FUTUR MODÈLE FRANÇAIS
DOSSIER
Développement de l’hospitalisation à domicile, création de réseaux, de pôles ou de maisons de santé… Le système d’organisation des soins français évolue dans un contexte instable. À quoi ressemblera-t-il dans quinze ans ?
Face au basculement de la pyramide des âges et à l’explosion des maladies chroniques, l’ensemble de la communauté soignante s’accorde sur le fait qu’il est nécessaire de réformer le système de soins français. Urgences engorgées, hospitalisations jugées inutiles, désertification médicale… Les dysfonctionnements se multiplient au sein du système alors même que les patients réclament davantage de choix. Un premier constat s’est donc vite imposé : l’hôpital doit retrouver son cœur de métier, les soins techniques et très spécialisés.
Les institutions hospitalières se sont déjà lancées dans cette évolution. Aux Hospices de Lyon, la direction s’est engagée dans la création de passerelles avec la ville. « Nous avons lancé le déploiement de l’hospitalisation à domicile (HAD) il y a une dizaine d’années, avec deux partenaires privilégiés. Et aujourd’hui, il est terminé », témoigne Laenick Tanguy, directrice adjointe de la stratégie des Hospices. Depuis 2002, le CHU a, en outre, établi 17 conventions durables avec des réseaux, souvent animés par un médecin des Hospices. Le but de l’institution rejoint la tendance générale : « Éviter des hospitalisations inutiles, créer un véritable parcours de soins, et un relais pour la ville, éviter l’errance institutionnelle et les hospitalisations d’urgence », précise Laenick Tanguy. Si l’institution estime le maillage de son territoire suffisant, le relais avec la ville n’est pas encore optimal. « L’HAD représente 0,3 % de nos sorties, et si l’on ajoute les séjours avec les réseaux ou les prestataires, on peut seulement doubler ce chiffre », détaille la directrice adjointe. Le CHU a identifié 57 000 séjours sur 300 000 dont la durée moyenne de référence excédait un jour, justifiant le recours à l’HAD. Cependant, pas d’objectifs fixés pour l’instant, les Hospices préfèrent travailler en interne sur l’amélioration de la coordination du lien ville-hôpital. « Aujourd’hui, la détection des patients est très bien faite dans les services où il existe traditionnellement une forte implication HAD, comme en soins palliatifs, en cancérologie ou en gériatrie, explique Marie-Hélène Renaud, directrice adjointe de la stratégie des Hospices. Nous voulons sensibiliser l’ensemble du personnel hospitalier. »
L’hospitalisation à domicile a connu un essor important depuis une dizaine d’années. Elle est passée de 1,5 million de journées en 2005 à 3,9 millions en 2011, avec 35 000 patients en 2005 contre 100 100 en 2011. Mais l’objectif des 15 000 places pour 2010 n’a pas été atteint : l’HAD propose aujourd’hui moins de 11 000 places. « Le développement de l’HAD a en grande partie reposé, ces dernières années, sur la création d’établissements, avec pour objectif premier de couvrir tout le territoire français, explique Olivier Paul, délégué national de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad). Depuis 2011, tous les départements sont couverts par au moins un établissement d’HAD autorisé. » Désormais, l’enjeu est d’augmenter le volume d’activité. Le constat de la Fnehad est le même que celui du CHU de Lyon : « L’HAD n’est pas encore bien connue ou comprise, et, notamment, des médecins généralistes ou hospitaliers, qui sont les seuls à pouvoir la prescrire », souligne Olivier Paul. Mais les volontés politiques restent disparates. Certaines régions comme l’Ile-de-France ou le Nord-Pas-de-Calais affichent une politique volontariste, avec des objectifs chiffrés, alors que d’autres restent plus réservées. « Notre modèle d’organisation des soins se tourne vers davantage de domicile, affirme Olivier Paul, mais, pour cela, il faut davantage de coopération et de partage d’informations entre les professionnels. Il faut, enfin et surtout, envisager réellement la gradation des soins et permettre à chacun de bien connaître leur organisation. » En tête de cette gradation : le libéral, les maisons et les pôles de santé, ainsi que les réseaux. Le ministère des Affaires sociales et de la Santé compte aujourd’hui 278 maisons de santé, dont 80 % en milieu rural, avec 272 projets en cours (450 projets en cours en janvier 2012), le ministère ne disposant pas d’informations sur les pôles. « Il n’y a pas eu de raz-de-marée des maisons de santé ou des cabinets de groupe, affirme François-Xavier Schweyer, sociologue et chercheur, professeur de sociologie à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Les pouvoirs publics n’ont pas compris que l’activité en groupe changeait l’exercice de la médecine. La coopération, ça s’apprend ! »
Or, la coopération, c’est justement la raison de vivre des réseaux, qui ont pour mission l’appui à la coordination polyvalente de proximité et qui proposent des prises en charge globales sur les aspects médico-sociaux. Le territoire français en dénombre 716 présentés par le ministère des Affaires sociales et de la Santé comme représentant « l’un des principaux dispositifs de coordination des acteurs intervenant sur le parcours des patients ». Pourtant, l’Union nationale des réseaux de santé (UNR Santé) s’interroge : « Il y a clairement une volonté politique nationale d’investir sur la coordination des soins, atteste le Dr Bruno Nagard, président de l’UNR Santé. Mais la question est de savoir si cette volonté va se traduire sur le terrain par l’appui aux situations complexes. Les coordinations d’appui aux professionnels de premier recours permettent d’éviter ou de raccourcir les hospitalisations. » L’UNR.Santé a-t-elle des raisons de s’inquiéter, malgré les discours officiels ? « Nous avons besoin de visibilité au niveau financier, car les budgets, d’année en année, baissent de 5 à 10 % », indique Bruno Nagard. L’Union demande également des contrats pluriannuels avec les ARS et la possibilité d’investir d’autres territoires ou d’autres tâches.
Néanmoins, François-Xavier Schweyer juge la portée des réseaux limitée. Pour lui, la clé de voûte du système reste l’hôpital : « L’hôpital va devoir travailler davantage avec son environnement. Il peut apporter beaucoup aux réseaux ou aux Ssiad : un cadre de santé sait comment travailler en équipe. » Le futur modèle devra donc réduire la place de l’hôpital au sommet d’une structure pyramidale de gradation des soins, ou la transformer en point central d’un maillage territorial ? Pour Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmières (FNI), l’hôpital est loin d’être la panacée. La réorganisation du système de soins devra passer par l’élargissement des compétences et des responsabilités des infirmières, tout en respectant la liberté des libérales. « Si l’on investit des maisons de santé pilotées par les médecins, et que l’on finit par salarier les infirmières, nous risquons de nous retrouver dans la même situation de malaise qu’à l’hôpital », avertit-il. Il estime que, pour organiser les soins de ville, la France doit traduire le concept d’infirmière de famille dans la loi, comme celui de médecin de famille. « Les choses ne partiraient plus de l’hôpital, qui serait un centre de plateaux techniques avec des séjours courts, mais de la ville, où le médecin traitant serait garant de la synthèse médicale du parcours du patient, et l’infirmière, de la coordination des soins. » Philippe Tisserand s’appuie sur la bonne santé du maillage des infirmières libérales en France : « Les projections de la Dress prévoient 120 à 130 000 infirmières libérales en 2030 (80 000 en 2012), harmonieusement réparties sur le territoire. »
Le futur modèle français n’est pas encore visible, les pouvoirs publics soufflant le chaud et le froid sur les différentes initiatives. « Nous allons assister à une transformation hybride entre les initiatives de terrain, et à une politique changeante, comme souvent en France, estime François-Xavier Schweyer. Mais l’on voit bien qu’il y a un consensus pour sauver le système et préserver la liberté d’exercice. » Autre consensus : la coordination du parcours de soins, qui passera par la coopération des professionnels de santé. Mais l’hôpital prendra-t-il la direction de cette coordination ? Il tient la corde, mais les jeux sont loin d’être faits.
Les réseaux se structurent autour de pathologies, de populations ou d’activités sanitaires. Ils travaillent en particulier sur les soins palliatifs, la cancérologie, le diabète, la gérontologie, le sida. L’hospitalisation à domicile s’est d’abord engagée sur les soins palliatifs, notamment pour les patients atteints de cancers, qui constituent son cœur de métier. Une petite partie de son activité concerne également les soins de suite et de réadaptation.
Aujourd’hui, l’HAD évolue autour de l’hôpital, avec la post-chirurgie, les soins de suite ou encore la rééducation et la chimiothérapie à domicile.