L'infirmière Magazine n° 313 du 15/12/2012

 

JARDIN THÉRAPEUTIQUE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Au Centre médical Paul Spillmann de Nancy, les patients se promènent librement dans les allées du jardin de l’hôpital. Baptisé Art, mémoire et vie, cet espace nature a été pensé comme un support thérapeutique. Un tuteur pour les soignants.

Un havre de tranquillité au cœur de la ville. Quatre carrés de verdure aux couleurs, formes et senteurs variées. Chacun représente un des quatre éléments : la terre, le feu, le vent, l’eau. Et affiche une couleur dominante : jaune, rouge, blanc et bleu. Seuls, en petit groupe, ou accompagnés d’un soignant, des patients marchent paisiblement autour de ces carrés. Des bancs, aux formes végétales et ludiques, invitent au repos, à la contemplation de cette flore variée. Il s’agit de goûter l’instant présent. Une fontaine au cœur d’une sculpture en pierre claire laisse entendre sa chanson. Des sculptures garnies de mobiles sonores lui font écho au gré du vent. Derrière la haie, une grille noire regarde vers la rue et permet d’observer le spectacle des passants.

Valence émotionnelle et poésie intérieure

Depuis deux ans, le jardin Art, mémoire et vie du CHU de Nancy est à la disposition des patients, de leur famille et des soignants du Centre médical Paul Spillmann. L’hôpital abrite un service de soin de suite et de réadaptation à orientation gériatrique, une unité cognitivo-comportementale, une autre de soins palliatifs. Thérèse Jonveaux, neuro-psychiatre et chef de service, a élaboré les principes généraux et les détails de ce jardin en s’appuyant sur la littérature scientifique. Un médecin sculpteur, Reinhard Fescharek, a été associé au design thérapeutique du jardin : agencement des végétaux et fabrication des sculptures qui l’animent. Tout dans ce jardin est fait pour éveiller les sens et apaiser les esprits. « Nous avons une lecture neuropsychologique de la conception du jardin. Nous sommes partis des symptômes de la maladie. Le jardin est un support thérapeutique, qui aide pleinement au processus de soin », explique Thérèse Jonveaux. Facile à se représenter, quatre fois quatre carrés, et dégageant un sentiment d’harmonie, ce jardin permet de réhabiliter les fonctions cognitives et de prévenir les troubles psycho-comportementaux des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Il a été conçu afin de stimuler les formes de mémoire les plus épargnées par la maladie. « Face à la défaillance de la mémoire épisodique, nous nous appuyons sur les connaissances, sur ce qui a une valence émotionnelle dans les souvenirs personnels et sur la mémoire procédurale », résume la neurologue. La mémoire épisodique concerne des événements situés dans un contexte de temps et de lieu précis, qui ne sont survenus qu’une fois. La mémoire procédurale s’inscrit dans le sensorio-moteur et reste longtemps active. La mémoire des connaissances n’est pas liée à un lieu ou à une date précise, sauf si elle est attachée à une valence émotionnelle forte, ce qui en favorise la vivacité. D’où l’importance du choix des plantes présentes dans le jardin. Formes, odeurs, goût… tous les sens doivent être éveillés et mis à contribution.

« Mignonne, allons voir si la rose… »

Pour stimuler la mémoire sociale des patients liée aux connaissances et aux émotions, des références culturelles propres à la région composent le jardin. A l’entrée du jardin, le vitrail industriel rappelle l’Ecole de Nancy, qui a marqué la région et le mobilier urbain de la ville depuis les années 20. Avec l’aide de l’association Alzheimer 54, une enquête a également été menée afin de déterminer quelles plantes étaient importantes aux yeux des patients et de leur famille. Ainsi, les jonquilles, très répandues en Lorraine, fleurissent le jardin. Afin de ménager des surprises et de stimuler la curiosité, des plantes plus exotiques côtoient celles auprès desquelles les patients ont vécu pendant des décennies.

Ergothérapeute, psychologue et orthophonistes utilisent la nature comme support pour leurs ateliers thérapeutiques, collectifs ou individuels. Ces activités, proposées et non imposées, sont affichées dans le tableau de la salle à manger et dans les chambres. L’ergothérapeute peut travailler la praxie à l’aide d’une jardinière surélevée. Les infirmières pratiquent également dans le jardin des activités visant à maintenir les capacités et l’autonomie des patients. En leur compagnie, ils arrosent, participent à la taille des haies, commentent les travaux en cours, observent l’évolution des plantes et le cours des saisons. Le contact en contexte avec les plantes est l’occasion de faire ressurgir des noms qui semblaient enfouis à jamais dans les tréfonds de la mémoire. La rose s’impose comme une évidence et réapparaît entre les lèvres d’une patiente, au grand bonheur de sa famille. Un monsieur qui se promène dans les couloirs de l’hôpital pieds nus, à demi-vêtu, pense à mettre ses chaussures au moment de rejoindre le jardin. Véhiculant beauté, rassurance, il a également une fonction sociale. Les patients peuvent s’y donner rendez-vous, retrouver leur famille. Histoire de mener une vie la plus proche possible de celle qu’ils avaient.

Sensations partagées

Pour Stéphanie Mouchotte, cadre de santé au SSR du centre Spillmann, le jardin à visée thérapeutique redonne toute son ampleur à la fonction infirmière : « L’attention particulière au patient, tant recherchée, prend ici tout son sens. La relation change quand nous l’accompagnons dans le jardin. Nous marchons bras dessus, bras dessous, nous nous asseyons ensemble sur un banc et partageons les mêmes sensations. Nous sommes à l’écoute, du patient, de la conversation, du jardin, et échangeons sur ces moments. Cela peut être le bruit du mobile, ou le spectacle de la rue. L’autre jour, j’étais avec une patiente et j’ai senti une odeur de caramel dans le jardin. Je lui en ai parlé, elle trouvait elle aussi que ça sentait bon. Nous avons évoqué la cuisine, les plats d’automne. Ce jardin suscite langage et échange. » Individuelles ou collectives, les sorties au jardin font partie des soins.

Via le jeu, la sollicitation de l’habileté ou la sociabilisation, par une partie de boules, le jardin concourt à améliorer l’état de santé des patients et à maintenir leur autonomie. Ces effets bénéfiques trouvent leur prolongement à l’intérieur de l’établissement : les scores sont affichés dans la salle à manger et peuvent être l’objet de conversation pendant le repas.

Le jardin permet également d’atténuer et de prévenir les troubles psychocomportementaux liés à la maladie. Une sortie en compagnie d’un patient peut se décider à tout moment, au cours de la journée. Question d’intuition, de perception de ces signes indéfinissables, annonciateurs d’une crise d’angoisse ou d’agitation. La promenade lui est proposée de la manière la plus naturelle possible. La marche, les émotions et sensations suscitées par le jardin, la conversation qui se noue avec le soignant sont autant de moyen de désamorcer ces éventuelles crises. « Dans ces moments, nous changeons imperceptiblement le chemin de déambulation pour nous rapprocher du porche et nous diriger vers le jardin. Cela permet de tempérer, d’emmener le patient vers d’autres chemins », explique la cadre de santé. Il est également fondamental que le jardin soit libre d’accès à tout moment aux personnes souhaitant s’y rendre. « Cette liberté offerte aux patients permet de contrebalancer les contraintes liées à l’institution hospitalière », résume la chef du service.

Les vertus bénéfiques du jardin sont également sollicitées la nuit pour apaiser les angoisses qui accompagnent la tombée du jour, prévenir ou corriger des troubles du sommeil. « Les soignants de l’équipe de nuit n’hésitent pas à proposer une promenade juste avant le coucher », précise la cadre. Le jardin étant en libre accès 24 h/24, il est possible de voir un patient parcourir les allées à la lueur des lumières adaptées du jardin, à deux heures du matin. Ce recours à la nature aide le patient insomniaque à retrouver le sommeil, et évite que sa déambulation ne réveille ses voisins.

Ateliers transgénérationnels

Depuis sa conception, le jardin Art, mémoire et vie est associé à une démarche de recherche. Avant et après son ouverture, deux travaux consécutifs ont permis de cerner plus en détail les attentes et envies de ses usagers. « Ces travaux nous ont permis de nous rendre compte de l’importance d’ajouter au jardin des chaises et des tables déplaçables afin de pouvoir s’installer à sa guise dans le jardin. Face à la demande qui avait émergé de pouvoir ramasser quelques baies, nous avons ajouté aux arbres fruitiers déjà présents des plants de groseillier et de fraisier. De son côté, l’équipe avait observé que les petits enfants venaient davantage dans le nouveau jardin. L’occasion de mettre en place des ateliers transgénérationnels ! », sourit Thérèse Jonveaux. Si de nombreuses études sur les jardins thérapeutiques sont menées depuis les années 80 aux États-Unis et au Japon, la littérature scientifique en France sur le sujet reste mince. L’équipe du CHU de Nancy ouvre la voie, en collaboration avec le département de psychologie de l’université de Lorraine. Il s’agit d’évaluer les effets bénéfiques du jardin et l’apport de sa dimension artistique. Des recherches sur l’orientation, l’impact du jardin thérapeutique sur le langage ou la régulation du sommeil permettront d’apporter des preuves scientifiques. Il s’agit de faire évoluer les mentalités françaises, encore trop peu sensibilisées aux bienfaits thérapeutiques des jardins.

L’art de cultiver son jardin thérapeutique

Même si le Plan Alzheimer 2008-2012 indique que les nouvelles unités spécialisées qu’il préconise doivent offrir aux patients l’accès à un jardin thérapeutique, les chiffres ne sont pas à la hauteur de cette ambition. L’étude menée l’an dernier dans le cadre du suivi du plan établissait que sur les 43 unités cognitivo-comportementales mises en place, seulement sept disposaient d’un jardin aménagé. Devant l’absence de précisions sur la manière de concevoir ces jardins, Thérèse Jonveaux et son équipe ont élaboré des recommandations récemment publiées (lire encadré). « Pour encore trop de responsables d’établissements ou de services, le jardin est considéré comme du temps perdu », déplore la neuropsychologue qui souligne également l’intérêt des jardins pour éviter le burn-out des soignants.

Il est pour le moment impossible de comptabiliser le nombre de jardins thérapeutiques existant en France. Si la majorité des établissements possèdent un jardin, celui-ci n’est pas toujours accessible et trop rarement aménagé pour permettre son accès à des personnes ayant un handicap cognitif. Anne Chahine, présidente de l’association Jardins et Santé, constate que « l’ensemble du corps médical n’est pas convaincu de l’efficacité des jardins à visée thérapeutique. Et les bailleurs de fonds, comme les conseils généraux se montrent également dubitatifs. Pour nombre d’Ehpad(1), les jardins ne figurent pas dans les thérapies proposées, mais sont classés dans les commodités de l’établissement, en fin de liste, souvent après le parking. »

Depuis 2007, l’association Jardins et Santé ouvre tous les deux ans un appel à projet pour des bourses permettant d’achever l’aménagement ou de réaliser un jardin thérapeutique. L’évolution du nombre des dossiers qui lui parviennent laisse entrevoir une évolution des esprits. La première année, six dossiers avaient été déposés. En 2011, ils étaient 50 et quinze d’entre eux ont été retenus. Le prochain appel d’offres sera mis en ligne en 2013(2).

1- Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes

2- www.jardins-santé.org

BIBLIOGRAPHIE

→ Cooper Marcus C., Barnes M., Healing gardens : therapeutic benefits and design recommendations, New York, J. Wiley and Sons, Inc., 1999.

→ Cohen-Mansfield J., The impact of environmental interventions on behavioral symptoms in persons with dementia, Les cahiers de la Fondation Médéric Alzheimer, 2007, 3 : 154-63.

→ Jonveaux T., Pop A., Fescharek R., Yzoard M., Pop A., Jacob C., Demarche L. et al, Evaluate of benefits of a healing garden for Alzheimer patients, Alzheimer’s Association International Conference on Alzheimer’s Disease. Paris, 2011.

CRÉATEUR EN HERBE

Quelques conseils à suivre

Thérèse Jonveaux et son équipe détaillent les règles à suivre pour les établissements qui souhaitent créer un jardin à visée thérapeutique.

→ Il est fondamental d’inscrire le projet dans une démarche d’établissement. D’où l’importance d’identifier dès le début du projet la charge représentée par l’entretien et le renouvellement des végétaux. L’organisation du fonctionnement du jardin et son financement doivent être pensés en amont, tout en offrant la possibilité d’une évolution en fonction des besoins émergents.

→ Des éléments d’aménagement sont à respecter : proximité de toilettes ; signalétique claire pour identifier depuis le jardin les portes d’accès à l’unité. Des sentiers sans impasse qui, au contraire, ramènent les patients vers les soignants.

→ Si le jardin doit être clos pour des raisons de sécurité, le sentiment d’enfermement est à éviter. Des hauteurs étagées de végétaux ou un lien discret avec l’extérieur sont à privilégier.

→ Les normes hospitalières doivent être respectées en terme d’hygiène et d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite. La présence d’eau est souhaitable (fontaine).

→ Le mobilier doit associer des éléments fixes et déplaçables, robustes et légers. Prévoir des coins ombre et soleil pour optimiser l’usage du jardin.

→ Des plantes non toxiques avec une variété de couleurs, de senteur et de goût. La présence d’éléments faisant référence à la mémoire culturelle et d’œuvres d’art à impact émotionnel positif est souhaitable.

Le détail de ces recommandations se retrouve dans un article paru dans Gériatrie et Psychologie Neuropsychiatrie du vieillissement, 2012, vol. 10 n° 3.