DOSSIER
L’ESSENTIEL
A l’heure où l’obésité et la surcharge pondérale sont une préoccupation de santé publique, la dénutrition touche une partie importante de la population, particulièrement les personnes âgées. En institution, la prévalence de la dénutrition varie de 15 à 38 %, et elle peut atteindre 50 à 60 ?% chez les malades âgés à l’hôpital. En 2001, le premier programme national nutrition santé (PNNS) faisait de la prévention et de la prise en charge dans ce domaine des axes majeurs. Le PNNS 2 de 2006-2010 ciblait une réduction de 20 ?% du nombre de personnes âgées de plus de 70 ans dénutries. Les différents plans et les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) ont fait évoluer la prise de conscience. Des progrès ont été réalisés, mais les objectifs ne sont pas atteints. Les infirmières ont un rôle stratégique, qui vise à mettre en place un meilleur traitement de cet élément important du suivi global du patient.
La dénutrition, ou dénutrition protéino-énergétique, est un état pathologique consécutif à un déséquilibre quantitatif ou qualitatif entre les apports nutritionnels et les besoins en protéines et en calories de l’organisme. Elle peut être due à un ou plusieurs des troubles suivants :
– une diminution des apports ;
– une augmentation des besoins ;
– un défaut d’absorption ou d’utilisation des nutriments.
Ils ont été définis par la HAS (après 70 ans, un seul des critères suivants suffit à poser un diagnostic).
Chez les personnes âgées, la fragilité correspond aux états intermédiaires entre vieillissement normal et vieillissement pathologique. Les personnes sont dites « fragiles » lorsqu’elles présentent un risque accru de morbidité, de dépendance fonctionnelle, d’hospitalisation, d’entrée en institution ou de mortalité. Chez les personnes âgées (à partir de 70 ans), la dénutrition est associée à une augmentation de la mortalité, de la durée de séjour à l’hôpital, des infections nosocomiales, de l’apparition d’escarres, de chutes et de fractures. Ce qui fait de la dénutrition un facteur important de fragilité.
L’expression « anorexie liée à l’âge » a été utilisée pour décrire la diminution progressive des apports alimentaires au cours de la vie adulte. Cette diminution est due à un abaissement de la sensation d’appétit le matin à jeun et à une augmentation de la sensation de satiété après le repas. Les mécanismes encore méconnus impliqueraient : une altération des capacités sensorielles, un ralentissement de la vidange gastrique, une augmentation des facteurs anorexigènes (cholécystokinine, en particulier), et une diminution des facteurs orexigènes (hormone de croissance, neuropeptide Y…). De plus, après une période de sous-alimentation (choc psychologique, pathologie…), les personnes âgées, à la différence des plus jeunes, n’augmentent pas spontanément leurs apports alimentaires pour retrouver leur poids antérieur.
Le vieillissement entraîne des modifications du goût et de l’odorat, qui sont des acteurs essentiels dans la régulation de l’appétit :
– les saveurs et les odeurs ne sont perçues que lorsqu’elles sont plus concentrées. C’est particulièrement le cas pour le goût salé, ce qui explique la désaffection pour la viande et les légumes. Avec, à l’inverse, un plus grand attrait pour le goût sucré ;
– les saveurs et les odeurs complexes sont moins bien distinguées. D’où une tendance à trouver les aliments plus fades et plus monotones.
Quelques conseils culinaires aident à prévenir cette évolution :
– des saveurs variées préservent le goût, alors que la monotonie conduit à la perte de goût ;
– les plats relevés avec des épices permettent de pallier la perte de l’odorat.
Il faut également savoir que de nombreux facteurs peuvent altérer le goût : certains médicaments et pathologies (insuffisance rénale chronique, tous les cancers…), une déshydratation même débutante, la malnutrition elle-même, qui réduit le renouvellement des « bourgeons » du goût (récepteurs situés sur la langue), le tabac…
La mastication des aliments et leur imbibition salivaire permettent la constitution du bol alimentaire, qui est la première étape de la digestion.
Un mauvais état bucco-dentaire favorise une alimentation pauvre en fruits, fibres et protéines et représente un risque de malnutrition. Ce qui est le cas d’une majorité de personnes âgées puisque seulement 3 % gardent une denture saine et 50 % présentent une édentation totale
Quelques mesures doivent être recommandées : détartrages réguliers, hydratation suffisante (pour favoriser la salivation), utilisation d’un dentifrice fluoré, ainsi que mise en place de prothèses adaptées autant que possible.
Le vieillissement physiologique s’accompagne d’une diminution progressive de la masse musculaire (sarcopénie), qui est aggravée par une dénutrition. Comme il n’y a pas de réserve de protéines dans l’organisme, en cas d’apports insuffisants, celui-ci puise dans certains tissus, particulièrement dans les muscles. La sarcopénie participe à la fragilisation. Elle entraîne une diminution de la force musculaire et augmente le risque de dépendance, de troubles de la marche et de chute.
La plupart des maladies induisent un hyper– catabolisme, c’est-à-dire une destruction accélérée de certaines molécules organiques, qui augmente les besoins nutritionnels. La HAS relève aussi :
– les pathologies ORL et neurodégénératives ou vasculaires entraînant des troubles de la déglutition ;
– les troubles psychiatriques : syndromes dépressifs, troubles du comportement, maladie d’Alzheimer et autres syndromes démentiels ;
– les affections qui ont pour conséquences : douleurs, pathologies infectieuses, constipation sévère, escarres…
Le diabète, la cirrhose et les néphropathies occasionnent des pertes constantes en protéines.
Les régimes sans sel, amaigrissant, diabétique, hypocholestérolémiant, sans résidu au long cours présentent tous un risque de dénutrition pour les personnes âgées. À part quelques exceptions très rares (et limitées dans la durée), ils doivent être évités car ces régimes restrictifs sont plus néfastes que bénéfiques après 75 ans.
Ils affectent l’appétit lorsqu’ils sont pris en début de repas ou chez les personnes qui prennent plus de trois médicaments par jour. De nombreux médicaments, par leurs effets secondaires, sont susceptibles d’être impliqués dans la perte de poids :
– Médicaments anorexigènes : cardio-vasculaires (digoxine, amiodarone…) ; gastro-intestinaux (cimétidine, interféron) ; psychiatriques (phénothiazines, lithium, imipramine, IRS…) ; la plupart des antibiotiques ; antirhumatismaux (AINS…) ; pulmonaires (théophylline)… ;
– Médicaments entraînant une malabsorption : laxatifs, cholestyramine, méthotrexate, colchicine, néomycine… ;
– Médicaments augmentant le métabolisme (consommateurs d’énergie) : théophylline, L-thyroxine en excès, triiodothyrosine en excès, D-pseudoéphédrine.
Ce sont des facteurs qui affectent particulièrement les personnes âgées : isolement social et prise de repas en solitaire (peu de confidents), difficulté à faire les courses et à préparer les repas, difficultés financières, état dépressif (particulièrement lors d’un deuil), absence d’aide pour la prise des repas, hospitalisation ou entrée en institution, qui perturbent les habitudes de vie. De fait, pour les personnes de plus de 70 ans vivant seules, l’alimentation est plus souvent monotone, avec une baisse du nombre de repas et un abandon de certains groupes d’aliments comme les produits laitiers, la viande ou les fruits et légumes.
Ils sont divers
– le changement d’environnement, des horaires de repas et des habitudes alimentaires (facteur aggravant) ;
– le choix alimentaire limité et les menus peu explicites ;
– les horaires trop rigides des repas ;
– le manque de communication entre l’équipe soignante et celle qui dessert les plateaux-repas lorsque ceux-ci n’ont pas été entamés ou terminés.
– les repas non entamés ou non terminés : plateaux placés hors de portée des patients alités, difficultés à utiliser les couverts et à manger sans aide, particulièrement chez des patients atteints d’un accident vasculaire cérébral, de démence, d’états confusionnels ou de pathologies arthritiques déformant les mains ;
– jeûnes précédant certains examens complémentaires ou interventions et réalisation d’examens au moment des repas.
Ils correspondent à la quantité d’énergie à apporter à un individu pour maintenir un poids et une composition corporelle compatible avec un bon état de santé et une bonne activité économique et sociale. Les personnes âgées ont besoin d’une alimentation abondante, variée et de qualité. Pour une activité équivalente, leurs besoins énergétiques sont supérieurs à ceux des sujets plus jeunes à cause d’un moins bon rendement métabolique des nutriments.
Les apports nutritionnels nécessaires sont évalués à 36 kcal/kg/j (2 160 kcal par jour pour un sujet de 60 kg). Ils ne doivent pas être inférieur aux apports nutritionnels conseillés définis par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), fixés à 30 kcal/kg/j.
« Ces besoins ne sont pas plus faibles que chez l’adulte jeune, prévient le Professeur Pierre Dechelotte, chef du service de nutrition clinique du CHU de Rouen. « Il est faux de penser qu’à partir d’un certain âge on a moins besoin de protéines, alors que les personnes âgées consomment moins de viande, de poisson, de laitages… ». L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) a évalué ces besoins en protéines à 0,8 g/kg/jour en moyenne, et recommande un apport nutritionnel journalier de 1 g par kilo de poids corporel, et des apports de 1,2 à 1,6 g/kg/j en cas de dénutrition ou de pathologie aiguë. En cas d’agression sévère (infection, intervention chirurgicale…), l’apport doit être augmenté jusqu’à 1,5 g, voire 2 g/kg/j
Chez les sujets âgés en bonne santé, la mortalité à cinq ans est dix fois plus importante dans le cas d’une dénutrition déjà constituée avec une albumine < 35 g/l et trois fois plus importante pour une dénutrition débutante avec une albumine < 39 g/l
À affection égale, la durée d’hospitalisation est multipliée par deux à quatre chez un malade dénutri.
La dénutrition entraîne une immunodépression qui se traduit par une lymphopénie à l’origine d’infections plus fréquentes et plus sévères. Il s’agit, notamment, d’infections respiratoires, du site opératoire, des voies veineuses, d’infections bactériennes et urinaires. Et, à leur tour, les infections vont venir majorer la dénutrition.
Au même titre que l’âge, la durée de séjour à l’hôpital et la présence d’une sonde urinaire, ainsi que des apports alimentaires insuffisants sont associés à un risque accru d’infections nosocomiales
Des apports alimentaires et un IMC insuffisants sont des facteurs de risque de développer des escarres. Chez des patients âgés et grabataires, les escarres les plus profondes sont liées à une altération plus sévère du statut nutritionnel. La prise en charge dans ce domaine réduit le risque d’apparition des escarres. Chez les personnes âgées à risque d’escarres pour d’autres raisons que la dénutrition (immobilisation, notamment), ou avec escarres constituées, les objectifs nutritionnels sont identiques à ceux recommandés pour les personnes âgés dénutries, soit 30 à 40 kcal/kg/jour, et de 1,2 à 1,5 g de protéines/kg/jour.
La sarcopénie aggravée par la dénutrition est synonyme de faiblesse musculaire, facteur favorisant les chutes.
Des apports insuffisants en calcium et en vitamine D favorisent l’ostéoporose, dont la principale complication est la fracture du col du fémur, facteur de perte d’autonomie et d’entrée en institution.
Par ailleurs, un déficit en protéines entraîne un affaiblissement de la trame osseuse néfaste à la fixation du calcium.
1– « Nutrition de la personne âgée », voir Savoir+ p. 42.
2– « Évaluation diagnostique de la dénutrition protéino-énergétique des adultes hospitalisés », Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes), Septembre 2003.
3– « Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique chez la personne âgée », Haute Autorité de santé, avril 2007.