LACTARIUM D’ILE-DE-FRANCE
REPORTAGE
Situé à Paris, le lactarium d’Ile-de-France assure chaque année l’alimentation de quelque 2 500 bébés prématurés. Pour eux, le lait maternel est une nécessité vitale. Le dispositif repose exclusivement sur les dons de mamans bénévoles et sur une organisation et un traitement du lait sans failles.
Les trois congélateurs sont pleins à craquer. Quelque 200 litres de lait maternel y sont aujourd’hui conservés, prêts à être consommés. Karine Dufour, puéricultrice coordinatrice et responsable de la pasteurisation, ne cache d’ailleurs pas sa satisfaction. « Ça fait plaisir à voir ! », lance-t-elle. Quelques semaines avant les vacances d’été, les clayettes étaient pourtant désespérément vides, et un vent de pénurie planait sur Paris et sa région. « Au pire moment, nous ne disposions plus que de 400 ml de lait, soit l’équivalent de deux biberons », relate la puéricultrice. La situation était tellement critique que le lactarium d’Ile-de-France avait dépêché d’urgence un membre de l’équipe pour se procurer quelque 300 l du précieux breuvage à… Lille. Confronté à une impensable disette, le service de presse de l’hôpital Necker, auquel est rattaché le lactarium francilien depuis plusieurs mois, avait également adressé un communiqué de presse à toutes les rédactions de la région. Il sollicitait leur aide afin qu’elles relaient auprès des jeunes mamans son besoin impérieux de dons de lait maternel. L’appel avait été lancé par de nombreux médias, et entendu. Quelques jours plus tard, le secrétariat croulait sous les appels téléphoniques. L’opération avait permis d’identifier environ 150 donneuses potentielles. Une moyenne de 200 donneuses est en permanence nécessaire pour couvrir les besoins de la région. Recruter des mères donneuses est un enjeu de taille et un combat de chaque jour pour le lactarium francilien puisque sur les 10 000 prématurés qui naissent chaque année dans l’Hexagone, 2 500 voient le jour en Ile-de-France. Parmi eux, ceux pesant moins de 1 500 g et nés avant moins de 32 semaines de gestation doivent absolument être nourris au lait maternel, du fait, notamment, de l’immaturité de leur système digestif et des qualités naturelles de ce lait, en particulier pour lutter contre les infections. Or, durant les tout premiers jours qui suivent l’accouchement, les jeunes mères de ces nourrissons ne sont pas physiologiquement, ni parfois psychologiquement, prêtes à allaiter. Elles peuvent aussi être empêchées pour des raisons médicales, ou ne pas le souhaiter. Une seule solution alors : alimenter les nouveau-nés avec du lait maternel issu de dons. Chaque année, le lactarium en pasteurise ainsi quelque 6 000 litres.
Ce matin, la pasteurisation bat son plein. Karine Dufour et deux agents hospitaliers sont à la manœuvre. Elles doivent traiter le plus rapidement possible le lait maternel qui a été collecté ces derniers jours et conservé au congélateur. « Nous mélangeons le lait de chaque maman dans un même lot afin d’homogénéiser sa composition. Ensuite, tous les lots sont pasteurisés le plus vite possible. Ce n’est pas une obligation, mais une précaution supplémentaire, afin que le lait ne séjourne pas dans les réfrigérateurs une fois décongelé, explique Karine. Au préalable, des échantillons de lait cru sont prélevés. Ils seront ensuite comparés aux résultats des échantillons prélevés, eux, sur les lots pasteurisés, et qui nous parviennent par informatique 48 heures plus tard, provenant directement du laboratoire de l’hôpital Necker. Si tout est normal, le lot pourra alors être vendu aux établissements. » « En revanche, si, par exemple, un lot pasteurisé ne révèle pas de traces de certains germes, tel le staphylocoque doré, mais que ce germe est présent dans l’échantillon témoin de lait cru, le lot entier sera systématiquement détruit. Certaines souches possèdent, en effet, des toxines thermo-stables qui ne seront pas éliminées par la pasteurisation. Là aussi, on ne prend aucun risque, l’état de santé du nourrisson peut en dépendre. Et la donneuse est immédiatement prévenue et mise sous traitement pour éradiquer le germe », indique Sylvie Aubry, cadre de santé du service. En outre, les résultats font l’objet d’une double lecture. Chaque lot est dûment étiqueté et anonymisé. Sa traçabilité est conservée sans limite de temps dans des banques de données informatisées et sécurisées. « Ainsi, dit Karine Dufour, si, dans trois mois, cinq ans, dix ans et plus encore, un enfant ou un adulte développe une maladie, nous sommes en mesure de déterminer si son origine est ou n’est pas le lait qu’il a absorbé lorsqu’il était bébé. » Une fois conditionné par biberons de 200 ml, le lait est plongé dans l’eau durant trente minutes et chauffé à 62,5 degrés. « C’est le standard recommandé à l’échelon international et par l’Agence européenne des banques de lait. Ce procédé permet de détruire une forte concentration d’agents bactériens, et aussi certains agents viraux, tout en conservant le maximum de propriétés anti-infectieuses », détaille le Dr Virginie Rigourd, pédiatre à l’hôpital Necker-Enfants malades et qui dirige le lactarium depuis dix ans. Après ce traitement, le lait maternel peut être conservé durant six mois. Généralement, il n’a pas le temps d’atteindre cette date de péremption car, malgré une demande à peu près stable, l’établissement présente un déficit chronique de 50 l à 100 l de lait par mois.
Mais, n’est pas donneuse qui veut… Le lait maternel est, en effet, considéré comme un produit de santé. Sa collecte, son traitement et sa vente sont strictement régis par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ex-Afssaps) et par le code de la santé publique. Les 19 lactariums de France, regroupés au sein de l’Association des lactariums
En moyenne, l’équipe traite entre 25 et 30 l de lait maternel par séance de pasteurisation, y compris celles consacrées à la pasteurisation du lait maternel dit « personnalisé », lait d’une mère uniquement destiné à son nouveau-né. Le lait maternel est tellement rare et précieux qu’une collecte peut être mise en place pour recueillir seulement 1,5 l. Au-delà de 37 semaines de vie et d’un poids minimum de 1 500 g, les nouveau-nés peuvent, en toute sécurité, être alimentés avec du lait maternisé. Bien que nés à terme, d’autres nourrissons bénéficient des dons de lait maternel, tels les enfants atteints d’une pathologie digestive, d’une malformation congénitale ou cardiaque. D’un coup d’œil donné à un biberon, Karine Dufour est capable de déterminer si le lait donné par une maman est un lait de colostrum, de transition ou de suite. Mais, quelle que soit l’étape de lactation, le lait maternel n’a pas les apports caloriques et protidiques suffisants pour faire grossir les prématurés (entre 32 et 37 semaines), et, singulièrement, les grands prématurés (entre 28 et 32 semaines) ou les prématurissimes (entre 24 et 28 semaines). Sur prescription médicale, le lait est systématiquement enrichi avec des lipides, des glucides, des protéines et des vitamines au sein des biberonneries. « Ces apports sont indispensables pour favoriser, également, le développement cérébral de l’enfant », explique la puéricultrice. Comme ce qui est rare est cher, le litre de lait maternel est actuellement facturé 80 euros
2– L’équipe du lactarium d’Ile– de-France peut être contactée par téléphone pour toute question ayant trait au don et à l’allaitement : lundi au vendredi de 8 h 30 à 16 h 30 au 01 40 44 39 14 ou au 01 40 44 39 16. Elle prodigue ses conseils aux professionnels comme au grand public.
3– Remboursés par la Sécurité sociale.
Actuellement, la recherche scientifique sur le lait maternel porte, notamment, sur la pharmacologie et les mécanismes de passage des médicaments dans le lait de la femme. Ces investigations sont conduites dans le cadre de programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC). Une partie de la recherche se concentre aussi sur les qualités nutritionnelles et la variabilité du lait sur le plan virologique et bactériologique, et, particulièrement, les oncovirus de type HTLV (virus des leucocytes et humains 1 et 2). Les pathologies dues à ce virus (la leucémie-lymphome T de l’adulte et la paraplégie spastique tropicale – une neuromyélopathie chronique, invalidante) peuvent apparaître entre 20 et 60 années après la contamination. Le risque de transmission demeure cependant assez faible. « La recherche s’intéresse aussi à d’autres processus de pasteurisation, qui permettraient de mieux conserver les qualités anti-infectieuses et nutritionnelles du lait. L’enjeu est d’obtenir un lait de qualité optimale et, pourquoi pas, un label nutritionnel », espère le Dr Virginie Rigourd, responsable du Lactarium d’Ile-de-France.