Cahier de formation
Madame K., 78 ans, a un cancer du poumon diagnostiqué depuis deux mois pour lequel elle a fait une première cure de chimiothérapie. Elle vous dit souffrir de la bouche, qu’elle a des aphtes très douloureux qui l’empêchent de manger. Son dentier aussi lui fait mal.
Vous lui demandez si elle a perdu du poids ces derniers mois et jusqu’à quel point ses aphtes l’empêchent de manger et quelle est son alimentation sur une journée. Vous l’informez que le cancer et ses traitements sont anorexigènes et qu’à son âge, cela peut devenir problématique. Il faudrait donc faire revoir son appareil dentaire et faire les soins dentaires si nécessaire, avant sa prochaine cure de chimiothérapie. Il faut aussi contacter le médecin traitant pour un bilan nutritionnel.
En cancérologie, une dénutrition modérée ou sévère est observée chez 60 % des patients de plus de 70 ans. Ce qui révèle un déséquilibre durable entre les apports énergétiques de l’alimentation et les dépenses de l’organisme. Cette complication fréquente des cancers et de leurs traitements peut gêner le traitement. Un patient dénutri a un risque de mortalité plus important qu’un patient non dénutri. L’amélioration de l’état nutritionnel permet au patient de mieux résister aux toxicités du traitement, et de se sentir moins fatigué avec une meilleure activité physique. C’est un soin à part entière qui participe à l’amélioration de la qualité de vie et au succès de la prise en charge.
Chez les patients atteints de cancer, une perte de poids altère le pronostic. Chez un patient âgé, le risque de dénutrition doit être une préoccupation permanente qui impose une surveillance accrue de l’état nutritionnel. En cas de perte de poids constatée, l’infirmière doit alerter le médecin traitant, mais aussi le service d’oncologie qui traite le cancer, pour une prise en charge ciblée. La prise en charge d’une dénutrition est d’autant plus efficace qu’elle est précoce. Le dépistage de la dénutrition repose sur :
→ l’estimation de l’appétit et/ou des apports alimentaires ;
→ la mesure du poids ;
→ l’évaluation de la perte de poids par rapport au poids antérieur ;
→ le calcul de l’indice de masse corporelle [IMC = poids (kg) / taille2 (cm)].
La perte de poids est le critère le plus révélateur. Elle est évaluée par rapport à une mesure du poids antérieure, à défaut par rapport à un poids habituel déclaré par le patient (poids habituel ou poids de forme ou le poids le plus élevé dans les six mois), surtout le poids avant le début de la maladie. Chez une personne de plus de 70 ans, une perte de 2 kg en un mois ou de 4 kg en six mois doit faire alerter le médecin. Attention, la présence d’œdèmes, le surpoids ou l’obésité peuvent masquer une perte de poids liée à une fonte musculaire. L’infirmière peut alors utiliser la version simplifiée du questionnaire MNA (lire l’encadré p. 45). L’évaluation des apports alimentaires est très révélatrice et justifie une consultation diététique.
La dénutrition, ou dénutrition protéino-énergétique, peut être due à une diminution des apports, une augmentation des besoins ou un défaut d’absorption ou d’utilisation des nutriments. Les critères de diagnostic après 70 ans ont été définis par la Haute Autorité de santé (voir tableau ci-dessous). Un seul des critères dans ce tableau suffit à poser un diagnostic.
L’augmentation des dépenses énergétiques est due aux perturbations du fonctionnement des cellules et l’inflammation induite par la tumeur. La cachectine, substance produite en quantité par certaines cellules cancéreuses, entraîne un amaigrissement important qui peut évoluer vers une cachexie. La cachexie correspond à la dégradation profonde de l’état général accompagnée d’un amaigrissement important et d’une sarcopénie.
La réduction des apports alimentaires est liée, entre autres, à une perte d’appétit due aux réactions inflammatoires et/ou aux troubles du goût et/ou à une gêne pour avaler (dysphagie) pendant les traitements.
Un mauvais état bucco-dentaire favorise une alimentation pauvre en fruits, fibres et protéines et représente un risque de malnutrition. Quelques mesures doivent être recommandées :
→ utiliser une brosse à dents extra souple en nylon, une brossette interdentaire et du fil de soie dentaire (à utiliser avec une extrême prudence en présence d’un risque hémorragique important) ;
→ si les gencives sont hémorragiques, utilisation de bâtonnets en mousse pédiatrique inhibée d’eau oxygénée à 3 % ;
→ éviter d’utiliser une brosse à dents électrique et interdire les cure-dents ;
→ brosser les dents après chaque repas, avec une pâte gingivale, de la gencive vers les dents, par un mouvement de balayage, sans appuyer ;
→ enlever et nettoyer régulièrement sa prothèse dentaire ;
→ hydratation suffisante pour favoriser la salivation.
D’autres mesures peuvent également éviter la survenue d’irritations : retirer son dentier pour la nuit, éviter l’alcool, éviter les aliments épicés ou acides. La prévention des mucites repose sur une visite chez un dentiste avant la chimiothérapie prévue et la réalisation de bains de bouche (bicarbonate de sodium en flacon en verre disponible en pharmacie) environ six fois par jour et à continuer durant la cure. Les cellules des muqueuses digestives sont particulièrement sensibles aux traitements, un patient sur deux recevant une chimiothérapie et/ou une radiothérapie présente une mucite.
Les facteurs psycho-socio-environnementaux qui affectent particulièrement les personnes âgées favorisent une alimentation plus souvent monotone, une baisse du nombre de repas et un abandon de certains groupes d’aliments comme les produits laitiers, la viande ou les fruits et légumes. En cause, isolement social et prise de repas en solitaire, difficulté à faire les courses et à préparer les repas, difficultés financières, état dépressif, absence d’aide pour la prise des repas, hospitalisation.
Un état de dénutrition peut conduire à une dégradation de l’état général qui s’accompagne d’une maigreur importante (cachexie) due à une perte de graisse et surtout de muscle. La “cachexie cancéreuse” est un syndrome métabolique d’étiologie multifactorielle associé à une dénutrition et dont la correction nécessite le traitement de la tumeur. La dénutrition altère le fonctionnement normal de l’organisme (muscles, cerveau, défenses contre les infections, cicatrisation…). La nutrition a un retentissement important sur la qualité de vie.
La dénutrition peut entraver ou empêcher un traitement. Elle augmente la toxicité des traitements et le risque de complications postopératoires. Chez les patients dénutris, une hypo-protidémie expose à une augmentation de la proportion de molécules libres et donc à un risque potentiel de surdosage des médicaments fortement fixés aux protéines plasmatiques (le méthotrexate par exemple).
Pour un même cancer au même stade, la dénutrition est associée à une durée d’hospitalisation plus longue, un risque de mortalité plus important. Elle serait directement responsable du décès de 5 à 25 % des patients atteints de cancers.
Lorsqu’un traitement du cancer susceptible de faire maigrir est programmé, le patient doit surveiller son poids et adapter son alimentation. En cours de maladie, les besoins protéino-énergétiques totaux sont environ de 25 à 30 kcal/kg par jour en cas de chirurgie et de 30 à 35 kcal/kg par jour en oncologie médicale. Les besoins en protéines sont de 1,2 à 1,5 g de protéines par kilo de poids corporel, par jour (0,8 g/kg par jour en moyenne pour une personne âgée en bonne santé). Le patient peut demander à son cancérologue de bénéficier d’un conseil diététique personnalisé. Prévenir la dénutrition permet souvent d’éviter une nutrition artificielle par la suite, ou tout au moins, d’en réduire sa durée.
→ Profiter des moments où l’alimentation est plus facile pour limiter les risques de dénutrition. Il est conseillé de manger tout ce dont on a envie, de se faire plaisir. Le patient doit surtout profiter de ces périodes de répit pour “faire des réserves” s’il a commencé à perdre du poids. Une alimentation variée, hyperprotéique et hypercalorique doit être privilégiée pour prévenir ou traiter la dénutrition.
→ Maintenir une activité physique pendant la maladie. L’exercice entretient la faim, favorise le maintien de la force musculaire, réduit la sensation de fatigue et améliore la qualité de vie. Même en cas de fatigue, se reposer n’est pas un bon conseil, il faut essayer de maintenir une activité régulière comme marcher à son rythme une à deux fois par jour, selon ses capacités.
→ Fractionner les repas, disposer de collations de haute valeur énergétique, manger ce qui fait plaisir et adapter les horaires des repas pour écourter le jeûne nocturne (collation avant le coucher).
→ Privilégier des aliments caloriques et riches en protéines (sauf en cas de prise de poids) : viandes, poissons, œufs et produits laitiers, consommer des potages ou purées enrichis sans excès avec de la crème, du beurre, des œufs ou du fromage, et des desserts enrichis avec du miel, du sucre ou de la confiture.
→ Prendre des petits déjeuners plus copieux, c’est souvent le moment où l’appétit est le meilleur.
→ Boire suffisamment.
Si malgré les conseils précédents l’alimentation du patient n’est pas suffisante, les apports peuvent être augmentés par la prise de compléments nutritionnels oraux (CNO) en dehors des repas. Leur prescription systématique n’est pas recommandée. Ce sont des préparations alimentaires, fabriquées par des laboratoires de nutrition, qui apportent sous un faible volume, des calories, des protéines, des vitamines et minéraux. La prescription de CNO devrait être accompagnée d’un conseil diététique personnalisé.
La nutrition entérale peut être utilisée transitoirement pour rétablir rapidement le statut nutritionnel. C’est aussi un moyen de relancer l’appétit. Elle est de préférence associée à l’alimentation orale car il est important que le patient garde l’habitude de s’alimenter par la bouche. La nutrition entérale est progressivement abaissée quand le patient recommence à manger, puis arrêtée quand l’alimentation orale apporte suffisamment d’aliments.
L’alimentation parentérale est envisagée quand le tube digestif n’est pas fonctionnel, en présence de problèmes de malabsorption sévères, ou dans le cas de chirurgies digestives.
Docteur Lauren Aubert, service de médecine aiguë gériatrique du CHU de Nantes (Loire-Atlantique)
« Les médecins hospitaliers n’ont pas de contact direct avec les infirmières libérales. Il nous arrive de les contacter quand le traitement pose des problèmes. Faut-il encore connaître leurs coordonnées, car les patients appellent souvent les infirmières par leurs prénoms… Dans le cas du cancer, le patient voit plus souvent son oncologue et moins souvent son médecin traitant. Celui-ci est alors un peu dépossédé de la prise en charge. Les médecins traitants n’ont pasle temps de venir aux réunions concernant le patient à l’hôpital. Les relations entre l’hôpital et la ville doivent être développées. »
Deux études françaises pour améliorer la prise en charge des personnes âgées atteintes d’un cancer ont été présentées au Congrès de l’ASCO 2014 (société américaine d’oncologie clinique). L’étude du Dr Boulahssass, gériatre exerçant à Nice (Alpes-Maritimes) au centre Antoine-Lacassagne et au CHU, confirme l’importance de l’évaluation gériatrique pour prédire les facteurs de risque de décès. L’étude portait sur 547 patients âgés atteints d’un cancer (moyenne d’âge 82 ans) dont 22 % sont décédés pendant les 100 premiers jours. Les patients présentant un cancer en phase métastatique, un MNA inférieur ou égal à 23,5 (évaluation de l’état nutritionnel) et une vitesse de marche inférieure à 0,8 m/s avaient significativement plus de risques de mourir. L’étude souligne ainsi l’importance de dépister les fragilités des personnes âgées et de les accompagner par des interventions gériatriques ciblées telles qu’une prise en charge nutritionnelle adaptée ou une rééducation physique.
Sylvie Lanzalavi, infirmière libérale à Châteauneuf-de-Gadagne (Vaucluse)
« À domicile les patients, comme les familles, posent peu de questions sur leur cancer et son traitement. Il peut y avoir des questions sur un symptôme comme des troubles digestifs, mais le cancer est encore considéré comme une maladie “hyperspécialisée”. Tout ce qui s’y rattache, comme les effets attendus ou indésirables d’un traitement, relève pour le patient de l’équipe spécialisée. En plus de cet aspect complexe, le cancer garde une image de gravité qui semble parfois sidérer le patient et ses proches. Certains sont abattus physiquement et moralement. Les traitements et les allers-retours à l’hôpital sont pénibles. Du coup, même s’ils sont réconfortés par notre présence à domicile, nos visites sont souvent l’occasion de parler d’autre chose et même “de la pluie et du beau temps” certains jours. S’agit-il d’un déni de la maladie pour certains ou simplement d’une parenthèse vis-à-vis du cancer omniprésent dans toutes les têtes ? L’accompagnement d’un patient atteint d’un cancer navigue entre les dits et les non-dits. C’est une maladie “impressionnante”. »
Les formations en oncogériatrie sont disparates en termes de contenu, de durée et de public visé.
Certaines très complètes et médicales (traitement, stratégies thérapeutiques…) sont davantage dédiées aux médecins mais tout de même ouvertes aux infirmières : les Diplômes d’université (DU) de Nantes, de Lyon ou de Toulouse par exemple.
Les réseaux comme Réseau espace santé cancer de Rhône-Alpes proposent des formations pour une approche globale de la personne malade :
→ deux jours pour “base de connaissances en oncogériatrie : connaître l’indispensable” ;
→ un jour et demi pour “formation communication et relation soignant-soigné”, etc.
Les Unités de coordination en oncogériatrie (Ucog), notamment celles de Basse-Normandie, mettent en place une “initiation à l’oncogériatrie” sur une demi-journée concernant le dépistage et la place des évaluations oncogériatrique. Le mieux reste de se rapprocher des Ucog…
Cette version courte du Mini Nutritional Assessment (évaluation) est un outil recommandé par la HAS pour le diagnostic de dénutrition. L’infirmière peut l’utiliser pour le dépistage de la dénutrition.
A. Le patient présente-t-il une perte d’appétit ? A-t-il mangé moins ces trois derniers mois par manque d’appétit, problèmes digestifs, difficultés de mastication ou de déglutition ?
0 = anorexie sévère
1 = anorexie modérée
2 = pas d’anorexie
B. Perte récente de poids (< 3 mois)
0 = perte de poids > 3 kg
1 = ne sait pas
2 = perte de poids entre 1 et 3 kg
3 = pas de perte de poids
C. Motricité
0 = du lit au fauteuil
1 = autonome à l’intérieur
2 = sort du domicile
D. Maladie aiguë ou stress psychologique lors des trois derniers mois ?
0 = oui
2 = non
E. Problèmes neuropsychologiques
0 = démence ou dépression sévère
1 = démence ou dépression modérée
2 = pas de problème psychologique
F. Indice de masse corporelle
0 = IMC < 19
1 = 19 ≤ IMC < 21
2 = 21 ≤ IMC < 23
3 = IMC ≥ 23
SCORE DE DÉPISTAGE :
- 12 points ou plus : normal, pas besoin de continuer l’évaluation.
- 11 points ou moins : possibilité de malnutrition, l’évaluation doit être prolongée par le MNA complet.