’élimination rénale du méthotrexate (toxicité hématologique augmentée).
→ Il est nécessaire de renforcer la surveillance de l’INR chez les patients sous anticoagulants oraux pour lesquels une antibiothérapie par pénicilline est mise en place, le traitement antibiotique pouvant perturber l’INR.
L’essentiel en trois points :
→ Médicaments en cause (par ordre de fréquence décroissante) :
– les curares : première cause de choc anaphylactique au cours de l’anesthésie générale ;
– les β-lactamines : imputées dans 40 à 70 % des allergies médicamenteuses. Il existe aussi une allergie croisée entre les pénicillines et les céphalosporines ;
– les AINS (dont l’aspirine) et le paracétamol : responsables d’environ 20 % des réactions allergiques ;
– autres : sulfamides, anesthésiques locaux, macrolides, vaccins, quinolones.
→ Clinique : les manifestations anaphylactiques surviennent quelques minutes à 6 heures après la prise du médicament. Les signes évocateurs sont : rhinite, conjonctivite, asthme, angio-oedème, oedème laryngé, urticaire aiguë, choc anaphylactique. La plupart du temps, plusieurs manifestations cliniques sont associées. Le plus souvent, le médicament aura été administré auparavant sans réaction.
→ Conduite à tenir :
– mise en œuvre immédiate en fonction du tableau clinique : anti-histaminiques, corticoïdes ou adrénaline.
– déclaration du cas d’allergie médicamenteuse à la pharmacovigilance ;
– après l’épisode allergique : consultation d’un allergologue.
→ Les pénicillines sont une famille d’antibiotiques très couramment utilisée. Cependant, leurs effets indésirables sont relativement fréquents : les troubles digestifs, souvent rencontrés, mais pouvant être prévenus ou facilement pris en charge, mais aussi des réactions allergiques qui touchent 10 à 20 % des patients traités. Ces allergies présentent un risque important lorsqu’elles ne sont pas prises en compte : la non-prise en compte d’une allergie connue est répertoriée comme faisant partie des cinq causes les plus fréquentes d’accidents médicamenteux mortels à l’hôpital.
Pour éviter la reproduction d’une telle erreur, il convient de :
→ mentionner de façon visible l’allergie sur le dossier du patient ;
→ garder en tête la fréquence importante des cas d’allergie avec certains antibiotiques ;
→ rester sensibilisé au risque d’allergie médicamenteuse, en particulier en surveillant l’apparition de signes cliniques évoquant une allergie suite à la prise d’un médicament.