URGENCES PÉDIATRIQUES
SUR LE TERRAIN
INITIATIVE
Au CHI de Poissy-Saint-Germain, une nouvelle organisation du chemin clinique du patient a été mise en place aux urgences, afin d’améliorer sa prise en charge et les conditions de travail.
Le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain est le plus grand établissement de soins d’Ile- de-France, hors AP-HP, et les urgences pédiatriques constituent une unité à part entière, au sein du service de pédiatrie générale. Il est implanté à distance de l’unité d’hospitalisation, dans un bâtiment dédié à l’enfant (urgences et six lits d’hospitalisation de courte durée, consultations et HDJ), et le personnel médical et paramédical est attaché à l’unité. En 2011, 22 000 consultants ont été pris en charge aux urgences (enfants de 0 à 18 ans, hors traumatologie) pour 4 200 hospitalisations (soit 19 % des consultants). Depuis 2008, pendant la période des épidémies hivernales, l’effectif paramédical a été renforcé (1 IDE supplémentaire) pour les week-ends et les jours fériés. La garde médicale a également été doublée : un senior supplémentaire est présent de 9 heures à minuit chaque week-end de novembre à mars. Ce renforcement de personnel a permis d’assurer l’accueil et les soins d’un nombre croissant d’enfants en période de forte affluence.
Une analyse de l’activité hivernale de 2008 à 2010 avait mis en exergue plusieurs éléments (lire aussi Point sur p. 25). Notamment, la forte augmentation de l’activité de novembre à mars, en particulier le week-end. Par exemple, un dimanche de novembre, 125 enfants avaient été pris en charge aux urgences, alors qu’en avril, seulement 40 passages sur 24 heures avaient été enregistrés. Il existait, ensuite, une « cohabitation », dans la salle d’attente, d’enfants ayant besoin d’une simple consultation et d’autres, dont l’état de santé était susceptible de s’aggraver rapidement. L’infirmière responsable de l’accueil, qui doit accueillir et évaluer les arrivants, ne pouvait pas surveiller la salle d’attente de façon efficace. Enfin, l’agressivité et les conflits entre parents et IAO étaient d’autant plus fréquents que l’ordre de passage ne respectait plus l’ordre d’arrivée.
Devant ces difficultés signalées par l’ensemble du personnel, l’équipe a souhaité mettre en place, aux urgences pédiatriques, une nouvelle organisation durant l’hiver 2011-2012. L’objectif était d’organiser la prise en charge de manière à réduire les risques dus au nombre de patients accueillis en même temps dans l’unité et présentant des troubles de santé de gravité variable, ceci grâce à l’optimisation des ressources matérielles et humaines. Ainsi, chaque week-end ou jour férié du 1er novembre 2011 au 26 février 2012, de 9 heures à minuit, deux secteurs d’activité de soins ont été distingués : d’une part, les urgences pédiatriques actuelles, pour les consultations justifiant l’accès au plateau technique ; et, d’autre part, les consultations simples aux urgences (CSAU), pour les enfants ne nécessitant pas le recours à ce plateau technique.
Cette « délocalisation » d’une partie des urgences a été possible grâce à l’utilisation des locaux des consultations pédiatriques, qui ne fonctionnent pas le week-end, et, surtout, qui sont contigus aux urgences. L’ensemble des enfants étaient, comme habituellement, inscrits et évalués par l’IOA. La grille de priorisation des soins permettait de distinguer les patients non urgents (« verts ») des patients urgents (« orange » ou « rouges »). Les « verts » étaient redirigés vers la consultation. Une feuille d’information était remise aux parents. Cette CSAU était assurée par un médecin senior, l’accueil et les soins nécessaires, par une infirmière, de 9 heures à 20 heures, puis par une auxiliaire de puériculture (ou par le médecin lui-même), de 20 heures à minuit. Du 1er novembre au 26 février, 30 % des enfants se présentant aux urgences ont ainsi été réorientés vers la CSAU. Certains dimanches, près d’un enfant sur deux a été pris en charge par la consultation.
Les aspects positifs de cette organisation ont été de plusieurs ordres. Tout d’abord, dans le secteur des urgences pédiatriques : pour l’IOA, la réévaluation et la surveillance des enfants ont été plus faciles, dans une salle d’attente plus calme. Les soignants ont gagné en efficacité, grâce à la limitation de la fatigue et du stress dus à l’afflux de patients, et à la réduction du temps d’attente. Ensuite, dans le secteur des consultations : le temps d’attente a été limité ; les parents n’ont pas montré d’énervement ni d’agressivité puisque l’ordre de passage respectait l’ordre d’arrivée ; le travail en binôme médecin-soignant était intéressant.
Des aspects négatifs ont néanmoins été relevés par l’équipe. En premier lieu, une charge de travail inégale entre la CSAU et les urgences, à certains moments. En effet, cette organisation est tributaire de la demande en soins des patients, et implique une constante adaptation. Certains jours, la CSAU a été fermée quelques heures, afin de répondre à une demande forte de soins médicaux dans le secteur des urgences. Parfois, la CSAU a été assurée par le médecin seul, pour permettre le redéploiement de l’IDE ou de l’AP vers les urgences. Cela a nécessité une grande adaptabilité des personnels et une bonne entente entre les soignants. En second lieu, l’incompréhension de certains parents, qui avaient l’impression d’être renvoyés vers une consultation « au rabais », ou que leur inquiétude n’était pas entendue puisqu’on leur refusait la prise en charge qu’ils jugeaient « la meilleure ». On touche là à la représentation symbolique rassurante de l’hôpital en général, et des urgences en particulier.
Une notion importante est apparue a posteriori, celle de l’amalgame que peuvent faire certains parents entre la prise en charge « aux urgences », et la prise en charge « en urgence ». En effet, comme l’a constaté le Dr Armengaud dans son article « Le quiproquo des urgences pédiatriques » (voir Bibliographie), « ces consultations ne sont pas directement urgentes, elles ne sont pas liées à une nécessité clinique de prise en charge rapide d’une pathologie grave, mais sont plutôt une affaire de commodité familiale ». Plusieurs notions se superposent dans ce recours aux urgences hospitalières. D’abord, le souhait d’une prise en charge médicale de bonne qualité, avec accès possible à de nombreux examens complémentaires. L’hôpital est rassurant. Mais, de plus en plus, l’urgence ne renvoie pas à la gravité d’une situation médicale mais à la volonté des familles d’obtenir rapidement et facilement une réponse. Ce comportement est la source d’un consumérisme médical préoccupant, qui est la preuve d’un défaut d’information ou d’éducation, ainsi que de pratiques intimement liées à l’évolution globale de la société. On peut par ailleurs se demander si le fait de proposer une offre de soins confortable, rapide, et efficace ne génère pas davantage de passages. L’équipe a surtout été satisfaite d’avoir amélioré les conditions de travail, grâce à la diminution du stress et de la fatigue des soignants, en proposant la réponse la plus adaptée à chaque patient en terme de niveau de soins.
En conclusion, la prise en compte des difficultés ressenties ces dernières années par l’équipe soignante des urgences pédiatriques de l’hôpital a permis, par une réflexion collégiale, d’aboutir à une réorganisation qui a engendré, comme cela était souhaité, l’amélioration de la prise en charge du patient et des conditions de travail des professionnels.
CÉLINE TROPHARDY INFIRMIÈRE PUÉRICULTRICE
→ « J’exerce depuis longtemps aux urgences pédiatriques. J’y ai vécu plusieurs réorganisations. Je vois chaque jour le nombre de passages augmenter. Quand je suis en charge de l’accueil, j’évalue, je rassure et je priorise afin d’orienter les enfants. Je m’adapte et j’apporte une réponse appropriée à chaque situation tout en surveillant et soignant les jeunes en salle d’attente. En quelques minutes, je juge de la gravité du problème, et quand l’activité augmente, ce délai diminue. Je dois rester concentrée pour que mon jugement clinique de la situation d’accueil soit fiable, même si les questions fusent et que les temps d’attente s’allongent. Avec le stress, l’agacement ou l’agressivité apparaissent.
La réorganisation a fait l’objet d’une réflexion commune. Des questions précises comme celles de la responsabilité et des hésitations dans l’orientation des patients ont été abordées. Malgré quelques résistances, la mise en place a été rapide. J’ai assisté à la naissance d’un projet innovant, dans une équipe pluridisciplinaire soudée, consciente de ses difficultés. Les retours positifs des soignants et des consultants ont été nombreux. »
→ D. Armengaud, « Le quiproquo des urgences pédiatriques », Urgence n° 18, 200.
→ G. Lenoir, « La pédiatrie, une spécialité en crise », bulletin de l’Ordre des médecins, septembre 2000.
→ J.- C. Mercier, « Engorgement des urgences pédiatriques et demande de soins croissante », Soins pédiatrie puériculture n° 252, février 2010, p. 16.
En 2010, le Pr Mercier, chef de service des urgences pédiatriques de l’hôpital Robert-Debré à Paris, écrit que le nombre de passages aux urgences augmente depuis plus de dix ans, de façon exponentielle depuis 2007 (+ 30 % dans son service). Cette augmentation semble se confirmer dans la plupart des services d’urgences, notamment en Ile-de-France. Si ce flux paraît intarissable, la possibilité d’accueil, elle, reste fixe, à personnel constant. Ainsi, les urgences sont régulièrement « engorgées » par un afflux de patients plus important qu’il n’est possible d’en prendre en charge de façon simultanée. Ce phénomène est exacerbé les soirs et les week-ends (période de garde représentant plus de 70 % du temps de la semaine), lorsque l’offre de soins est très réduite et se limite, dans certains territoires, aux seules urgences hospitalières, faute de permanence médicale libérale. Par ailleurs, comme le souligne le Pr Mercier, « il en résulte un afflux important de “simples consultations” pour des symptômes mineurs », ne nécessitant pas l’accès à un plateau technique d’urgence.
Qualité du service
En pédiatrie, les situations cliniques requérant une prise en charge immédiate pour éviter des complications graves, c’est-à-dire l’urgence « véritable », sont rares. Mais cela doit rester la mission première des urgences hospitalières. La lutte contre l’engorgement des urgences doit avoir pour objectif premier d’apporter, dans les meilleurs délais, les soins les plus adaptés à ces enfants gravement malades. Mais la diminution de la fréquentation des urgences permet aussi d’améliorer la qualité du service rendu, source d’économies (meilleure évaluation clinique, réponses plus adaptées, éducation du patient), ainsi que de lutter contre l’épuisement des professionnels, phénomène souvent négligé dans les services hospitaliers. Les soignants connaissent bien le phénomène de pic d’affluence (admissions massives à certains moments de la journée ou certains jours de la semaine). Ils redoutent chaque année les épidémies hivernales, qui augmentent encore les délais d’attente, source d’agressivité, voire d’incivisme.