Les soins aux patients atteints de toxidermie sévère - L'Infirmière Magazine n° 317 du 15/02/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 317 du 15/02/2013

 

FORMATION CONTINUE

QUESTIONS SUR

La peau est l’organe frontière par excellence, son rôle est multiple : protection contre les agressions extérieures, régulation de la température, perception du monde, image de soi. Elle peut être endommagée, ce qui, dans certaines pathologies, engendre une mise en jeu du pronostic vital. C’est le cas pour le syndrome de Lyell ou NET(1) et pour le syndrome de Stevens-Johnson(2).

Comment se caractérisent-ils ?

Le SJS/NET est une toxidermie aiguë de survenue brutale. Une étiologie médicamenteuse est identifiée dans 70 % des cas. Il est caractérisé par une nécrose étendue de l’épiderme, touchant à la fois la peau et les muqueuses. Il peut se compliquer d’atteintes viscérales (cytolyse hépatique), atteinte hématologique (leucopénie), d’atteintes de l’épithélium respiratoire et/ou digestif. C’est une pathologie rare, dont l’incidence est de deux cas par million d’habitants par an. L’unité de soins intensifs du service de dermatologie de l’hôpital Henri-Mondor prend en charge environ 25 de ces patients par an.

Quels sont les médicaments incriminés et comment apparaissent les symptômes ?

Cliniquement, le SJS/NET survient 4 à 28 jours après l’initiation d’un nouveau médicament. Il se caractérise par une éruption généralisée érythémateuse débutant par le tronc, s’étendant progressivement au reste du tégument. Cette éruption est souvent constituée de lésions à type de pseudo-cocardes évoluant vers des lésions bulleuses progressivement confluentes. L’atteinte d’au moins deux muqueuses est fréquente. La confluence des lésions bulleuses aboutit à un décollement plus ou moins important prenant un aspect caractéristique : en « linge mouillé » (voir photo), mettant à nu le derme sous-jacent. Ce décollement est évalué en pourcentage de surface cutanée décollée/décollable, comme pour les brûlures. Les médicaments incriminés les plus souvent retrouvés dans cette pathologie sont les AINS, la névirapine, les sulfamides anti-bactériens, l’allopurinol, la carbamazépine, le phénobarbital, la lamotrigine. Cependant, dans 30 % des cas, la NET est d’étiologie indéterminée. Aucun médicament n’est retrouvé dans 10 % des cas, soulevant la question du rôle potentiel de facteurs envitonnementaux dans sa survenue. Quelques cas ont été observés dans un contexte d’infection à Mycoplasma pneumoniae. Il s’agit d’une toxidermie sévère pour laquelle la mortalité globale est de 22 % en phase aiguë.

Quelle est la stratégie thérapeutique ?

Il n’existe, à l’heure actuelle, aucun traitement curatif de la NET, dont les modalités de prise en charge sont, avant tout, symptomatiques. Il s’agit de :

→ Prévenir les complications infectieuses : le principe des traitements repose sur la réalisation de soins locaux qui permettent de nettoyer le derme et de limiter le risque d’infection à porte d’entrée cutanée.

→ Prévenir les séquelles : les soins locaux sont également essentiels pour favoriser la réépidermisation et la prévention des séquelles cutanéo-muqueuses (hyperactivité bronchique, cicatrices et troubles de la pigmentation, anomalies dentaires, synéchies muqueuses au niveau des paupières, de la bouche, et des organes génitaux, souvent irréversibles.

→ Hospitaliser en secteur protégé : les patients sont hospitalisés dans le service de dermatologie, centre de référence des dermatoses bulleuses toxiques, en chambre de soins intensifs, en isolement protecteur (les soignants et les proches portent des surblouses et des gants non stériles). La durée de la phase aiguë est d’environ cinq semaines.

→ Maintenir un équilibre hydro-électrolytique et nutritionnel : les patients sont perfusés afin d’administrer les traitements, notamment antalgiques, et de compenser les désordres hydro-électrolytiques. Une sonde urinaire est mise en place afin de protéger les muqueuses génitales décollées et d’évaluer la diurèse de façon satisfaisante. Une sonde naso-gastrique est fréquemment mise en place en cas de limitation de la prise alimentaire, afin de préserver la muqueuse buccale et œsophagienne, d’assurer un apport nutritionnel suffisant et adapté, de minimiser la douleur due au passage des aliments et, probablement, de diminuer le risque de translocation bactérienne d’origine digestive. Cette sonde ne sera maintenue que pendant une période limitée, les patients sont rapidement encouragés à reprendre une alimentation par voir orale.

→ Assurer une régulation thermique adaptée : les chambres sont munies de plafonds chauffants (qui compensent les pertes thermiques dues au décollement cutané).

→ Disposer d’un équipement adapté : un chariot contenant le matériel de soins (afin d’éviter les allers et venues dans la chambre), ainsi qu’une baignoire nécessaire au bain antiseptique quotidien (pour la prévention des complications infectieuses).

→ Favoriser le confort et le repos : ces chambres ne disposent pas de téléphone, afin que le repos du patient soit respecté. Les malades sont installés sur des lits ergonomiques, à matelas à air dynamique, facilitant les mobilisations en évitant les frottements et les appuis prolongés. Afin de diminuer l’anxiété, on informe toujours le patient du déroulement des soins et de leur importance.

Comment se déroulent les soins locaux et la surveillance ?

Les soins locaux et de surveillance (voir encadré p. 38) indispensables et impératifs, sont réalisés toutes les deux heures, même la nuit :

– prise des paramètres vitaux : tension artérielle, pouls, saturation en oxygène, température, fréquence respiratoire ;

– glycémie capillaire ;

– diurèse, bandelette urinaire, vérification de la perméabilité de la sonde vésicale ;

– évaluation de la conscience ;

– évaluation de la douleur (EN de 0 à 10) ;

– soins de bouche ;

– soins des yeux ;

– vérification de la voie veineuse ;

– vérification de la sonde nasogastrique ;

– bilan sanguin quotidien en phase aiguë (évaluation de l’atteinte viscérale).

La pesée se fait une fois par jour grâce au lit équipé. Elle est indispensable pour suivre l’évolution de l’œdème.

Quels sont les soins effectués lors du bain ?

Le bain est un moment très fort de la journée pour le patient et pour les soignants. La douleur y est particulièrement redoutée. On utilise un gaz analgésique (Meopa) en supplément des morphiniques prescrits. Avant le bain, la sonde de nutrition est clampée. Cela permet de faire un résidu gastrique après le bain.

Le transfert est réalisé sur une planche de transport qui permet de plonger le patient dans la baignoire. Lorsque c’est possible, on laisse le patient se mobiliser seul pour éviter de décoller davantage la peau en l’aidant. Il faut absolument éviter d’arracher la peau, même décollée, car elle reste le meilleur pansement pour la réépidermisation. Le bain est préparé avec une solution antiseptique, et sa température est choisie en fonction du patient. En effet, la perception de la température de l’eau est modifiée par le décollement cutané. L’immersion reste un moment douloureux mais, ensuite, le bain devient une source de détente attendue par le patient. Les soignants restent auprès de lui pour effectuer les soins : arrosage de la peau, shampoing ; les soins de sonde vésicale, de vulve et de prépuce sont moins douloureux dans l’eau, le but étant d’enlever les excès de vaseline, les croûtes et les peaux nécrosées gênantes sans augmenter le nombre des lésions. Pendant le bain, un soignant part préparer la chambre et le lit : nettoyage de l’environnement, changement de la literie et préparation d’un matelas de pansements hydrocellulaires plus confortable pour le patient (ne collent pas à la peau et absorbent les exsudats).

Comment prendre la douleur en charge ?(3)

Le syndrome de NET provoque des lésions entraînant des douleurs intenses, continues, aggravées par les soins et tous les gestes de la vie quotidienne les plus simples (manger, respirer, bouger…). La prise en charge de la douleur est donc incontournable. Elle doit être précoce, personnalisée, spécifique et réévaluée plusieurs fois par jour. Un protocole et un arbre décisionnel sont mis en place, et prévoient l’évaluation systématique de la douleur toutes les deux heures, et lors des soins potentiellement douloureux. Un antalgique opiacé de palier 3 est utilisé en première intention. Une dose de fond est injectée en continu, calculée grâce à une titration réalisée au préalable, ainsi qu’un nombre et une dose de bolus qui seront administrés en fonction des accès douloureux, et de façon préventive avant les soins douloureux (prélèvement sanguin, bain…). À distance des repas, le patient applique une dose de lidocaïne en gel dans sa bouche, sans l’avaler, afin de prévenir la douleur liée à la prise alimentaire. On préférera des aliments mous, voire liquides, sans sel et froids. Lors des mobilisations, on favorise l’autonomie. Le derme étant à vif, le moindre contact provoque une douleur. Les patients ne sont pas sédatés. En effet, leur vigilance est bénéfique pour pouvoir évacuer des sécrétions bronchiques abondantes et participer aux soins en se mobilisant seuls, notamment les soins des yeux et de bouche. L’absence de sédation permet également la reprise précoce d’une alimentation normale, l’évaluation de la douleur et la verbalisation de leur ressenti. Un lien de confiance s’établit avec les soignants. Les patients restent ainsi actifs dans leur prise en charge et dans leur guérison.

Pourquoi un accompagnement psychologique est-il nécessaire ?

Ces patients présentent souvent un syndrome de stress post-traumatique longtemps après la phase aiguë, en plus des séquelles physiques. Durant la phase aiguë, la présence et l’information des proches sont favorisées. Ces derniers représentent une ressource importante dans la prise en charge du patient. Celle-ci est individualisée, actualisée et modifiée en fonction du vécu des anciens patients.

La part de traumatisme du fait de l’apparition brutale de la pathologie est à prendre en compte. Pendant la phase aiguë et durant le suivi, « l’image de soi » est profondément perturbée. Les chambres ne sont pas équipées de miroir. En effet, le décollement et l’œdème modifient considérablement l’aspect du patient. Le service a pris le parti d’attendre la fin de la phase aiguë pour confronter le patient à son image, et de le préparer à cette étape afin que le retentissement psychologique déjà important dans cette pathologie soit atténué.

Ces séquelles sont encore mal connues, mais elles sont de mieux en mieux repérées et palliées, dès le début de la maladie, grâce à l’administration précoce d’anxiolytiques adaptés.

Quel est le pronostic ?

La prise en charge en phase aiguë est, en moyenne, de trois à cinq semaines. Le décollement cutanéo-muqueux évolue sur une dizaine de jours. Puis, la réépithélialisation se met en place, permettant une cicatrisation cutanée complète en quelques jours. La cicatrisation des muqueuses est souvent plus longue. L’évolution est fréquemment compliquée d’infections, parfois graves, et de détresse respiratoire aiguë nécessitant un transfert en réanimation.

Quel suivi à moyen et long termes ?

Dans un deuxième temps, les personnes atteintes sont suivies de façon pluridisciplinaire (par un dermatologue, un ophtalmologue, un oto-rhino-laryngologue, un psychiatre, un psychologue, une assistante sociale) en hôpital de jour, et en consultation pendant plusieurs années. L’équipe médicale et paramédicale du service s’attache à créer une relation de confiance avec ces patients, qui demandent une prise en charge complexe tant sur le plan technique qu’émotionnel.

En conclusion, la soudaineté de l’apparition de la NET, associée à sa gravité, est particulièrement traumatisante pour les patients et leurs proches. Les soignants sont confrontés à des personnes douloureuses, dont l’image de soi s’est totalement modifiée, et dont la perte soudaine d’autonomie les rend dépendants de toute une équipe. Dans ce cadre, le travail de chaque professionnel, minutieux et répété, revêt une importance particulière dans la lutte contre les complications infectieuses, notamment, ainsi que dans la prévention de l’apparition de séquelles.

1- Nécrolyse épidermique toxique.

2- Mêmes symptômes que la NET, à un niveau de gravité différent.

3- L. Valeyrie-Allanore, S. Ingen-Housz-Oro, A. Colin, D. Thuillot, M.-L. Sigal, M. Binhas, « Prise en charge de la douleur dans le syndrome de Stevens-Johnson/Lyell et les autres dermatoses bulleuses étendues », Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011).

BONNES PRATIQUES

LA RÉALISATION DES SOINS LOCAUX

Les soins de peau

– Après le bain, appliquer de la vaseline sur l’ensemble du corps, sans oublier la bouche, les oreilles, les paupières, le prépuce, la vulve, et sur la muqueuse vaginale.

– Percer uniquement les bulles douloureuses (celles qui sont tendues), sans enlever le toit de la bulle. Évacuer le liquide de bulle.

– Découper les peaux sèches, gênantes.

– Si besoin, poser un pansement hydrocellulaire non adhésif tenu par une bande sur les zones de frottement.

La voie veineuse périphérique

Elle requiert une attention particulière, car elle est difficile à poser. Il faut favoriser la pose sur une zone de peau saine. L’utilisation du garrot est à éviter. S’il est nécessaire, on protégera la peau grâce à un pansement hydrocellulaire. Le cathlon est changé obligatoirement toutes les 48 heures et mis en culture du fait de son haut risque de bactériémie et de septicémie à point de départ cutané, sur la peau lésée. Elle est maintenue grâce à une bande. Le sparadrap est proscrit, pour ne pas décoller la peau.

Les soins des yeux et de bouche

La peau et les muqueuses étant souvent à vif, il est difficile d’évaluer l’intensité des soins à prodiguer. Il faut essayer d’enlever les croûtes sans pour autant aggraver les décollements.

→ Les soins des yeux : la moitié des patients sortent d’hospitalisation avec de graves séquelles oculaires. Par conséquent, les soins des yeux requièrent une attention particulière et une grande assiduité. Ils comprennent l’humidification et le débridement, et sont effectués toutes les deux heures au minimum. Ordre d’application :

– collyre anesthésiant : lors des soins difficiles et qui risquent d’être plus douloureux, pas plus de trois fois par jour ;

– sérum physiologique : pour nettoyer, autant que nécessaire ;

– si des brides se sont formées (bandes de tissu conjonctif entraînant une adhérence entre la paupière et l’œil, qui peut être irréversible), on utilise un bâtonnet ophtalmique pour les rompre ;

– collyre antiseptique : 1 goutte dans chaque œil, en fonction de la prescription ;

– larmes artificielles : lubrifiant ;

– pommade vitamine A ophtalmique cicatrisante matin et soir ;

– vaseline sur les croûtes des paupières.

→ Les soins de bouche : ils sont effectués après chaque repas, à la demande du patient et au jugement des soignants. On utilise un mélange de :

– bicarbonate en solution (qui réduit l’acidité de la bouche) ;

– antiseptique ;

– parfois, antifongique.

Des bains de bouche avec de la morphine peuvent également être prescrits à distance. La technique est la suivante :

– imbiber le bâtonnet avec la solution ;

– tamponner la bouche du patient ;

– enlever délicatement la muqueuse nécrosée et les sécrétions sans léser davantage ;

– mettre dans la bouche du patient une quantité de solution suffisante à l’aide d’une seringue, pour effectuer un gargarisme, puis faire recracher ;

– appliquer de la vaseline sur les lèvres.

Les soins génitaux

→ Les soins vaginaux :

– pendant le bain, bien nettoyer les sécrétions ;

– rompre les éventuelles synéchies ;

– après le bain, appliquer de la vaseline sur la vulve, et sur la muqueuse vaginale grâce à un tampon recouvert d’un préservatif ;

– proposer à la patiente d’effectuer elle-même cette application.

→ Soins de prépuce :

– pendant le bain, bien nettoyer les sécrétions, décalotter ;

– rompre les éventuelles synéchies, souvent présentes entre le gland et le prépuce ;

– après le bain, décalotter, et appliquer la vaseline avant de recalotter.

En fin d’hospitalisation, on favorise l’éducation du patient, dans le but de l’autonomiser sur les soins des yeux, qui seront prescrits pour plusieurs mois.