DOSSIER
IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN
Mme L. G., âgée de 80 ans, est hospitalisée en soins de suite pour une prise en chargede lombalgies importantes consécutives à une chute, et d’une appréhension à la marche (syndrome post-chute). Cette patiente présente de lourds antécédents chirurgicaux : elle a souffert d’une fracture des deux poignets, a bénéficié d’une prothèse totale des genoux gauche et droit, et d’une prothèse de la hanche droite. Au niveau cardiaque, elle a eu un remplacement de la valve mitrale. Sur le plan cognitif, la patiente reconnaît des difficultés mnésiques. Le MMS est à 23/30 avec une orientation temporo-spatiale plutôt bonne. Sur le plan biologique, aucune perturbation importante n’est relevée. Sur le plan radiologique, des tassements vertébraux (T8 T9 T10) sont identifiés,ainsi qu’une arthrose lombaire postérieure sur cypho-scoliose.
Son traitement médicamenteux habituel à domicile comporte du Témérit® 5 mg (1 par jour), du furosémide 20 mg (1/2 par jour), du Tanganil® (1 matin et soir), du Kardégic® 75 mg (1 par jour), de la Lamaline® (1 à 4 par jour selon les douleurs) et du Ginkor Fort® (2 par jour). L’évolution des douleurs dans le service conduit à une modification du traitement antalgique : remplacement de la Lamaline® par trois prises par jour d’Efferalgan® codéiné associé à trois prises de Doliprane®, puis par l’association d’un traitement par paracétamol à dose maximale associé à du tramadol (Contramal® LP 100 matin et soir, et Contramal® 50 mg à la demande dans la journée).
À son entrée dans le service, le rythme cardiaque est régulier, et il n’y a pas d’anomalie à l’auscultation cardiaque. Cependant, la patiente présente des chiffres tensionnels élevés, conduisant à un ajout dans son traitement antihypertenseur habituel : de l’Amlor® est introduit le 30 mai. Début juin, la patiente présente d’importants œdèmes des membres inférieurs, la fréquence cardiaque est à 66 bpm, et la tension artérielle à 120/65.
L’amlodipine est un inhibiteur calcique très largement utilisé. Son action se fait par inhibition prolongée de l’entrée du calcium dans les cellules musculaires lisses et des cellules myocardiques par les canaux calciques lents. Ceci conduit à un effet relaxant au niveau des muscles lisses vasculaires, et à une action antihypertensive.
Cette vasodilatation est également responsable d’effets indésirables (céphalées, rougeur de la face), dont des cas d’œdèmes des membres inférieurs ou de la face.
Devant cette manifestation, le prescripteur a procédé à l’arrêt de l’amlodipine. L’évolution a été favorable, et les chiffres tensionnels se sont normalisés dans la suite de la prise en charge de cette patiente.
Les inhibiteurs calciques représentent une famille importante de médicaments en cardiologie : plus de 10 molécules sont commercialisées sous la forme de plus de 20 spécialités différentes. Parmi les inhibiteurs calciques les plus utilisés, citons le diltiazem (Tildiem®), le verapamil (Isoptine®), l’amlodipine (Amlor®), la nicardipine (Loxen®), la lercanidipine (Lercan®, Zanidip®) et la nifédipine (Adalate® et Chronadalate® LP).
Ces médicaments sont indiqués dans différentes situations cliniques : l’hypertension artérielle, le traitement préventif des crises d’angor (angor d’effort et/ou angor spastique selon les spécialités), ainsi qu’en prévention secondaire de l’infarctus du myocarde (verapamil), et dans certains troubles du rythme cardiaque (diltiazem et verapamil).
La nicardipine injectable (Loxen®) possède également un intérêt dans le traitement de certaines urgences hypertensives et dans le traitement des formes graves d’hypertension artérielle gravidique.
Les effets indésirables des inhibiteurs calciques sont relativement nombreux et fréquents.
→ Une grande part des effets indésirables sera d’ordre hémodynamique, en raison du mode d’action de ces médicaments : céphalées, palpitations, sensation de chaleur et rougeur du visage. Ces phénomènes pourront concerner jusqu’à 10 % des patients, et sont généralement transitoires. Plus rarement, des tachycardies, syncopes et hypotensions artérielles ont été rapportées.
→ Un grand nombre d’effets indésirables cutanéo-muqueux sont également décrits. Ainsi, au long cours, des éruptions cutanées psorisiformes peuvent apparaître, en particulier en cas de prescription concomitante de bêtabloquants. Des prurits, urticaires et éruptions sont également observés. Des réactions plus sévères, comme des syndromes de Stevens-Johnson (erythème multiforme, potentiellement mortel), ont été observées de manière rare (0,65 cas par million de prescription pour le verapamil). Ces réactions ont un délai d’apparition plus court, pouvant aller de deux jours à trois mois après l’initiation de traitement.
→ D’autre part, des réactions de photosensibilisation ont été observées. Elles concernent principalement la face et le tronc. Cette photosensibilisation est parfois croisée entre inhibiteurs calciques différents. Cette réaction peut prendre la forme d’une hyper-pigmentation cutanée sur les zones exposées (face, cou, avant-bras, mains) : apparition de taches de couleur gris-bleu. Ces marques semblent lentement régressives à l’arrêt du traitement.
→ Enfin, des cas d’hyperplasies gingivales, pouvant concerner jusqu’à 38 % des patients selon les inhibiteurs calciques, sont également rapportées. Ces atteintes sont observées plus fréquemment chez l’homme que chez la femme (environ trois fois plus fréquemment).
Les inhibiteurs calciques font également partie des médicaments pouvant perturber le sens du goût (dysgueusies), ou conduire à des troubles digestifs (constipations parfois sévères). De rares cas de syndromes parkinsoniens ont également été décrits.
Les inhibiteurs calciques ne doivent pas être utilisés chez les patients ayant des antécédents de réactions allergiques avec cette famille de médicaments. Certaines pathologies cardiovasculaires contre-indiquent également leur utilisation : insuffisance cardiaque décompensée, syndrome coronaire aigu, infarctus du myocarde récent, insuffisances rénales ou hépatiques sévères (pour certains inhibiteurs calciques).
Les inhibiteurs calciques présentent un profil de risque très variable au niveau des interactions médicamenteuses.
Certains d’entre eux ne présentent que peu d’interactions : c’est le cas de l’amlodipine par exemple, dont l’utilisation est déconseillée avec le dantrolène IV et la ciclosporine.
D’autres présentent de très nombreuses interactions potentiellement graves. C’est le cas du diltiazem, dont l’utilisation est totalement contre-indiquée avec le dantrolène IV, le sultopride, le pimozide, les dérivés de l’ergot de seigle, et fortement déconseillée avec de nombreux autres médicaments.
Lors de l’administration par voie injectable, les inhibiteurs calciques peuvent provoquer une baisse de la pression artérielle et des troubles du rythme cardiaque. Une administration sous ECG peut être recommandée pour certains d’entre eux (verapamil).
L’utilisation de ces médicaments chez les patients âgés, insuffisants rénaux ou hépatiques peut nécessiter une adaptation des posologies.
→ Les inhibiteurs calciques sont des médicaments d’usage courant, en raison des indications nombreuses de cette famille thérapeutique. La tolérance de ces médicaments n’est toutefois pas parfaite : d’assez nombreux effets indésirables sont décrits, pour lesquels la fréquence de survenue peut être élevée.
→ Les indications et contre-indicationsde ces traitements peuvent être extrêmement complexes, rendant difficile la détection d’anomalies sur les prescriptions.
La recherche des effets indésirables potentiels par l’infirmière prend tout son sens pour ces médicaments, pour lesquelsun usage au long cours est envisagé, d’autant plus que le délai de survenue peut être précoce pour certains effets indésirables,et distant pour d’autres.
Des cas de surdosages mortels ont été rapportés par ingestion accidentellede comprimés d’inhibiteurs calciquespar des enfants.