Il n’est pas toujours facile de parler des odeurs dans l’exercice infirmier,ni agréable de les sentir. En revanche, il peut être utile de s’en servir !
Le sang a une odeur qui se sent. Anne Pach, infirmière clinicienne en hématologie, la repère quand elle soigne un patient qui saigne. Mais comment la décrire ? Les mots manquent. Dans un couloir de son service, Anne sonde alors trois de ses collègues. L’odeur du sang leur rappelle celle du fer, ou encore celle du métal. Du moins quand il est frais… Car le sang digéré, le méléna, titille autrement les narines. Quant au « pyo », le bacille pyocyanique, il dégage une odeur de « pourriture », voire de « mort », « prenante », « écœurante », « répulsive ».
« Écœurante » : l’odeur est souvent décrite par l’effet qu’elle suscite. Ou assimilée à sa source - telle « une odeur de vomi ». Le lexique est moins développé que pour d’autres sens. « L’odorat suscite à la fois méfiance et fascination, note le professeur de neurosciences André Holley. C’est qu’il s’exerce dans les fonctions que les êtres humains partagent le plus avec les animaux, comme la prise de nourriture et la reproduction »
À l’Ifsi, « avant même le premier stage, l’enseignement sur la pudeur, l’intimité et le respect aborde indirectement et concrètement les odeurs », indique une cadre formatrice à Reims, mais aucun cours ne leur est spécifiquement dédié. C’est l'accès à l’intimité des patients qui marque les étudiantes sur le terrain, plus que les odeurs, auxquelles peu d’études sont consacrées dans le domaine infirmier. Avec l’essor des techniques d’analyse, la sémiologie olfactive - pratiquée depuis Hippocrate- a été délaissée. « Caractériser une odeur, c’est prendre le risque de se tromper », avance même Isabelle Fromantin, IDE à l’Institut Curie, qui prône la prudence (lire aussi l’encadré p. 16). Une odeur dépend du type de plaie et de sa localisation, par exemple. Une plaie digestive sent davantage les premiers jours ; la mauvaise odeur d’une escarre peut être transitoire et s’amenuiser au terme de la détersion ; nombre de plaies tumorales sentent mauvais sans être infectées… Dans un autre registre, comment décrire le gaz d’anesthésie à un patient sur le point d’être endormi ? Comme une odeur de pomme, de champignon, de sous-bois, de terre mouillée, selon les infirmières… « C’est un jeu de demander au patient ce que lui a senti. Mais, souvent, au réveil, il n’en a plus aucun souvenir », remarque Laurent Thierry, Ibode. L’imprécision de notre rapport aux odeurs est dommageable dans le soin, où elles sont légion. « Depuis le début de ma formation, ce sens semble s’être réveillé », témoigne l’IDE Céline Kovaes dans son travail de fin d’études. Une odeur peut constituer un élément diagnostic parmi d’autres, un indice qu’il peut être légitime de porter au dossier ou de signaler au médecin. Ainsi, une intensification d’odeur pour une plaie peut être le signe d’une infection. L’haleine d’un diabétique en coma acido-cétosique sent la pomme de reinette. Une odeur de crottin de cheval émane des selles en cas de Clostridium difficile
Médicaments, produits de nettoyage, plats cuisinés, fleurs (et jadis éther) : les odeurs que rencontrent les infirmières peuvent également être de nature artificielle. Leurs épithéliums olfactifs sont « très mobilisés par l’odeur du désinfectant passé à la serpillière, par la petite fraîcheur, le matin, du savon plongé dans la cuvette d’eau chaude, du sent-bon qu’on se passe après sur les mains et qui se dissout ensuite dans l’effluve douceâtre du corps alité »
Il n’y a pas que le patient qui émet des odeurs, il y a aussi l’infirmière, qui se parfume, qui transpire… Et il n’y a pas que l’infirmière qui perçoit les odeurs, il y a aussi le patient. Dans certaines situations, de façon biaisée. Et pas uniquement en cas de troubles de l’odorat
1 - Références bibliographiques dans l’encadré Sources en fin de dossier..
2 - « Comment perçoit-on les odeurs », sur le site du CNRS : bit.ly/OW2b5F
3 - « Qu’est-ce qui est si difficile… avec le C. difficile ? », Perspective infirmière, janvier-février 2005.
4 - « Mesures incisives pour les handicapés », L’Infirmière Magazine, 230, septembre 2007.
5 - « Diagnosis of head-and-neck cancer from exhaled breath », British Journal of Cancer, mai 2011.
6 - Les infirmières, ni nonnes, ni bonnes, Jacques Saliba, Brigitte Bon-Saliba, Brigitte Ouvry-Vial, Syros, 1993.
7 - Sur ce sujet, lire la Revue médicale suisse n° 127 (3 octobre 2007) : bit.ly/Rira27
8 - « Des chercheurs qui ont du nez », Journal du CNRS, 197, juin 2006.
→ Quelle odeur émane des bactéries de plaies tumorales ? Voilà une question que pose Isabelle Fromantin, IDE à l’Institut Curie, dans sa thèse, financée dans le cadre du programme hospitalier de recherche infirmière. Par chromatographie en phase gazeuse, la praticienne a tenté de caractériser les composés volatils émis par ces bactéries, et de déterminer objectivement ce qui sent mauvais. De façon plus subjective, lors d’une enquête de perception sensorielle, elle a proposé à des professionnels de santé d’évaluer des échantillons issus de cultures de bactéries : dégagent-ils l’odeur typique d’une plaie tumorale ? À quel groupe de mots y associent-ils les odeurs ? Quelle est leur intensité ? La distinction entre composés volatils s’avère difficile. Une infectiologue interrogée a, certes, identifié une bactérie dont l’odeur rappelle le saucisson. Mais, « aujourd’hui, j’ai des doutes sur la capacité à diagnostiquer une bactérie à partir d’odeurs », résume Isabelle Fromantin. De plus, les termes varient d’une personne à l’autre. « D’autres enquêtes permettraient de définir des mots simples », ajoute l’infirmière.