DOSSIER
L’ESSENTIEL
La drépanocytose (ou anémie falciforme) est la maladie génétique la plus répandue dans le monde, et, en France, la plus fréquente, avec environ 12 000 patients atteints sur l’ensemble du territoire. Elle associe des manifestations cliniques liées à une anémie hémolytique chronique à des crises vaso-occlusives et à une sensibilité accrue aux infections, avec une grande variabilité selon les patients. Certains, notamment, peuvent souffrir de complications fréquentes et potentiellement graves, entraînant un retentissement sur de nombreux organes (cerveau, os, reins, poumons, œil…). Pour combattre la maladie, l’éducation thérapeutique est primordiale. Elle porte sur la connaissance des syndromes et leur mode de transmission, ainsi que sur la gestion globale de l’affection et les enjeux des traitements quotidiens, les signes d’alerte devant faire consulter en urgence.
Chez l’adulte bien portant, l’hémoglobine A (HbA) est le constituant principal du globule rouge. Elle assure le transport de l’oxygène (et également du gaz carbonique et du monoxyde d’azote) dans l’organisme. Chaque molécule d’Hb est composée de quatre chaînes polypeptidiques de globines ; deux chaînes « alpha » et deux chaînes « non-alpha ». Ces dernières variant avec l’âge de l’individu. Ainsi, l’hémoglobine fœtale est composée de deux chaînes alpha et de deux chaînes gamma. Après la naissance, les chaînes gamma sont progressivement remplacées par les chaînes bêta.
Dans la drépanocytose, l’HbA est remplacée par une hémoglobine anormale appelée hémoglobine S (HbS), du fait de la mutation d’un acide aminé au niveau de la chaine bêta de l’hémoglobine. Il existe d’autres anomalies de l’Hb résultant d’une mutation génétique, comme, par exemple, l’hémoglobine C (en Afrique) et les thalassémies (notamment les bêta-thalassémies, fréquentes autour du bassin méditerranéen), responsables de tableaux cliniques plus ou moins graves.
La drépanocytose est une maladie génétique à transmission autosomique récessive. Elle ne s’exprime que pour certains génotypes. Les personnes concernées sont dites atteintes d’un « syndrome drépanocytaire majeur ». On en distingue plusieurs formes.
→ L’état homozygote (SS) est la forme la plus fréquente mais aussi la plus sévère : le patient a reçu de chacun de ses parents un allèle porteur de la mutation (S).
→ Les patients hétérozygotes composites SC et les patients hétérozygotes composites S/bêta-thalassémiques sont, en général, atteints de formes plus modérées : ils ont hérité d’un allèle de l’hémoglobine S et d’un allèle de l’hémoglobine C ou d’une hémoglobine thalassémique. Plus rarement, d’autres hémoglobines mutées peuvent s’associer à l’hémoglobine S : les hémoglobines O ? Arab, D ? Punjab…
→ Les sujets hétérozygotes (AS) sont habituellement asymptomatiques (porteurs sains), sauf dans des conditions extrêmes d’hypoxie ou de déshydratation (voir encadré ci-contre), au cours desquelles une crise vaso-occlusive peut survenir (voir schéma p. 39). Ils peuvent transmettre la maladie à leurs enfants. À noter : les anomalies hétérozygotes de l’hémo-globine offrent une certaine protection vis-à-vis du paludisme. Ce qui n’est pas le cas pour les homozygotes SS.
Dans certaines circonstances – privation d’oxygène, déshydratation, hyperthermie… (voir encadré ci-contre) –, l’hémoglobine S peut se polymériser. Cela modifie la structure des hématies, qui prennent l’aspect d’une faucille (voir schéma ci-contre) : on parle d’hématies falciformées (drépanocyte). L’HbS peut se polymériser avec une autre molécule d’HbS (patients SS), avec une molécule d’HbC (patients SC) ou avec une hémoglobine thalassémique (patients S/bêta-thalassémique), mais pas avec l’HbA (sauf conditions extrêmes). Cela explique l’existence des trois grandes catégories de manifestations cliniques de la maladie.
→ Une anémie hémolytique : le globule rouge défor-mé est plus vite détruit qu’un globule rouge normal.
→ Un risque vaso-occlusif : les hématies drépano– cytaires, déformées et raides, sont responsables de l’occlusion des microvaisseaux. Elles entraînent en outre une augmentation de la viscosité sanguine, à l’origine de phénomènes d’inflammation et d’une altération de l’endothélium vasculaire, ce qui contribue aussi aux phénomènes d’occlusion.
→ Un risque infectieux augmenté, du fait, en particulier, d’une asplénie fonctionnelle (la rate ne fonctionne plus correctement en raison d’un infarctus splénique : les obstructions répétées des microvaisseaux sont à l’origine de la nécrose du tissu splénique).
En règle générale, le sujet homozygote (SS) est plus symptomatique que les sujets hétérozygote SC ou S/bêta-thalassémique. Cependant, pour chacune de ces formes, il existe de grandes variations individuelles de l’expression clinique. L’évolution est très variable d’un individu à l’autre, mais aussi très imprévisible dans le temps. Toutefois, l’espérance de vie des patients drépanocytaires augmente régulièrement, grâce à l’amélioration de la prise en charge.
Les nourrissons sont généralement asymptomatiques les six premiers mois de la vie grâce à la persistance de l’HbF (hémoglobine fœtale), qui inhibe la polymérisation de l’HbS. La maladie peut ensuite se révéler par une pâleur et une fatigue (témoignant d’une anémie), par des crises douloureuses articulaires (voir ci-après) ou abdominales. Les deux complications redoutées chez l’enfant étant l’anémie aiguë (par séquestration splénique aiguë, voir ci-après) et les infections (notamment pneumococciques) exposant à un risque de septicémie.
Les crises douloureuses osseuses et le syndrome thoracique aigu (voir ci-après) sont les principales causes d’hospitalisation. Par ailleurs, les complications chroniques sont fréquentes.
Les drépanocytaires souffrent d’une anémie hémolytique chronique, essentiellement à l’origine d’une fatigue excessive et d’une pâleur, parfois d’une couleur jaune des yeux, de la peau et des urines. Chez les patients drépanocytaires homozygotes, l’Hb est généralement comprise entre 7 et 9 g/dl (avec une tolérance satisfaisante au repos ; normale chez l’homme : 13 à 18 g/dL ; chez la femme et l’enfant de plus de 2 ans : 12 à 16 g/dL).
→ Une aggravation de l’anémie : elle est définie par une baisse d’au moins 2 g/dL par rapport aux valeurs de base. Elle peut avoir plusieurs causes, notamment une infection, une crise vaso-occlusive, une carence en vitamine B9 (nécessaire à la fabrication des globules rouges) ou une séquestration splénique aiguë (chez l’enfant).
→ Une séquestration splénique aiguë, qui corrrespond à un fonctionnement intensif de la rate, à l’origine d’une anémie aiguë fulgurante. Elle est liée à l’occlusion du retour capillaire veineux par les hématies falciformées. Elle se manifeste par une augmentation soudaine du volume de la rate, une aggravation des signes de l’anémie (pâleur, altération de l’état général), des douleurs abdominales importantes. C’est une urgence absolue.
La répétition des crises vaso-occlusives finit par rendre la rate non fonctionnelle. À 6 ans, 90 % des enfants drépanocytaires présentent une asplénie fonctionnelle, ce qui entraîne un risque élevé d’infections.
→ Des complications infectieuses, qui peuvent menacer le pronostic vital, notamment chez l’enfant (septicémie, méningite, pneumopathie) et/ou laisser des séquelles (ostéomyélite : infection des os). Les infections peuvent aussi favoriser la survenue de crises vaso-occlusives.
→ Des crises vaso-occlusives osseuses, très douloureuses, parfois soudaines et relativement brèves, ou bien évoluant de façon chronique (sur plusieurs semaines). Chez le jeune enfant, elles atteignent souvent les extrémités (syndrome pied-main) et l’abdomen. Le syndrome pied-main est fréquent chez le nourrisson. Il se manifeste par un œdème douloureux au niveau du dos des mains ou des pieds suite à des crises de vaso-occlusion au niveau des os. Chez l’adulte, les douleurs osseuses sont brutales et très intenses. Leur intensité, leur répétition et le caractère imprévisible de ces crises ont un retentissement fonctionnel et psychologique majeur.
→ Un priapisme : il s’agit d’une érection douloureuse persistant sans excitation sexuelle, résultant de complications vaso-occlusives. Cette complication potentiellement grave peut évoluer vers une impuissance.
→ Le syndrome thoracique aigu, une forme grave de crise vaso-occlusive, souvent favorisé par une infection. Il se manifeste par une fièvre, des signes respiratoires (toux, détresse respiratoire…) et des douleurs abdominales et thoraciques intenses. L’hospitalisation en urgence est indispensable.
→ Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont également une complication très grave. Tout signe neurologique chez un patient drépanocytaire doit faire craindre un AVC et conduire à une hospitalisation.
Elles surviennent chez l’adulte et sont la conséquence de la répétition des crises vaso-occlusives et des lésions de nécrose qui en résultent : nécroses osseuses (notamment de la tête fémorale ou de la tête humérale liées), lithiase biliaire (complication de l’hémolyse chronique), insuffisance rénale, hypertension pulmonaire artérielle, atteinte cardiaque, rétinopathie, troubles de l’érection (priapisme aigu), ulcères de jambe.
Il repose sur l’étude de l’hémoglobine et l’identification de l’HbS. Le pronostic d’un syndrome drépanocytaire majeur étant d’autant plus favorable que sa prise en charge est précoce, il est impératif d’en faire le diagnostic dès la naissance. En France, il existe un programme de dépistage néonatal ciblé sur les nouveau-nés de parents appartenant à des populations à risque (voir encadré ci-dessous). Dans certains cas (patients récemment arrivés en France…), le diagnostic est plus tardif, et réalisé à l’occasion d’une complication aiguë ou chronique.
Les examens réalisés sont les suivants :
– Un hémogramme, la recherche du groupe sanguin, un bilan martial (fer sérique…) et la recherche d’un déficit en G6PD (fréquemment associé) sont systématiques au moment du diagnostic.
– D’autres examens sont réalisés chez l’adulte et chez l’enfant pour dépister certaines complications : bilan hépatique et lipidique, créatininémie, dosage en vitamine D, calcémie, radiographie du thorax, de la hanche et des épaules, échographie abdominale (à la recherche d’une lithiase biliaire), ECG et échographie cardiaque, exploration de la fonction respiratoire…
– Un doppler transcrânien est réalisé chaque année chez l’enfant à partir de l’âge de 12/18 mois, pour évaluer et prévenir le risque d’AVC (voir encadré ci-dessous).
* Voir encadré « Épidémiologie » p. 35.
** Voir Savoir + p. 42.
→ La déshydratation : elle modifie la viscosité du globule rouge, favorise et aggrave les crises vaso-occlusives. Elle est fréquente chez le sujet drépanocytaire. Ce dernier présente, en effet, une polyurie permanente (émission d’urine en quantité importante) du fait d’une altération de la fonction rénale (elle-même due à l’occlusion vasculaire altérant la filtration glomérulaire rénale). Le patient drépanocytaire doit boire beaucoup.
→ L’hypoxie : tout ce qui désature l’hémoglobine en oxygène déclenche une falciformation accélérée. Il faut donc éviter tout trouble ventilatoire : l’altitude (au-delà de 1 500 m), les efforts trop importants, le ronflement ou les apnées du sommeil, une crise d’asthme…
→ La vasoconstriction : les facteurs susceptibles de ralentir la circulation sanguine peuvent déclencher une crise : le froid (vasoconstricteur qui ralentit la circulation sanguine), le tabac, un effet garrot (vêtement trop serré ou une mauvaise position…).
→ Les infections : la fièvre et un état inflammatoire favorisent une recrudescence des crises. Il faut, en particulier, maintenir une bonne hygiène dentaire et soigner rapidement une infection (ORL, dentaire).
→ Dans le monde, on estime qu’environ 300 ? millions de personnes sont porteuses du « trait drépanocytaire » c’est-à-dire qu’elles sont porteuses « asymptomatiques » (ce sont des hétérozygotes AS). Une forte prévalence est observée dans les populations africaines, antillaises et méditerranéennes, notamment maghrébines. Ainsi, en Afrique intertropicale, une personne sur quatre est porteuse de l’allèle S, et, dans les Antilles, une personne sur huit. La maladie est également présente en Amérique du Nord (États-Unis) et en Amérique du Sud (notamment au Brésil), dans tout le Moyen-Orient ainsi que dans le sous-continent indien. Enfin, en raison des migrations de population, on la retrouve également en Europe.
→ En France, la prévalence de la drépanocytose de l’adulte est en augmentation continue, notamment du fait de l’immigration et de l’allongement de l’espérance de vie des patients drépanocytaires :
– 400 à 450 enfants atteints d’un syndrome drépanocytaire majeur naissent chaque année en France, principalement en Ile-de-France et dans les Antilles.
– On compte environ 10 000 malades en France métropolitaine, 2 000 en Martinique et 1 500 en Guadeloupe.
– En métropole, la maladie est surtout fréquente en Ile-de-France et dans la région Alpes-Côte d’Azur. La région Ile-de-France reste la plus concernée par la maladie, avec environ 1 naissance sur 700.
Un dépistage est effectué de manière généralisée, sur tous les nouveau-nés, dans les départements d’outre-mer, et de manière ciblée en France métropolitaine. Actuellement, pour que le nouveau-né soit testé, il faut que ses deux parents soient originaires d’une région à risque
→ En pratique
Le personnel des maternités sélectionne les nouveau-nés qui vont pouvoir bénéficier de ce dépistage. Une information sur la maladie et des brochures
→ Centre de référence
Les nouveau-nés dépistés pour un syndrome drépanocytaire majeur (SDM) sont adressés à un centre de référence. Les buts d’une prise en charge précoce de l’enfant sont :
– l’éducation des familles sur l’importance des soins préventifs et la reconnaissance des signes de gravité ;
– la mise en œuvre de l’antibiothérapie quotidienne et la vaccination, notamment anti-pneumococcique ;
– l’instauration, à partir de l’âge de 12/18 mois, d’un examen annuel par Doppler transcrânien en prévention des AVC.
Une carte d’urgence spécifique est remise aux patients, comportant des informations et des conseils sur la maladie, et un volet réservé aux données médicales (taux d’Hb de base, principaux traitements prescrits…). Les techniques utilisées permettent aussi de dépister les nouveau-nés hétérozygotes AS (asymptomatiques). L’information donnée au cours d’une consultation de conseil génétique permettra à un couple porteur du trait S de choisir d’avoir ou non un autre enfant, en toute connaissance de cause.