L'infirmière Magazine n° 317 du 15/02/2013

 

OFFRE DE SOINS

DOSSIER

Les hôpitaux publics et les établissements privés à but lucratif sont à couteaux tirés, leurs relations oscillent entre concurrence et complémentarité. Sur ce front ambivalent, l’argent est le nerf de la guerre…

Les frappes contre l’hôpital ne sont pas toujours chirurgicales. Plutôt du registre de la destruction massive. Selon ses détracteurs, le public coûte plus cher que les cliniques, a des airs d’usine à gaz, gère mal – le privé à but lucratif a même proposé de prendre provisoirement en main des hôpitaux déficitaires. Avec ces attaques, « certains de nos personnels ont pu se sentir blessés », témoigne Cédric Lussiez, de la Fédération hospitalière de France (FHF). À l’inverse, il est reproché aux cliniques de sélectionner leurs patients, de choisir les actes rentables, de penser surtout au profit.

Sur le champ de bataille, la moindre étincelle provoque un regain de tension. Le 6 décembre, la ministre de la Santé se rend aux Assises des centres hospitaliers universitaires (CHU)… et annule sa participation aux Rencontres annuelles de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP). Qui s’en émeut. « Il n’y a pas d’agression ni de stigmatisation vis-à-vis du secteur privé. Mais je ne crois pas que ce soit l’intérêt du privé de mettre en accusation le service public », clarifie Marisol Touraine(1). Difficile de compter les points : le sujet est complexe techniquement, et sensible politiquement. Par exemple, en termes d’activités, une de nos interlocutrices refuse de comparer le privé lucratif, qu’elle défend, aux CHU, en raison de la taille moyenne plus petite des cliniques. Pourtant, la FHP(2) se lance dans la comparaison avec les établissements publics à propos de la qualité des soins. Elle remarque que la Haute Autorité de santé accorde plus fréquemment son niveau maximal de certification aux cliniques. C’est exact. Mais il n’existe en fait « aucune analyse approfondie » de ces écarts, et « une telle lacune (…) peut conduire à des interprétations hasardeuses », avertit la Cour des comptes(3).

Différence tarifaire

La tension atteint son paroxysme dans « un débat vieux d’au moins deux tiers de siècle », selon l’historien Olivier Faure : la différence des tarifs. Le privé coûte, en moyenne, 22 % moins cher que le public, contre 40 % en 2006. Comment obtient-on ce pourcentage ? En s’appuyant sur les groupes homogènes de séjours (GHS), à l’aide desquels les établissements classent leurs activités, et en réintégrant la rémunération des médecins du privé à but lucratif, non incluse dans le tarif des cliniques. Bien sûr, le privé s’empresse de relayer cette statistique officielle(4), oubliant au passage de préciser que ses tarifs dépassent ceux des cliniques dans 239 GHS… Une chose est certaine : si les tarifs de tous les établissements convergeaient vers les plus bas, l’assurance maladie ferait des économies(5). Mais, la convergence tarifaire, d’abord reportée de 2012 à 2018, a été stoppée par le gouvernement Ayrault. Provoquant le soulagement des hôpitaux et la déception des cliniques.

Le sujet reste, en fait, à approfondir. Zeynep Or, directrice de recherche à l’Irdes(6), « déplore un manque de clarté sur les calculs de différence de coût ». Elle fait état de difficultés d’accès aux résultats de l’étude nationale des coûts, outil majeur…, à laquelle participent très peu d’établissements. Dans un article qu’elle a co-écrit (voir Bibliographie p. 17), l’Irdes avance diverses explications. Le privé peut, en particulier, contrôler plus facilement la composition du personnel médical ou le niveau de salaire. De même, « si l’on vendait le terrain d’hôpitaux situés en centre-ville, par exemple la Pitié-Salpêtrière, on gagnerait beaucoup d’argent, mais nous devons tenir compte du patrimoine dont nous avons hérité », ajoute Cédric Lussiez. « Dans le public, beaucoup d’espaces immobiliers ne servent à rien, ne sont pas utilisés pour les soins », renchérit Lamine Gharbi, président de la FHP-MCO (Médecine chirurgie obstétrique). Aux contraintes d’organisation s’ajoutent d’autres facteurs, liés aux soins, qui majorent structurellement les coûts pour le public : une part plus importante d’opérations non programmées, des prises en charge à 40 % peu standardisées (contre 90 % de prises en charge financées à l’acte dans le privé)(7), davantage de patients dont état présente un niveau de sévérité élevé. Pour schématiser, un panel d’activités plus large est moins « rentable » pour un établissement qu’une spécialisation chirurgicale ouverte sur un créneau horaire limité… En fait, si sélection des patients il y a dans le privé à but lucratif, elle ne se fait pas à la porte des cliniques, mais en amont, en fonction des activités et des spécialités de l’établissement. Un rien provocateur, Cédric Lussiez lance : « Il n’y aurait rien d’absurde à ce que le privé gère des hôpitaux en déficit, s’il acceptait les mêmes contraintes que celles des hôpitaux et ne triait pas les malades. » Des prises en charge moins lourdes dans le privé à but lucratif ? Lamine Gharbi rétorque qu’il existe 2 300 tarifs, avec quatre niveaux plus ou moins avantageux en fonction des comorbidités. Pas sûr, pour autant, que ce classement suffise à reconnaître les différences de prise en charge, notamment en cas de polypathologie. « Il n’y a plus de niche de rentabilité, poursuit Lamine Gharbi. Nous voulons ouvrir au maximum la prise en charge des pathologies vers l’éducation thérapeutique, la médecine gériatrique, le dépistage… Nous diversifier réduit les risques d’à-coups pour le chiffre d’affaires. »

Mode de financement

En fait, la hache de guerre a vraiment été déterrée avec la T2A, paiement à l’activité introduit en 2005. Le professeur André Grimaldi, éminent défenseur de l’hôpital public, en livre une illustration. « Auparavant, les professionnels de santé définissaient eux-mêmes leurs complémentarités. Mon service préférait confier la chirurgie du pied diabétique à un confrère en clinique, au tarif de la Sécurité sociale. Depuis la T2A, nous pratiquons cette opération nous aussi… » Ce diabétologue s’inquiète : en Allemagne, qui applique une sorte de T2A, un tiers des hôpitaux publics ont été revendus au privé lucratif. « La T2A, dit-il, ne doit plus être utilisée comme une politique, mais comme une technique », un mode de financement pour des activités standardisées, qui s’ajouterait à des prix de journée et des dotations.

Des dotations complémentaires de la T2A existent déjà. Il s’agit des crédits Migac(8), d’un montant de 8,5 milliards et confiés pour l’accomplissement de missions de service public. Ce sont surtout les enveloppes Ac qui mécontentent le privé lucratif, en raison de leur répartition jugée plus arbitraire. Au total, 99 % des fonds Migac sont alloués au public. Mais, quelle part le privé estimerait-il légitime d’en percevoir ? « Si l’on obtenait ne serait-ce que 5 % des Migac… », note Lamine Gharbi. Cette proportion représente 3 % du chiffre d’affaires des cliniques. « Nous prenons en charge 30 à 40 % de l’activité du secteur de l’hôpital, nous pourrions donc percevoir au moins 30 % sur certains aspects », calcule Jean-Loup Durousset, président de la FHP. Le secteur privé à but lucratif a d’ailleurs attaqué l’État français au niveau européen, en 2011, pour « financement discriminatoire ». Cette plainte, inédite, est, selon lui, toujours en cours. « Si nous n’obtenons pas un verdict en notre faveur, nous aurons au moins fait progresser les esprits. » De son côté, Cédric Lussiez relativise le montant des enveloppes Migac : certes, elles équivalent à 12 % du financement de l’hôpital, mais sont « souvent sous-évaluées » par rapport aux missions effectivement accomplies.

Sur un point, toutefois, les finances du public et celles du privé se retrouvent. Un tiers des établissements publics sont déficitaires en 2011, en dépit de progrès certains. « Le public gère beaucoup mieux qu’avant, par exemple avec des groupements d’achats entre établissements, précise Cédric Lussiez. Dire qu’un établissement gérerait mieux qu’un autre relèverait du mépris. » Selon la FHP(9), 28 % des cliniques et des hôpitaux privés sont déficitaires. La FHP-MCO précise même que son domaine est « le moins rentable des neuf secteurs intervenant dans la santé en 2010 », loin derrière les laboratoires d’analyses médicales. La rentabilité des cliniques, très variable, s’élève en moyenne à 1,9 % en 2010. Les cliniques sont donc loin « du mythe des profits juteux réalisés sur la souffrance humaine », commente Olivier Faure. Mais le chiffre est trompeur : « La faible rentabilité économique s’explique par le fait que les médecins partenaires des cliniques (…) en attendent surtout des loyers et des honoraires. » La FHP-MCO souligne même de nombreux atouts, comme « peu d’à-coups, et une croissance constante qui garantit la récurrence du cash-flow ». Les investisseurs comprendront…

Pour autant, Jean-Loup Durousset refuse de parler du profit comme du moteur principal. « Le privé pense à son équilibre, ce que le public appelle profit. Je me lève chaque matin avec l’angoisse du déséquilibre », confie ce dirigeant d’un groupe de cliniques. Lui-même a connu la liquidation judiciaire d’une maternité. « La gestion hospitalière est compliquée, les difficultés forgent la réflexion. On ne peut pas jeter la pierre à l’acteur qui veut arriver à l’équilibre. Il existe des facteurs multiples, comme la démographie, la tarification, le nombre d’offres sur un territoire. Qu’on ne se trompe pas : être chef d’entreprise, ce n’est pas que du bonheur… »

D’importants abus

L’équilibre budgétaire concerne aussi la collectivité dans son ensemble. Les cliniques se targuent ainsi de coûter moins cher à l’assurance maladie. Mais elles reviennent plus cher… au patient, ce grand absent des débats. Selon le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie(10), les ménages paient 15,4 % de leurs dépenses en clinique, trois fois plus que dans le public, notamment en raison de l’hôtellerie. Pour relativiser, Lamine Gharbi recourt à sa calculatrice : « 700 millions de dépassements d’honoraires chez nous, cela représente 11 euros par Français par an… Les dépassements sont plus nombreux dans le privé lucratif, en raison d’un plus grand nombre d’activités chirurgicales. Mais, les plus gros abus ont lieu dans le public. » À l’hôpital, les médecins peuvent consacrer 20 % de leur temps à des consultations libérales en échange d’une redevance à l’administration – une minorité d’abus sont constatés. La question du dépassement d’honoraires n’est pas l’apanage du privé, confirme Marc Paris, du CISS(11). « Le problème majeur des dépassements, c’est quand certaines spécialités n’existent plus qu’en clinique : il faudrait alors garantir le tarif opposable sous certaines conditions. » Toutefois, dans leur esprit, les patients ne distinguent pas toujours entre public et privé, puisqu’ils suivent l’orientation de leur médecin traitant. Cette guerre entre le public et le privé a peut-être davantage de conséquences pour le personnel, soumis à la notion d’hôpital-entreprise. Des spécialistes assurent qu’il n’est pas possible de diriger un service public comme une entreprise. Pourtant, les critères du privé irriguent le public, à travers le management, l’évaluation ou la quantification à tout crin. Une ancienne directrice des ressources humaines de Danone, Rose-Marie Van Lerberghe, a « pour la première fois » tenté à l’AP-HP une gestion des ressources humaines sur le mode du privé(12).

Lamine Gharbi explique les récents gains de « parts de marché » du public par le fait que « l’hôpital s’est très clairement mis à travailler pour avoir un budget. Des managers du public sont devenus aussi bons que ceux du privé. Vous pourriez imaginer en clinique certains directeurs d’hôpital : ils parlent budget, chiffre d’affaires, rentabilité, efficience… » Jean-Loup Durousset, lui aussi, voit les choses positivement : « Le privé fonctionne comme un aiguillon pour l’hôpital, au niveau de la gestion, des valeurs, des soins, de la démarche qualité… » « Le privé, très souple, est facteur de stimulation », reconnaît Cédric Lussiez. Et tant pis pour la hausse des prix : « La concurrence entre hôpitaux, selon la littérature consultée par l’Irdes, se fait surtout en différenciant leurs biens et services fournis (…), ce qui conduit à une duplication des soins coûteux. »

« Valeurs de solidarité »

Et si, finalement, le casus belli était l’idée même que l’on se fait de la santé ? Au cœur de la réflexion, la notion de service public, théorisée au début du XXe siècle et résumée en ces termes par la médecin Nicole Smolski : « Il y a des activités collectives dont on peut assurer la gestion collectivement en donnant des garanties aux usagers (…), avec un mode de financement qui ne peut être celui du marché. » Dans le domaine hospitalier, la notion apparaît avec la loi Boulin du 31 décembre 1970 – après les premières coordinations des secteurs, dans les années 1960. Mais, le service public à la française se heurte aux conceptions européennes du « service d’intérêt économique général ». En 2009, il disparaît même avec la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST). En avril 2012, la mission Boiron-Fellinger propose donc de valoriser le service public. Une notion synonyme, selon la nouvelle ministre, de « valeurs d’équité et de solidarité », la conduisant à distinguer l’hôpital de l’entreprise. Marisol Touraine a annoncé le retour du terme dans les textes. Et dans les actes ? La loi HPST, suivie d’un décret d’application le 24 avril 2012, a désigné 14 missions de service public, que les agences régionales de santé peuvent confier à tout établissement. Les cliniques privées, elles, affirment régulièrement leur engagement au service du public, notamment par leurs 132 services d’urgence (représentant 12 % des passages tous secteurs confondus). Depuis 2011, certaines d’entre elles reçoivent aussi des internes.

Public et privé signeront-ils l’armistice à l’occasion du pacte de confiance, dont la concertation est animée par Édouard Couty ? La guerre froide qu’ils se livrent révèle, en tout cas, nombre de paradoxes. Celui d’un syndicalisme privé parfois violent dans ses propos, mais souvent assis à la table des négociations avec ses rivaux ou avec l’État. Celui d’une offre de soins où la concurrence fait rage, avec un privé lucratif important, mais où l’État règne : il fixe les tarifs, autorise ou non chaque activité, finance les établissements. L’offre de soins relève à la fois de la concurrence et de la complémentarité. C’est un marché, mais extrêmement régulé. L’enjeu est donc de reconnaître le rôle du privé sans priver le public de son rôle. Sous la présidence Sarkozy, il y avait « une volonté réelle d’appliquer [au public] le même fonctionnement que les cliniques privées », protestait Olivier Lyon-Caen en 2009(13). Ce neurologue conseille désormais le président Hollande. Un changement de politique se dessine-t-il ? « On a annoncé des volontés de changement, mais comment les met-on en musique ?, nuance son confrère André Grimaldi. C’est, en fait, à l’échelle des pays développés qu’a été mise en route une logique générale de privatisation. »

1– Selon Le quotidien du médecin : bit.ly/XpgsHF

2– bit.ly/WHJWxs

3– bit.ly/UEi3a9

4– Rapport 2011 au Parlement sur la convergence tarifaire : bit.ly/11lO1iw

5– 7 milliards d’euros, selon la Cour des comptes : bit.ly/TOnIgn

6– Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes).

7– Rapport 2012 au Parlement sur le financement des établissements de santé : bit.ly/11lPx49

8– Missions d’intérêt général (Mig) et d’aides à la contractualisation (Ac).

9– bit.ly/WHQE6D

10– Calcul réalisé à partir des comptes nationaux 2007 de la santé de la Drees, et relayé par la FHF.

11– Collectif interassociatif sur la santé (CISS).

12– Libération, 6 novembre 2006.

13– Le Monde, 28 mars 2009.

BIBLIOGRAPHIE

« Les écarts des coûts hospitaliers sont-ils justifiables ? », document de travail n° 25 de l’Irdes, mai 2009 : bit.ly/UQ5eeD

L’hôpital en sursis, excellent ouvrage du sociologue Frédéric Pierru, co-écrit avec Bernard Granger, Le Cavalier bleu, collection « idées reçues », 2012.

> L’article sur « La fabrique des palmarès » dans La presse écrite : objets délaissés, sous la direction de Jean-Baptiste Legavre, L’Harmattan, 2004.

L’hôpital en réanimation, ouvrage collectif, dont les propos de Nicole Smolski sont extraits, Éditions du Croquant, 2011.

Les cliniques privées. Deux siècles de succès, Olivier Faure, Presses universitaires de Rennes, 2012.

> Les débats sur les différences de tarifs lors du vote pour la dernière loi de financement pour la Sécurité sociale, notamment les 23 (bit.ly/XheBpf) et 26 (bit.ly/SHBoXs) octobre.

> Les réflexions sur le service public à l’occasion de l’actuelle concertation pour le pacte de confiance : bit.ly/UQ60Iw

COMMUNICATION

Des propagandes opposées

La FHF, défenseur de l’hôpital public, a publié un document, « Pour en finir avec les idées reçues ». La FHP-MCO, représentant des cliniques privées, a, elle, baptisé un chapitre de son dossier de presse « En finir avec les idées fausses ». Ainsi va la bataille de communication que se livrent les secteurs public et privé lucratif.

Généralement, le privé lucratif semble plus offensif, voire agressif, avec son « hosto comparateur » sur Internet ou ses Playmobil envoyés à 300 parlementaires. Les promoteurs du public « ont tout et sont soutenus par les couches politiques, l’Assemblée nationale, le gouvernement, justifie Lamine Gharbi, de la FHP-MCO. Nous sommes les petits, qui voulons avoir notre place dans le paysage sanitaire. C’est comme dans une cour d’école, quand le petit va embêter le grand ! » On pourrait ajouter que le privé n’a pas toujours manqué de relais dans la classe politique…

Du côté de la FHF, on joue la modestie, avec, entre autres, de la documentation technique envoyée aux parlementaires à chaque débat sur le financement de la Sécurité sociale. D’autres messages, adressés, semble-t-il, au grand public, sont en réalité destinés aux décideurs… « Nous ne faisons pas de spots radio, nous n’achetons pas de pleines pages dans Le Parisien. Pour cela, il nous manque au moins un zéro dans le budget », déclare Cédric Lussiez. « Nous n’achetons pas de spot ni de pleine page dans les grands journaux, déclare, comme en écho, Lamine Gharbi. À sept, on fait du bruit ! On dénonce les scandales, ça ne coûte pas cher… Nos arguments sont justes, donc repris. » Durant ses loisirs, le président de la FHP-MCO joue au rugby, et à l’avant.

CLASSEMENT QUALITÉ

Hôpitaux publics et cliniques privées rivalisent aussi sur le papier, dans le palmarès annuel du Nouvel Observateur, ou dans le classement des établissements luttant contre le cancer publié par L’Express. Depuis la première liste noire des urgences, sortie en 1992 dans 50 millions de consommateurs, ce genre de classement venu des États-Unis s’est développé et banalisé. « Leur émergence n’est compréhensible que replacée dans la dynamique plus large d’“économisation” du monde de la santé », écrit Frédéric Pierru. Ce sociologue évoque « l’assimilation du patient à un consommateur “éclairé” [qu’il n’est pas forcément…], de l’hôpital à une entreprise ; l’importation dans l’univers médical des méthodes industrielles de la “démarche qualité” ».

FORCES EN PRÉSENCE

Deux belligérants et un acteur neutre

Les tensions les plus vives opposent les 956 structures hospitalières publiques (prédominantes dans toutes les régions en nombre de lits et places, sauf en Provence-Alpes-Côte d’Azur, selon la Drees) et les 1 047 privées à but lucratif. Plus précisément, ce sont leurs hérauts respectifs qui s’affrontent, la Fédération hospitalière de France (FHF) et la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP).

La FHP compte chaque année 8 millions de patients, 54 % de parts de marché en chirurgie, 67 % des séjours en ambulatoire, 27 % des accouchements… En médecine-chirurgie-obstétrique, une clinique moyenne compte 115 places, pour un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros. Dans les deux dernières décennies ont eu lieu de nombreuses restructurations, avec l’arrivée de grands groupes. Mais, souligne la FHP-MCO, seul un tiers des cliniques sont entre leurs mains : les autres sont « indépendantes » ou appartiennent à de « petits groupes régionaux ».

L’hospitalisation comprend un troisième secteur, plus discret dans les débats, celui des 707 établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic), à but non lucratif, anciennement appelés PSPH (participant au service public hospitalier). La Fehap en est le porte-parole. Par certains aspects, ces établissements se rapprochent plutôt du public – eux aussi, par exemple, étaient préalablement financés en dotation globale. Dans la quasi-totalité de ces structures, la médecine est exclusivement salariée. En vue du pacte de confiance pour l’hôpital, la Fehap a notamment proposé de définir par la loi « un service public de santé » (plus large que le service public hospitalier) et les modalités pour y participer.

Une caractéristique française est l’importance du privé, né à la Révolution française, comme l’explique l’historien Olivier Faure. Le privé à but lucratif accueille d’abord les malades mentaux des classes favorisées. Le dernier créneau qu’il occupe devient vite le principal : la chirurgie. Les hospices publics excluent alors les plus aisés. Ils refusent aussi les malades incurables ou chroniques, « partiellement recueillis par les institutions charitables ». Au début du XXe siècle, les cliniques mutualistes se développent pour les classes moyennes, trop riches pour le public et trop pauvres pour les cliniques.

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