INTERVIEW : DIDIER JAFFRE DIRECTEUR DE L’OFFRE DE SOINS ET DE L’AUTONOMIE À L’AGENCE RÉGIONALE DE SANTÉ DE BOURGOGNE
DOSSIER
Dans un territoire, de façon concrète, comment se décide la répartition des activités et des missions de service public entre les établissements publics et les structures privées ? Exemple en Bourgogne, dont l’offre de soins est pilotée par Didier Jaffre, docteur en économie de la santé et collaborateur à la revue Objectif soins et management.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Dans ses décisions, une ARS tient-elle compte du statut des établissements ?
DIDIER JAFFRE : Ce qui compte avant tout, c’est la qualité de la prise en charge, le respect des normes techniques de fonctionnement, l’environnement de la structure. Cependant, nous prenons en compte la spécialisation du privé dans certaines disciplines. Quand nous accordons une autorisation en imagerie médicale, activité souvent réalisée par le privé, nous l’assortissons d’une obligation de participer à la permanence des soins. Les radiologues libéraux doivent, ainsi, faire fonctionner 24 heures sur 24 le scanner situé à l’hôpital, participer aux tours de garde… Quand le secteur privé est en situation de monopole, l’autorisation est assortie d’une obligation de prise en charge des patients en secteur 1.
L’I. M. : Et si le privé ne respecte pas ses obligations ?
D. J. : Ces conditions sont inscrites dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens que nous signons avec tous les établissements. Si elles ne sont pas respectées, elles font l’objet d’âpres négociations.
Nous ne sommes jamais allés jusqu’à la sanction, qui consisterait, par exemple, à baisser les prix de journée. Car la demande fait pression : les établissements privés ont des malades à prendre en charge. La filière se fait un peu d’elle-même, à des tarifs adaptés au pouvoir d’achat local…
L’I. M. : Public et privé coopèrent-ils en Bourgogne ?
D. J. : Oui, sur six sites importants. À Sens, toutes les pathologies du cancer (sauf celle du thorax) sont traitées, les unes à l’hôpital, les autres dans le privé. À Autun, l’hôpital a les urgences, la médecine, la maternité, et la clinique la chirurgie et l’anesthésie : c’est moins difficile et moins cher, pour le public, que d’instituer une garde anesthésique, et cela draine une clientèle pour la clinique. Les relations public-privé ne sont, en général, pas tendues, pour des raisons historiques et de personnes.
L’I. M. : L’État arbitre et finance l’offre de soins. Ses représentants en région, les ARS, sont-ils juges et parties ?
D. J. : Notre rôle est de faire en sorte que la population ait accès à des soins de qualité. Mais ce n’est pas l’ARS qui fournit les soins. Nous n’avons pas d’autre moyen que de nous appuyer sur les acteurs, sans leur imposer une activité. À Paray-le-Monial, par exemple, il y avait un hôpital et une clinique tout neufs, mais en déficit, pour un seul bloc possible dans ce bassin de 80 000 habitants.
Nous avons incité les établissements à déposer une demande d’autorisation commune. Mais les hospitaliers n’ont pas souhaité cette solution. Nous n’avons donc pas renouvelé l’autorisation en chirurgie pour la clinique, conformément au schéma régional d’organisation sanitaire.
L’I. M. : Depuis la loi HSPT, les ARS peuvent confier 14 missions de service public au privé. Qu’en est-il dans votre région ?
D. J. : Ces missions sont attribuées au privé quand le public ne peut pas les assurer. Dans notre région, le privé exerçait déjà la plupart des missions de service public que nous lui avons reconnues, essentiellement en soins palliatifs et en permanence des soins. Nous avons ouvert des lieux de stage en cliniques. Tout dépend des régions : s’il y a pléthore d’offres de soins, il faut faire des choix ; en cas de pénurie, comme ici, en Bourgogne, nous nous devons d’accorder ces missions de service public au privé.
L’I. M. : Le privé à but lucratif se plaint de ne pas toucher autant de crédits Migac que le public…
D. J. : Ce n’est pas anormal, puisque le public exerce la plupart des missions d’intérêt général (Mig). Les aides à la contractualisation (Ac), elles, sont destinées aux établissements qui démarrent une activité ou souffrent d’isolement géographique : le privé n’est pas dans ce créneau. Sur les crédits « tensions budgétaires », assimilables à des Ac, on peut considérer qu’une clinique privée est, avant tout, une entreprise : si elle est viable, il n’y a pas d’aide à lui donner ; sinon, c’est au public de prendre le relais. Pour ses activités, le privé est déjà financé à 100 % par l’assurance maladie. Nous avons, en France, un secteur privé… très public.