L'infirmière Magazine n° 315 du 15/01/2013

 

FIN DE VIE

ACTUALITÉ

Le rapport de la mission Sicard révèle les carences du système de soins français, qui n’anticipe pas les situations de fin de vie et peine à accompagner les patients.

Des centaines d’auditions, des dizaines de débats publics et un constat : huit ans après la loi dite « Leonetti », les droits des patients en fin de vie sont encore loin d’être respectés. Chargé par François Hollande de mener une réflexion sur la fin de vie, le Pr Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), a dressé un sévère état des lieux dans son rapport, rendu le 18 décembre.

Au centre des critiques, l’hôpital, qui « capte » près de 60 % des décès(1) dans « une improvisation brouillonne », selon Didier Sicard. « 8 000 personnes en provenance d’Ehpad décèdent chaque année dans les heures qui suivent leur admission aux urgences », relève le rapport. La mission Sicard dénonce « le clivage » entre une médecine curative hyperspécialisée, qui « ne supporte que difficilement l’arrêt des soins et l’accompagnement simplement humain », et une médecine palliative trop peu développée, et parfois vécue comme un « abandon ». En cause : le manque de temps des équipes, un défaut de formation des médecins et une méconnaissance générale de la loi Leonetti. Se fondant sur une récente étude de l’Ined(2), le rapport pointe les manquements à cette loi, qui lutte contre l’obstination déraisonnable et renforce l’autonomie des patients. Sur 4 723 décès, près de la moitié des décisions médicales ont été prises en sachant qu’elles pouvaient hâter la mort : intensification du traitement de la douleur (28,1 %), abstention (14,6 %) ou arrêt d’un traitement visant à prolonger la vie (4,2 %).

Directives anticipées

Ces décisions ont été arrêtées sans discussion préalable avec le patient, pourtant « en capacité de participer », dans plus de 20 % des cas ; sans concertation avec l’équipe médicale dans 37 % des cas ; et sans associer la famille dans près de la moitié. Par ailleurs, seuls 2,5 % des patients avaient rédigé des directives anticipées, que les médecins doivent consulter. La mission souhaite que celles-ci deviennent « souveraines » et qu’une campagne d’information majeure soit menée. « La parole des Français doit être entendue. Leur fin de vie doit leur appartenir », a insisté Didier Sicard.

En matière de sédation, la mission estime qu’il faut aller plus loin que la loi Leonetti : celle-ci admet qu’un traitement visant à soulager les douleurs ait pour effet secondaire non recherché de hâter le décès, en permettant la sédation terminale profonde. Ainsi, « lorsqu’une personne demande à interrompre tout traitement, y compris l’alimentation et l’hydratation artificielles, il serait cruel de la « laisser mourir » ou de la “laisser vivre” », explique le document.

Responsabilité

Mais, pas question de franchir « la frontière » en dépénalisant l’euthanasie. Si, dans un récent sondage, 89 % des Français se sont dits favorables, dans les faits, la demande est rare. Selon l’étude de l’Ined, les demandes explicites représentent 1,8 % des décès. Quant au suicide assisté(3), la mission n’en fait pas une recommandation mais insiste sur le fait que si une loi devait être promulguée, l’État et la médecine devraient prendre leurs responsabilités et ne pas les déléguer à des associations. François Hollande a annoncé, d’ici au mois de mai, des mesures pour pallier les carences de la prise en charge, notamment le manque de formation des professionnels et le développement insuffisant des soins palliatifs. Il a également saisi le CNCE sur les questions des directives anticipées, des modalités et conditions d’un suicide assisté pour les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable, et sur les moyens de « rendre plus dignes les derniers moments d’un patient dont les traitements ont été interrompus ». Un projet de loi sera présenté en juin.

1- « Où meurt-on en France ? Analyse des certificats de décès (1993-2008) », décembre 2012, Bulletin épidémiologique hebdomadaire.

2- « Les décisions médicales en fin de vie », novembre 2012, Institut national des études démographiques.

3-  Les médicaments sont prescrits par le médecin, mais c’est le patient qui décide de les prendre.

ÉTHIQUE

Et les infirmières ?

Le rapport de la mission Sicard évoque peu les infirmières. « Dans les débats publics, ce sont les médecins qui ont été pointés du doigt : hypertechnicisation de la médecine, négation complète des questions éthiques, défaut majeur de formation », justifie le Pr Régis Aubry, président de l’Observatoire national de la fin de vie et membre de la mission. « Les infirmières participant au débat ont témoigné de leurs difficultés à appréhender les questions de fin de vie, notamment en raison du hiatus entre leur formation et la réalité, et de l’organisation du système de soins, dans laquelle elles sont des exécutantes », développe le spécialiste. Selon lui, la proximité des soignantes avec les patients doit les amener à prendre part aux décisions de fin de vie, en donnant leur avis aux médecins. « L’infirmière contribue à la connaissance de la personne, à évaluer sa qualité de vie, son projet de fin de vie. Elle doit comprendre qu’elle n’est pas là que pour les gestes techniques. »