L'infirmière Magazine n° 315 du 15/01/2013

 

PLAIES ET CICATRISATION

DOSSIER

Spécialité transversale par essence, l’expertise en plaies et cicatrisation se partage aujourd’hui entre ville et hôpital, créant des passerelles dans de nombreuses régions.

Le constat semble unanime : il faut désengorger les urgences et limiter le recours (toujours trop onéreux) à l’hôpital. Pour les infirmières spécialisées en plaies et cicatrisation de plusieurs régions de l’Hexagone, la solution s’est imposée d’elle-même. Tisser des liens ville-hôpital permet de mieux suivre le patient, d’anticiper les complications et d’assurer la continuité des soins. À Paimpol, ces liens partent entièrement de l’hôpital. Et se construisent avec l’initiative des Plaies mobiles. « Notre hôpital a lancé un nouveau service des plaies chroniques, raconte Jean-Loup Garandel, cadre de santé du service de plaies chroniques. Nous étions satisfaits de notre pratique interne, mais nous avons constaté des difficultés à la sortie. Le secteur de la ville n’était pas prêt. Nous avions des retours trop fréquents par les urgences. » En 2010, l’hôpital imagine alors un relais de service entre hospitalières et libérales dans la chambre du patient, au sein de l’établissement. Les six spécialistes des plaies conseillent, et détaillent les techniques de pansement à leurs collègues qui assurent le suivi de la sortie. « Ça fonctionnait, le patient était rassuré par ce passage de témoin, se souvient Jean-Loup Garandel, mais nous ne pouvions pas faire venir tous les libéraux à l’hôpital ! » En juillet de la même année, le service des plaies chroniques change son fusil d’épaule et choisit de franchir les murs de l’institution. Jean-Loup Garandel explique : « Si nous nous transportons au domicile du patient, nous nous mettons dans son contexte. Et créons une passerelle avec le secteur libéral dans les circonstances mêmes où ces collègues travaillent. » Le service est créé, reste le nom… Jean-Loup Garandel raconte sa belle découverte : « Un jour, je dessinais un personnage pour le logo de nos communications à l’hôpital, je l’avais affublé d’une coupe au carré. Et en même temps, mon enfant montait un cirque de Playmobil. La ressemblance était saisissante. Et le jeu de mots, Plaies mobiles, fonctionnait ! » Grâce à ce nom, les hospitalières plaies et cicatrisation de Paimpol sont rapidement identifiées. Et un jour par semaine, elles franchissent leurs murs et se rendent au domicile des patients, sortant pour une consultation ordinaire et des conseils aux libérales sur les pansements, les techniques, une analyse de la stratégie de soins ou encore une consultation de télémédecine avec le chirurgien. « Elles réalisent ensuite un compte rendu pour le médecin traitant, qui reste le chef d’orchestre, détaille Jean-Loup Garandel. Grâce aux photos, il peut enfin avoir une vision de la plaie, ce qui arrivait très rarement avant. » Après deux ans d’expérience, les Plaies mobiles dressent un constat satisfaisant. « Nous avons observé une nette baisse des retours de patients aux urgences », témoigne Jean-Loup Garandel. Et l’initiative fait tâche d’huile : l’hôpital de Saint-Brieuc vient de se lancer dans l’aventure Plaies mobiles.

Réseau binaire

À Montpellier, c’est plutôt l’image de M. Jourdain qui colle à la peau des infirmières spécialisées en plaies et cicatrisation. Comme le personnage de Molière, qui faisait de la prose sans le savoir, Sylvie Palmier et ses collègues ont anticipé de nombreuses politiques de santé sans le savoir. Elles aussi se sont organisées en réseau, mais, à la différence des Plaies mobiles, leur réseau est binaire : d’un côté, l’hôpital ; de l’autre, le libéral, qui se coordonnent et interagissent lorsque le patient passe de l’un à l’autre. L’aventure languedocienne a débuté lors de la première session du diplôme universitaire plaies et cicatrisation du Languedoc-Roussillon, en 1998. Motivées, les diplômées montent une association et s’aperçoivent rapidement que les besoins de conseils de formation sur cette spécialités sont « énormes ». Sylvie Palmier est détachée en 2000 par le CHU de Montpellier en transversal sur les plaies et cicatrisation, afin de porter conseil aux collègues de l’hôpital. Parallèlement, l’association crée le même fonctionnement pour la ville. Les diplômées plaies et cicatrisation représentent des infirmières de second rideau tant à la ville qu’à l’hôpital, et n’interviennent que sur demande de leurs collègues. « Au début, raconte Sylvie Palmier, l’infirmière référente Plaies et cicatrisations du CHU de Montpellier, nous n’avions pas de financement pour la ville, tout restait informel. » Puis en 2004, les premiers fonds arrivent enfin sur l’agglomération de Montpellier. Au bout de trois ans d’expérimentation concluante, elles développent l’initiative sur toute la région. La toile d’araignée se développe, avec des pôles, créés dans les grandes villes de la région, dans lesquels une ou plusieurs infirmières référentes coordonnent le réseau local. Cependant, tous les établissements ne jouent pas forcément le jeu et n’accordent pas de détachement au réseau. « Il faudrait une impulsion politique, mais il ne faut pas oublier qu’il manque aussi des infirmières partout ! », souligne Cécile Peignier, infirmière référente plaies et cicatrisation au CHU de Montpellier.

Au bout de quelques années, un médecin coordinateur médical rejoint l’équipe à plein temps. Il suit les infirmières appelées sur le terrain et leur assure une validation médicale pour leur diagnostic et leurs prescriptions grâce à un logiciel ad hoc. L’équipe s’étoffe, passant de cinq infirmières à une vingtaine, deux équivalents temps plein IDE coordinatrice et du temps médical pour la coordination hôpital-ville. Résultat : un suivi du patient qui dépasse les frontières ville-hôpital. « Si un patient suivi par nos collègues de la ville a besoin d’une greffe de peau, nous allons organiser sa prise en charge à l’hôpital en connaissant déjà son dossier, et lorsqu’il sortira, nous allons proposer, si besoin, le soutien du réseau pour le suivi. » Mais tous les patients du réseau ne passent pas par l’hôpital, seul un quart des 1 200 à 1 300 dossiers sont pris en charge en institution.

Vers la télémédecine

En parallèle, l’association continue sa vocation initiale de formation des infirmières, des médecins, avec une véritable offre de formation continue. L’idée est de pouvoir poser des bases théoriques qui seront consolidées sur le terrain grâce à l’accompagnement du réseau.

L’association vient même d’ajouter une corde à son arc. Sans vraiment l’avoir voulu. Car l’argent restant le nerf de la guerre, l’association doit revenir à la charge tous les trois ans. En 2010, les fonds de l’ARS se tarissent. « C’était juste le moment où nous montions en puissance, se rappelle Sylvie Palmier. Soit on se développait, soit on arrêtait ! » Mais l’ARS n’a aucune envie de voir se dissoudre le réseau et lui propose d’entrer dans les fonds allant… à la télémédecine. Les infirmières languedociennes découvrent qu’elles en font, grâce à leur logiciel. Comme M. Jourdain. Les voilà donc parties pour se positionner sur la télémédecine, en partenariat avec la région Basse-Normandie et l’hôpital de Caen. « Nous n’arrivions pas à couvrir toute la région, certains territoires comme le fin fond de la Lozère restaient à l’écart du réseau », décrit Sylvie Palmier. Grâce à la télémédecine, les échanges avec les consœurs sont facilités, et les réponses figurent en ligne. Le réseau pourrait ainsi toucher 300 patients de plus. L’expérimentation débute cette année. Après tant d’initiatives et d’évolutions, les M. Jourdain de Montpellier veulent désormais acter leur montée en compétences et travaillent sur la rédaction d’un protocole de prescriptions élargi.