CULTURES ET RELIGIONS
DOSSIER
Prendre en compte les habitudes alimentaires des patients, dans leur individualité. Un soin au sens large qui intègre la dimension culturelle, psychologique et physiologique de la personne.
L’entrée à l’hôpital transforme, bouscule les dimensions de l’espace social alimentaire de l’individu », indique Jean-Pierre Poulain, professeur de sociologie à l’université de Toulouse II-Le Mirail. Le statut social de malade, la peur d’être mal jugé et l’intériorisation des contraintes pèsent lourdement sur les interactions sociales des patients avec les personnels de service et de soin. En effet, l’alimentation est un moyen de communiquer avec un entourage, une institution. Si la prise en charge alimentaire peut paraître simple, « de multiples dimensions doivent être prises en compte, incluant bien sûr la pathologie mais aussi l’environnement culturel et sociologique du patient », analyse Aliette Bourget-Massari, diététicienne à l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches. La prise en compte des particularismes alimentaires, culturels, régionaux, sociaux ou religieux est une forme de respect de l’identité du malade et fait partie intégrante de la dimension thérapeutique. « L’ensemble des règles sociales qui organisent l’alimentation, depuis la sélection de ce qui est mangeable, jusqu’aux formes de consommation, en passant par les techniques de préparation, est au cœur de l’identité des individus et des groupes sociaux », poursuit Jean-Pierre Corbeau. La possibilité de choisir son menu est très importante pour les patients qui se retrouvent dès lors dans une situation connue, semblable à celle du restaurant, dans laquelle ils maîtrisent une partie des données.
« Manger, c’est le moyen d’affirmer des filiations identitaires de diverses origines. C’est aussi, dans le même temps que l’on construit son appartenance, l’un des moyens de prendre conscience de l’altérité, de s’en distinguer », poursuit le sociologue. Depuis la loi de 1905, qui établit la séparation de l’Église et de l’État, l’hôpital est laïc. « Pour autant, la charte de la personne hospitalisée de 1995 le dit bien : “Tout établissement de santé doit respecter les croyances et les convictions des personnes accueillies.” » Isabelle Lévy
Comment assurer le repas de ceux qui ne mangent pas de porc, souhaitent de la nourriture casher, de la viande halal ? Comment prendre en compte l’interdiction de consommer des animaux inclassables (amphibies, poissons sans écailles…) ou l’impossibilité, pour un pratiquant juif, de mélanger, dans un même repas, le lacté et le carné Sans oublier les pratiques des religions ethniques ou les règles alimentaires de la population végétarienne ? « À chaque stade de la conception d’un plat ou de la décision de produire l’un des ingrédients le composant correspondent des rituels connotant l’aliment, lui conférant une valeur affective, un certain degré de prestige et permettant de le déguster avec confiance ou appréhension », précise Jean-Pierre Corbeau.
Certains hôpitaux s’efforcent de répondre aux multiples demandes en proposant des solutions alternatives. Une véritable politique de communication devrait réduire ou endiguer les représentations subjectives que le malade construit autour du repas. « Le patient a besoin d’être accompagné et informé par le personnel, lui-même formé et informé, qui l’encadrera tout au long de son hospitalisation », insiste Jean-Pierre Poulain.
C’est ce que Sophie Cazin et Elisabeth Barbotin, aides-soignantes dans le service de médecine interne, maladies infectieuses et tropicales du CHU de Poitiers, ont compris. Elles ont créé un livret plastifié pour faciliter le choix des menus : soixante pages présentant les produits alimentaires et les boissons par catégories, illustrées en images et traduites en anglais, espagnol et arabe. « Distribué dans tous les services, ce livret facilite la relation soignant-soigné », assurent-elles.
D’autres initiatives probantes ont été mises en place ailleurs. L’association Uraca
À l’hôpital Avicenne, à Bobigny, la moitié de la population accueillie est d’origine étrangère. « Dans les services traitant les maladies infectieuses, la proportion de migrants, souvent en grande précarité, n’est plus de 50 %, mais plutôt de 75 % ou 80 %. En permanence, les cultures africaines, asiatiques, arabes, européennes se côtoient », décrit Christiane Poulhes, cadre supérieure diététicienne. Comment l’hôpital peut-il soigner autrement ? Comment soigner une personne très vulnérable, compte tenu de l’existence de fortes barrières linguistiques ? « On a fait évoluer le cahier des charges pour que tous les services de l’hôpital puissent offrir, chaque semaine, un plat africain préparé dans la cuisine centrale. Ce type de protocole a été décliné pour les Asiatiques, les Maghrébins, les Indiens. Nous proposons également un menu casher, le plat principal étant un plat appertisé agréé par les représentants de la religion, et un menu végétarien. » Par ailleurs, un partenariat a été mis en place entre le service de médecine infectieuse et tropicale et l’AFMSCP
Au-delà de l’aspect nutritionnel, un tel projet a un effet bénéfique sur la prise en charge globale du patient. « Le fait d’être reconnu dans leur identité alimentaire amène les malades à mieux comprendre et accepter les soins », remarque Marie-Christine Lebon, psychologue. C’est elle qui propose aux patients de rencontrer les médiatrices. « Les malades du sida, surtout en Afrique, sont rejetés par leur famille. Le fait de prendre le repas avec nous, comme dans la tradition africaine, leur donne l’occasion de parler, de sortir de leur isolement », souligne Sarah Miangu-Mas, médiatrice.
2- Unité de réflexion et d’actions des communautés africaines : www.uraca.org
3- Association des femmes médiatrices sociales et culturelles de Pantin : femmediasc.free.fr/