L'infirmière Magazine n° 315 du 15/01/2013

 

RECHERCHE INFIRMIÈRE

ACTUALITÉ

Isabelle Fromantin, qui concilie pratique et recherche en plaies et cicatrisation, vient de décrocher son doctorat.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE :

Sur quel sujet porte votre thèse, financée par le premier PHRIP et obtenue le 10 décembre avec la mention « très honorable »

ISABELLE FROMANTIN : Sur la flore bactérienne, le biofilm(1) et les composés odorants des plaies tumorales du sein. Ces plaies sont relativement peu fréquentes, mais s’accompagnent souvent d’écoulements, d’odeurs, de douleurs, avec des retentissements physiques et psychiques. Leur prise en charge ne vise pas la cicatrisation (dépendante des traitements anticancéreux), mais relève des soins oncologiques de support.

L’I. M. : Comment avez-vous procédé ?

I. F. : Nous avons effectué des pré– lèvements à la curette et recueilli des pansements usagés, sur 32 patientes – un nombre limité car cet acte est traumatique et ces patientes particulièrement fragiles. Nous avons quantifié et analysé 54 bactéries et 91 composés volatils (Covs). Nous avons aussi, entre autres, enquêté sur la perception olfactive de bactéries par 32 professionnels de santé. Les symptômes semblent majorés quand une plaie tumorale comporte plus de quatre espèces de bactéries, avec plus de 105(2) germes par gramme d’échantillon, et en présence de bactéries anaérobies strictes. Nous avons identifié du biofilm dans 35 % des prélèvements, alors que la littérature l’évoque dans 60 % des plaies chroniques. Des Covs (diméthylsulfure, phénol) ont été identifiés comme particulièrement malodorants.

L’I. M. : Lors de la soutenance, le jury(3) a noté que vous aviez apporté plus de questions que de réponses. Est-ce un compliment ?

I. F. : Une recherche expérimentale répond à une partie des questions et en soulève bien d’autres, que nous n’étions pas en capacité de formuler jusque-là. Chaque recherche fait avancer sur une partie du problème, c’est l’essentiel. Les pistes, ici, sont nombreuses : développement d’outils diagnostics, meilleure connaissance des biomarqueurs du cancer du sein, élaboration de pansements, étude de l’impact neuropsychique des Covs toxiques…

L’I. M. : Vous êtes parmi les premières IDE « thésées ». Le jury vous a qualifiée de “symbole”. Comment l’expliquez-vous ?

I. F. : Les infirmières font majoritairement de la recherche en sciences humaines, de l’éducation, en épidémiologie… ; pour ma part, il s’agissait d’une thèse de sciences dites « dures », en biologie. Mais, les IDE docteurs ou doctorantes, dans toutes les disciplines, sont de plus en plus nombreuses !

L’I. M. : Quels conseils donneriez-vous à une IDE intéressée par la recherche ?

I. F. : D’y aller, sans peur de l’inconnu ! De trouver les personnes compétentes pour l’aider. Et de commencer par une revue de la littérature, afin d’apprendre, d’identifier des partenaires extérieurs et de garantir la qualité du travail.

1- Communauté de bactéries structurée et protégée par une matrice.

2- Ce seuil de 105 fait référence chez les spécialistes du traitement des plaies.

3- À l’Institut Curie, à Paris. Jury composé de sept membres, dont des médecins.