« Tout le monde ne peut pas tout faire » - L'Infirmière Magazine n° 315 du 15/01/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 315 du 15/01/2013

 

GYNÉCOLOGIE MÉDICALE

RÉFLEXION

Pour Frédérique Kuttenn, la « mise en veilleuse » de la formation en gynécologie médicale entraîne des transferts de compétences mal encadrés et un risque préjudiciable à la santé des femmes.

L’Infirmière Magazine : En 2012, seuls 30 internes ont été formés à la gynécologie médicale. Selon les chiffres de l’ONDPS(1), on compte 7,5 gynécologues médicaux pour 100 000 femmes. Que s’est-il passé ?

FRÉDÉRIQUE KUTTEN : Supprimée en 1986, et recréée en 2003 sous l’effet de la pression populaire, la gynécologie médicale pâtit d’une baisse considérable de ses effectifs après dix-sept années sans formation de spécialistes. Dans les années soixante, 140 gynécologues médicaux par an étaient formés au travers d’un CES (certificat d’études spécialisées). Lors de la réforme de l’internat de 1986, on a remplacé les CES par les DES (diplôme d’études spécialisées). La gynécologie médicale a disparu comme spécialité d’internat, seule demeurait la gynécologie-obstétrique, spécialité chirurgicale. Est resté un DESC de médecine de la reproduction, ouvert aux endocrinologues qui souhaitaient se former à la gynécologie et aux gynécologues-obstétriciens qui s’intéressaient au maniement des hormones. Ce DESC ne formait que 7 médecins par an. Les universitaires ont pu s’appuyer sur un fort mouvement populaire, avec 3 millions de signatures pour la pétition du Comité de défense de la gynécologie médicale (CDGM), qui affirmait le caractère indispensable de cette spécialité. Trois ministres de la Santé successifs ont participé à sa recréation, et elle est réellement reconnue par un diplôme depuis 2003.

L’I. M. : Mais, depuis, il y a stagnation…

F. K. : En 2003, le projet arrêté par Jean-François Mattéi prévoyait la nomination de 60 internes de gynécologie médicale (GM) et de 140 internes de gynécologie-obstétrique (GO) par an. Ce ratio avait été jugé raisonnable par le comité de suivi ayant travaillé, au ministère, à la renaissance de la discipline. On est passé de 20 internes en GM entre 2003 et 2008 à 27, puis à 30 en 2011-2012, alors que 37 à 40 nominations étaient espérées cette année. Cela est totalement insuffisant au vu de la diminution du nombre des spécialistes, à la fois hospitaliers et libéraux, des délais d’attente pour une consultation – entre deux et six mois –, et également des retards de diagnostic. Actuellement, il existe des capacités de formation pour 41, voire 42 internes par an. Mais la nouvelle équipe du ministère de la Santé estime que le nombre d’internes à nommer dépend des demandes des ARS (agences régionales de santé). Les nominations à l’internat sont pourtant passées de 3 500 à 7 500, il y avait donc une opportunité pour 10 nominations supplémentaires de gynécologue médical. Que conclure ? Que les demandes des ARS dépendent des doyens et des PU-PH (professeur des universités-praticien hospitalier) déjà nommés. Or, les PU-PH sont nombreux en gynécologie-obstétrique (environ 86) et, pour l’instant, très peu, seulement 2, en gynécologie médicale. Pendant que les nominations à l’internat en GM stagnent à 30  par an, les internes de GO sont, eux, 206, après une nouvelle augmentation de 6 postes.

L’I. M. : Il y a donc peu d’internes, des hospitaliers et des libéraux de plus en plus proches de la retraite, et une répartition régionale inégalitaire ?

F. K. : En Alsace, les gynécologues médicaux sont 2,2 pour 100 000 femmes ; en Bourgogne, 3,3. Paris est à 12,1 ; Marseille à 9,2 ; et Montpellier à 5,4. Les régions les mieux dotées correspondent à celles où l’on trouve une vraie école de GM, où les chirurgiens et les médicaux collaborent sereinement.

Certains gynécologues-obstétriciens qui se sont spécialisés dans l’AMP (aide médicale à la procréation) considèrent qu’ils pratiquent de la gynécologie médicale et s’estiment en compétition. Or, l’AMP est l’un des modes de traitement des stérilités (et non le seul), qui ne sont elles-mêmes que l’un des aspects de l’activité de gynécologie médicale, bien plus large. Celle-ci concerne aussi les problèmes de la puberté, les troubles du cycle, les pathologies mammaires, la sexualité, l’éducation, la prévention, la contraception des femmes à risque… Des activités de santé publique !

L’I. M. : En quoi la GM est-elle indispensable ?

F. K. : Sans la gynécologie médicale, la gynécologie serait la seule discipline confiée aux seuls chirurgiens, à l’inverse de toutes les autres spécialités : cardiologie, neurologie, néphrologie, gastroentérologie… Refuser la nécessité d’un bras médical en gynécologie revient à ne pas reconnaître les besoins spécifiques de la femme en matière de santé. Il faut, par ailleurs, prendre conscience que le domaine de la gynécologie-obstétrique et de la chirurgie gynécologique a lui-même explosé : chirurgie du sein, de la trompe, chirurgie génito-urinaire, cœliochirurgie, fœtopathologie… Cela requiert des qualités de formation et du talent. Tout le monde ne peut pas tout faire !

L’I. M. : La GM pâtit-elle de l’image d’une spécialité facile, ne nécessitant ni formation, ni compétence spécifique ?

F. K : Il semble qu’un tiers des étudiants de la filière de GO ne souhaitent pas faire d’obstétrique ni de chirurgie. Pour quelles raisons ? D’abord, l’obstétrique est un métier extrêmement contraignant et fatigant, il y a des gardes plusieurs fois par semaine, plusieurs week-ends par mois… S’y ajoute la pression juridique : c’est un métier « dangereux », avec des coûts d’assurance professionnelle importants. Donc, beaucoup renoncent, et finiront par s’installer comme gynécologues médicaux, en pensant que c’est facile, et sans maîtriser cette spécialité.

L’I. M. : Les transferts de compétences prévus par la loi HPST sont-ils réalisables ?

F. K. : Très récemment, les sages-femmes ont acquis le droit de faire du dépistage et de prescrire la pilule. Or, elles sont encadrées pour tout ce qui est obstétrical, pour le suivi d’une grossesse, mais pas pour tout ce qui est hormonal et médical en général. On parle de transfert de tâches et de compétences, mais s’est-on préoccupé de leur formation ? L’objectif de la loi semble être de faire réaliser les tâches par des professionnels dont la rémunération, donc le coût de revient des actes, est plus faible.

L’I. M. : Un acte comme un frottis peut-il être réalisé par une autre personne qu’un gynécologue médical ?

F. K. : Je ne nie pas qu’une sage-femme puisse être formée. Toutefois, faire un frottis est une chose, regarder un col et reconnaître une pathologie pouvant nécessiter coloscopie et biopsie en est une autre et demande une formation théorique et pratique sur les pathologies du col. Pour le maniement des hormones, c’est encore différent. L’un des conseillers, obstétricien, du ministre de la Santé de 1998, a dit : « Oh ! Il ne faut certainement pas quatre ans d’études pour prescrire une contraception ! » Évidemment, si l’on donne la même contraception à toutes les femmes ! Mais le maniement des hormones est complexe. Depuis quarante ans, des progrès sont survenus. Il faut bien connaître la physiologie de l’axe hypothalamo-hypophyso-ovarien, les différences entre les traitements : œstrogènes, progestatifs et pilules, donc pouvoir ajuster les contraceptions à chaque cas. Car, sans formation ni réflexion spécifiques, la tentation peut être grande de prescrire en première intention, sous la pression des visiteurs médicaux, les dernières pilules, dites de troisième ou de quatrième génération, les plus chères, et qui entraînent le risque thrombo-embolique le plus élevé.

L’I. M. : Quel peut être le rôle des infirmières ?

F. K. : Pour l’instant, le sujet concerne surtout les infirmières scolaires, qui ont un rôle de terrain important et sont en première ligne pour les demandes de contraception urgente et d’orientation en cas de grossesse précoce et non souhaitée. Elles sont extrêmement utiles ; aller les voir, pour une toute jeune fille, est sans doute plus judicieux que de s’adresser en catastrophe à un pharmacien, qui, en l’absence de toute confidentialité dans son officine, ne peut interroger, n’examine pas, et risque aussi d’être juge et partie sur la qualité et le prix de la pilule. Il serait souhaitable de renforcer la formation et le nombre de ces infirmières pour qu’elles assurent pleinement ce rôle de conseil.

1– Observatoire national de la démographie des professions de santé.

FRÉDÉRIQUE KUTTENN

MÉDECIN SPÉCIALISÉE EN ENDOCRINOLOGIE

→ En 1994, elle devient chef de service d’endocrinologie et médecine de la reproduction à l’hôpital Necker.

→ De 2000 à 2003 : membre du Comité de suivi pour la réforme de la gynécologie médicale.

→ De 2000 à 2006 : membre du Conseil national des universités en gynécologie.

→ En 2006, elle devient chef de service d’endocrinologie et médecine de la reproduction à la Pitié-Salpêtrière.

→ En 2010, devient PU-PH–consultant. Elle crée le Collège national des enseignants de gynécologie médicale (CNEGM), qu’elle préside.