L'infirmière Magazine n° 313 du 15/12/2012

 

BONNES PRATIQUES

DOSSIER

Créer un environnement favorable et proposer des plats de qualité. La recette paraît simple, mais peu d’hôpitaux axent leur politique d’alimentation sur le bien-être gustatif du patient. Au menu, quelques initiatives où le respect du malade mitonne avec amour en cuisine.

L’hospitalisation est un moment très parti­culier de la vie. Elle se déroule sans activité propre du malade. Dans ces circonstances, la nourriture devient une préoccupation principale qui constitue un lien avec la vie normale. « Les repas doivent respecter des règles d’hygiène extrêmement strictes, être adaptés aux différentes pathologies rencontrées à l’hôpital – régime sans sel, sans résidu, aliments à texture modifiée – et en plus être source de plaisir dans un moment toujours difficile, le séjour à l’hôpital. Une tâche pas facile ! », reconnaît Didier Girard, président de l’UDIHR(1). Au CH du Mans où il est responsable de la restauration, il faut nourrir chaque jour 3 750 personnes. « Nous avons défini des objectifs sur le plan alimentaire comme sur le plan hôtelier. Avant tout, il faut donner envie de manger. » Médecins, infirmières, aides-soignantes et personnel de la restauration collective, dont les diététiciens et les nutritionnistes, se réunissent régulièrement pour définir les problèmes rencontrés, répondre aux souhaits des patients : « À nous de nous harmoniser pour définir un projet, en prenant en compte les orientations du PNNS(2) et du PNA(3). »

Ce sont les établissements qui décident de leur politique. Avec 27 profils alimentaires environ, la restauration et l’hôpital sont chargés de proposer un plateau appétissant avec fiche culinaire et présentation soignée. Tous les services du CH du Mans dépendent d’une cuisine centrale, située au cœur de l’hôpital. « Il faut d’abord connaître le patient, jeune ou moins jeune, avec ses spécificités. Par ailleurs, l’unité est en relation avec une diététicienne », explique Didier Girard. Diversifier les repas ne concerne pas que les patients, mais également le personnel, 220 jours par an. La question de l’alimentation n’est pas considérée point par point, mais de façon globale. « On a travaillé sur ce projet pendant des années avec la formation du personnel de l’hôpital et la prise en compte des produits », souligne le président de l’UDIHR. Les cuisiniers goûtent les plats, les apprécient. Leur transport se fait en douceur, pour ne rien détériorer. Enfin, les aides-soignantes ayant bénéficié d’une formation savent que tout est important : dire « Bonjour ! » et « Bon appétit ! », ne pas porter le même tablier pour le service et pour les soins, ne pas laisser un verre dans une chambre toute la journée…

Au Mans, le CH cuisine l’art du détail

Le repas est essentiel dans la prise en charge thérapeutique. Déposer une rondelle de citron frais sur un poisson, une feuille de menthe sur un taboulé, mettre à la disposition des patients des petits pots d’épices et du vinaigre balsamique dans les services… le plaisir se trouve souvent dans les petites choses, qui ne grèvent pas les budgets. Des idées que le CH du Mans cuisine au quotidien. « Nous avons également réintégré les frites une fois par semaine, préparées au self et apportées au dernier moment. C’est important de répondre au désir des patients », soutient Didier Girard, dont l’ambition est de booster les équipes, de se concentrer sur l’organisation et de faire comprendre qu’offrir une bonne alimentation repose sur une question d’humanité. « Si des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer mangent avec leurs mains, pourquoi ne pas préparer de petits volumes faciles à manger avec les mains ? C’est un projet de service à régler. Il faut parfois un peu perturber les services de soins, les réorganiser. »

Au sein des cliniques privées, il existe souvent une vraie démarche hôtelière. Comme à la clinique Pasteur de Toulouse où 80 % des produits en provenance d’un Esat(4) local sont frais, de saison et locaux. Les menus fonctionnent par cycles de quatre semaines et diffèrent à chaque repas. À partir d’un menu de base, il existe une trentaine de déclinaisons possibles en fonction de la pathologie, des régimes spéciaux, des allergies, des problèmes de surpoids.

« La force de la restauration vient de sa flexibilité grâce à sa gestion directe. Cette autonomie permet de répondre aux besoins des patients au quotidien. Si tel ou tel plat ne convient pas, le malade peut demander du jambon, un steak, une omelette, du poisson… », explique Olivier Toma, président du C2DS(5). La clinique a été la première à obtenir la certification Iso 14 001 (loi Grenelle 2) : elle a créé 24 filières de tri, diminué les déchets, réduit sa consommation d’eau de 40 %…

Veiller à l’éducation alimentaire des enfants

À l’hôpital de jour et de semaine du CHU Raymond-Poincaré de Garches, les services de médecine physique et de réadaptation et le Centre de référence des troubles du langage et des apprentissages ont compris que la prise en charge des enfants recouvre un champ vaste et que la rééducation s’appréhende au sens large du terme. « C’est à nous de veiller à la mise en place d’une surveillance de l’hygiène et de l’équilibre alimentaire, mais aussi de contribuer à l’éducation alimentaire des enfants », affirme Lahouari Zergan, cadre infirmier. L’idée ? Retravailler plus de produits bruts comme les viandes, les légumes, pour faire des économies et dégager de petites sommes réaffectées pour l’achat de produits bio. « Les cuisiniers se retrouvent dans cette démarche, vont rencontrer les enfants, ont plaisir à travailler des produits de qualité, explique Nolwenn Beauverger, ingénieur restauration. Cela s’inscrit dans une démarche globale de sensibilisation avec des interventions de professionnels de l’agriculture biologique auprès des enfants hospitalisés, des repas à thème, des dégustations, la création d’un potager “en hauteur” par les jardiniers de l’hôpital pour que les enfants en fauteuil puissent faire des semis… »

Une aventure collective et de cohésion autour de la nutrition qui s’étend à tout l’hôpital. L’été dernier, à partir du mois de mai, des tomates biologiques ont été systématiquement servies à l’ensemble des patients. Le dimanche, du pain bio leur est proposé, ainsi qu’aux clients du restaurant du personnel. Une démarche bien accueillie, qui séduit et réduit le nombre de plateaux renvoyés sans être touchés. « L’alimentation “normale” est la première des médecines. Avant d’avoir recours aux complémentations alimentaires, il faut prendre le temps de voir ce qui peut être consommé dans un cadre classique avant de médicaliser l’alimentation. De plus, dans un contexte économique délicat pour l’hospitalier, une CNO(6) coûte beaucoup plus cher qu’un repas enrichi par la restauration et ne sera pas forcément mieux consommée. J’ai tendance à dire qu’un patient bien nourri est un patient vite parti ! », observe Nolwenn Beauverger.

Il n’en reste pas moins que des investissements colossaux sont réalisés chaque jour par l’ensemble des industriels de la chaîne agroalimentaire pour la fabrication d’une kyrielle de repas « prêts à l’emploi ». Il suffit de les réchauffer en un clic avant de les distribuer aux patients. « Il est tellement plus simple de lancer un marché et de s’en remettre aveuglement à un industriel plutôt que de se remettre en question et de privilégier le savoir-faire de cuisiniers. Et pourtant, ils excellent dans leur métier ! », se désole Yannick Strottner, président de l’ACEHF(7).

1- Union des ingénieurs hospitaliers en restauration.

2- Plan national de la nutrition et de la santé.

3- Plan national pour l’alimentation.

4- Établissement et service d’aide par le travail.

5- Comité pour le développement durable en santé.

6- Complémentation nutritionnelle orale.

7- Association culinaire des établissements hospitaliers de France.