FORMATION CONTINUE
IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN
L’enfant Wisam S., 2 ans, est né à terme (38 semaines d’aménorrhée), avec un poids de 2,360 kg. Il présentait un retard de croissance intra-utérin, entraînant une souffrance néonatale (Apgar 3-10), un syndrome dysmorphique (micropénis et cryptorchidie opérés en janvier) et un retard de développement. Depuis 5 jours, l’enfant présente une fièvre sans point d’appel digestif, pulmonaire ou cutané et semble, d’après la famille, plus asthénique depuis 2 semaines. Il est adressé, le 26 mars, aux urgences devant des anomalies évocatrices de leucose, avec l’apparition d’un hématome sur l’avant-bras depuis 24 heures.
Le médecin prescrit un traitement par Fasturtec (rasburicase) (3 mg en IV sur 30 min, indiqué dans les syndromes de lyse tumorale) et Tazocilline (piperacilline/tazobactam) (1 g × 3/j en IVL sur 1 h, un antibiotique à large spectre) devant la fièvre et une hyperleucocytose sans syndrome de lyse majeur.
L’infirmière des urgences administre 2 flacons de Piperacilline/Tazobactam 4 g/500 mg (le générique de Tazocilline), soit huit fois la dose prescrite par le médecin (8 g de piperacilline et 1 g de tazobactam).
Les informations échangées dans les transmissions orales ou écrites ne font état d’aucun signe de déterioration de l’état clinique de l’enfant.
La pharmacie a délivré 3 flacons du générique de la tazocilline, introduit depuis trois mois dans l’établissement : Piperacilline/Tazobactam 4 g/500 mg.
Cette nouvelle présentation intrigue l’infirmière, qui n’a pas l’habitude d’administrer cet antibiotique, peu prescrit aux urgences, et qui n’a jamais vu ce générique.
Elle consulte ses collègues et, induite en erreur, elle assimile le dosage du princeps Tazocilline (piperacilline/tazobactam) au dosage du tazobactam (500 mg) et non de la piperacilline (4 g). Elle administre donc huit fois la dose.
Sa collègue, le lendemain matin, se rend compte de l’erreur de la veille en visualisant le nombre de flacons utilisés. L’enfant est examiné et des dosages biologiques sont effectués. Le traitement est momentanément arrêté. L’antibiotique est à nouveau administré dès que le dosage de tazocilline et la fonction rénale sont normaux.
La tazocilline est un antibiotique à action systémique. Ce produit associe deux molécules : la piperacilline, agent antibactérien de la famille des pénicillines (bêtalactamines), et le tazobactam, sans activité anti–bactérienne propre, qui inhibe les béta-lactamases, restituant ainsi l’activité bactéricide des pénicillines sur les souches bactériennes. L’association du tazobactam à la piperacilline permet donc d’élargir le spectre d’action de la piperacilline à des souches résistantes par production de pénicillinases.
La tazocilline est indiquée dans les infections à germes sensibles des affections respiratoires basses, urinaires (excepté la prostatite), intra-abdominales et biliaires, cutanées, et dans les épisodes fébriles chez les patients neutropéniques.
La posologie adulte est de 4 g × 3/j, soit 12 g de piperacilline par jour, avec un maximum de 16 g par jour, chez les patients atteints de mucoviscidose essentiellement. En pédiatrie, la posologie usuelle est de 300 mg/kg/j en trois prises, sans dépasser 4 g par injection. Il est à noter qu’une adaptation des doses est nécessaire chez les patients insuffisants rénaux (pour toute clairance de la créatinine inférieure à 40 ml/min).
La tazocilline s’administre par voie intra-veineuse, en perfusion de 30 minutes. Elle se présente sous forme de poudre pour solution à perfuser et reconstituée :
– avec 20 ml d’eau pour préparation injectable ou de sérum physiologique (NaCl 0,9 %) en ce qui concerne la présentation à 4 g/500 mg ;
– avec 10 ml d’eau pour la spécialité à 2 g/250 mg.
La forme reconstituée doit ensuite être diluée dans 50 à 100 ml de NaCl 0,9 % ou glucose 5 %.
Soulignons qu’il n’est pas recommandé de mélanger un aminoside ou tout autre produit dont la compatibilité n’a pas été établie avec la solution de perfusion.
En règle générale, les principaux effets indésirables sont ceux de la classe des pénicillines, à savoir des réactions allergiques, un risque d’allergie croisée avec les céphalosporines (urticaire, exanthèmes, œdème de Quincke, voire des chocs anaphylactiques très rares), des troubles digestifs (dont de rares cas de colite pseudomembraneuse). De très rares cas d’anémie hémolytique, neutropénie, thrombopénie, hypokaliémie, ou encore néphrite ont été décrits.
En cas de surdosage, des signes de convulsions, nausées-vomissements, diarrhées, hypertonie musculaire peuvent apparaître.
La tazocilline est contre-indiquée en cas d’hyper– sensibilité aux bêtalactamines. Tout signe de colite pseudomembraneuse ou d’allergie nécessite un arrêt de traitement. Une adaptation de la posologie est nécessaire en cas d’insuffisance rénale.
Il est déconseillé d’utiliser la tazocilline en même temps que le methotrexate. En effet, comme toutes les pénicillines, elle diminue l’élimination du methotrexate et potentialise donc sa toxicité rénale. Le risque d’allergie peut être majoré par l’allopurinol.
Ce cas met en évidence les failles retrouvées à chaque étape du circuit du médicament. Plusieurs axes d’amélioration doivent être mis en place pour éviter ce genre d’erreur :
→ L’utilisation de la dénomination commune internationale (DCI) aurait permis de clarifier et de sécuriser davantage la prescription.
→ Tout changement de présentation d’un médicament nécessite, de la part de la pharmacie, l’information systématique des services. Le service des urgences qui, certes, n’est pas très consommateur, mais où le risque d’erreur est d’autant plus important, aurait dû en bénéficier.
→ En cas de doute sur l’administration d’un médicament, plusieurs méthodes sont à disposition du personnel infirmier :
– interroger les collègues plus expérimentés ;
– se référer au « Vidal », souvent disponible dans les services (version papier ou informatique), où l’on retrouve un résumé de la monographie de nombreux médicaments ordonnés par princeps ;
– si l’interrogation porte sur la prescription, une confirmation doit être demandée au prescripteur.
– si un doute persiste, se référer à la pharmacie.
→ Des « guides d’utilisation des médicaments » sont parfois édités par la pharmacie à usage intérieur. Le personnel doit en connaître l’existence et pouvoir y accéder dans le poste de soins ou sur l’intranet.
→ L’actualisation permanente des connaissances du personnel, notamment sur la correspondance princeps/générique, est indispensable.
→ L’IDE joue un rôle clé dans la sécurisation du circuit du médicament. Elle est le dernier maillon pour stopper des erreurs de prescription, de dispensation… Le changement régulier de patients pris en charge peut diminuer certains automatismes, à l’origine d’une baisse de la vigilance.
→ Un signalement des erreurs permet d’investiguer le dysfonctionnement et de mettre en place les actions correctives nécessaires.
En pédiatrie, le risque d’erreur est omniprésent. Il existe très peu de formes destinées à l’enfant et, bien souvent, les dosages proposés sont des formulations pour adultes, majorant le risque d’erreur d’administration (pouvant parfois atteindre dix fois la dose prescrite). C’est pourquoi il faut rester très vigilant. Le bon réflexe est de demander conseil aux personnes compétentes, en particulier au pharmacien, dans le cas d’une interrogation sur un médicament.
→ L’infirmière vérifie la concordance du médicament avec la prescription : conditions de stockage ; intégrité du produit (aspect, notamment) et de son conditionnement ; nom (commercial et/ou générique)?; dosage, dose à administrer, solvant, forme pharmaceutique, voie d’administration ; schéma posologique ; date de péremption.
→ L’infirmière assure la préparation de l’administration du médicament sans restranscription à partir de la prescription médicale initiale.
• Pour les médicaments injectables :
– Le calcul de dose/la reconstitution/dilution sont réalisés dans le respect des règles d’hygiène et de sécurité et des protocoles en vigueur.
– La préparation est faite au plus près du moment
de l’administration, dans un lieu dédié.
– La présentation des injectables permet leur identification jusqu’à l’administration.
– L’étiquetage, avec identité du patient, débit d’administration, date et heure de mise en route et de fin de perfusion.
• Pour toutes les autres formes (notamment orales) :
– L’identification du médicament est possible jusqu’à l’administration.
* D’après le logigramme « De la prescription à l’administration, règles de bonnes pratiques pour l’infirmière », Direction des soins et des activités paramédicales (DSAP) de l’AP-HP. À télécharger sur http://paramedical.aphp.fr/news/