INTERVIEW : MICHEL NAIDITCH ÉCONOMISTE, CHERCHEUR À L’INSTITUT DE RECHERCHE ET DE DOCUMENTATION EN ÉCONOMIE DE LA SANTÉ (IRDES)
DOSSIER
L’argument économique tourne en boucle : le système de soins n’est plus adapté, en raison du vieillissement de la population, qui coûte trop cher. Michel Naiditch propose sa contre-analyse et montre que les coûts ne sont pas forcément là où on les attend.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Pourquoi la question de la réorganisation du système de soins se pose-t-elle ?
M. NAIDITCH : Elle se pose aujourd’hui d’abord parce que les dirigeants politiques et le grand public ont fini par intégrer la réalité du choc démographique marqué par une très forte augmentation de la population des plus de 80 ans. Et cette croissance va continuer du fait de l’allongement de l’espérance de vie. Mais ce n’est pas seulement le vieillissement qui accroît le coût de la dépendance, mais aussi l’usage immodéré des examens, des techniques médicales… Les travaux de Brigitte Dormont
L’I. M. : Quelles sont les solutions ?
C’est l’hôpital qui coûte très cher. En outre, il existe des fragmentations entre la ville et l’hôpital qui coûtent de l’argent et diminuent la qualité de soins. Il faut donc renforcer au maximum les soins de proximité. Les pouvoirs publics doivent donner plus de moyens à la ville, quitte à en prendre sur l’hôpital, et réorganiser les soins de proximité à travers des modes collaboratifs. Les travaux en Grande-Bretagne, aux Pays Bas, ou aux États-Unis montrent que pour traiter des maladies chroniques, il faut adopter des modes d’organisation du travail en structures regroupées, plus efficientes.
L’I. M. : Le principal critère de réorganisation est donc le coût ?
M. N. : Le coût global du maintien à domicile peut être supérieur à celui de l’hospitalisation sur le long terme. Des études en Grande-Bretagne ont montré que le maintien à domicile des patients chroniques revient plus cher, du fait de la surveillance et des examens à répétition, que si l’on se contentait à chaque alerte de les amener à l’hôpital. Ce n’est donc pas donc seulement un choix économique.
L’I. M. : Que coûtent des structures de soins de proximité ?
M. N. : Aucune étude n’a été publiée. Nous évaluons actuellement les structures d’exercice regroupées et seul. Des différences émergent, mais, aujourd’hui, nous ne pouvons en dire plus. Quant à l’hôpital, la tarification à l’activité a été une aberration : les tarifs n’ont rien à voir avec les coûts réels. Savoir comment se positionner est très compliqué pour les hôpitaux. Le système est très mal géré.
L’I. M. : Le mode de rémunération va-t-il changer ?
M. N. : Il existe des réflexions sur l’évolution du mode de rémunération. Il vaut mieux, parfois, un forfait annuel, pour ne pas inciter les professionnels à multiplier les actes. D’un autre côté, ceux-ci peuvent être tentés de ne pas en faire assez. Il faut trouver un équilibre, une diversification des modes de rémunération. La capitation a déjà été introduite en France chez les généralistes : les Capi (contrat d’amélioration des pratiques individuelles) réprésentent un paiement à la performance. Concrètement, le médecin s’engage à atteindre certaines cibles en termes de dépistage et de prévention, par exemple avoir 70 % des patients diabétiques à quatre examens d’hémoglobine glyquée dans l’année pour montrer qu’ils sont bien suivis et n’en nécessitent pas plus. Dans le cadre d’une expérimentation de nouveaux modes de rémunération (ENMR), des forfaits ont été créées pour mieux coordonner le suivi des patients en groupe. Mais nous n’avons aucun retour sur le fait que les infirmières en touchent une partie ou pas.
L’I. M. : Comment va évoluer le système français, selon vous ?
M. N. : Les professionnels vont se regrouper, pour permettre des soins de proximité plus efficaces et des horaires plus amples. Les pouvoirs publics vont devoir développer des systèmes de partage d’information sécurisés et un vrai dossier médical. L’hôpital va se recentrer sur les pratiques pour lesquelles il n’est pas substituable, comme les consultations ultra spécialisées. Il deviendra un centre de ressources et de compétences pour les soins de ville à travers la communication d’informations et la coordination des soins.
1- Directrice du Laboratoire d’économie et de gestion des organisations de santé.