L'infirmière Magazine n° 317 du 15/02/2013

 

FIN DE VIE

RÉFLEXION

Le rapport de la mission Sicard sur la fin de vie estime nécessaire de donner une plus grande place à la volonté des malades en fin de vie, et ouvre de nombreuses pistes. Vincent Morel, président de la Sfap(1), y réagit.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelle a été votre réaction à la lecture du rapport rendu par la mission Sicard ?

VINCENT MOREL : Il est intéressant, car il n’est pas partisan, ni idéologique. C’est important, tout comme le fait d’aborder les questions de fin de vie hors de toute affaire médiatique. Les membres de la mission de réflexion n’ont occulté aucune question, et sont allés écouter l’ensemble des citoyens. Ce qu’ils ont mis en évidence, c’est une inquiétude très forte concernant la fin de vie, principalement la peur de souffrir, la crainte d’un acharnement thérapeutique. Aujourd’hui, les Français craignent de ne pas être écoutés. À tel point que, selon un sondage Sofres pour la mission, 56 % d’entre eux souhaitent être aidés médicalement à mourir et ce, alors même qu’il existe une loi, la loi Léonetti, répondant déjà à nombre de ces craintes, notamment en interdisant l’acharnement thérapeutique.

L’I. M. : Le rapport est très sévère envers la médecine, accusée de « ne plus prêter attention à la parole » des malades. La formation peut-elle suffire à changer cette situation ?

V. M. : Y suffire, je ne sais pas. Mais c’est un levier majeur pour que les pratiques professionnelles évoluent, ce qui est justement ce que les Français demandent. Car, oui, c’est vrai, la loi Léonetti pourrait être mieux mise en œuvre, oui, il y a toujours, dans nos établissements, de l’acharnement thérapeutique. D’autant que, comme le souligne le rapport, « l’hôpital, considérant la mort comme un échec, l’a abandonnée aux soins palliatifs ». Pour sortir du tout-curatif et faire évoluer la prise en charge palliative, il faut sensibiliser – la formation est donc cruciale. Rendez-vous compte : nombre d’étudiants en médecine n’ont que dix heures de cours sur les soins palliatifs durant leurs études ! Et seules 10 % des infirmières hospitalières et 2,5 % des généralistes ont suivi un cursus dans ce domaine. C’est vraiment insuffisant pour leur permettre d’accompagner les patients en fin de vie. Cependant, je ne suis pas économiste, mais je vois bien combien la T2A conduit à l’acharnement thérapeutique, car c’est l’acte qui est valorisé. Pas la réflexion. C’est donc le système dans son ensemble qui doit évoluer ! Il faut réfléchir aux moyens de transférer le poids, le coût de l’acharnement thérapeutique vers les soins palliatifs. Enfin, autre point important à travailler : la dimension collective des décisions prises en matière de fin de vie.

L’I. M. : C’est-à-dire ?

V. M. : Il faut réfléchir à la possibilité, pour les soignants paramédicaux, les infirmières et les aides-soignantes, notamment, de déclencher ces procédures de décision collégiale. Ce sont les seules personnes qui, aujourd’hui, ne sont pas autorisées à le faire. L’expérience montre pourtant qu’elles connaissent très bien les patients, qu’elles ont, de par leur rôle propre, des informations dont les autres membres de l’équipe ne disposent pas, et qu’elles repèrent ainsi, parfois bien avant les médecins, qu’une démarche de soins relève de l’obstination déraisonnable.

L’I. M. : Quels sont, selon vous, les principaux enseignements de ce rapport ?

V. M. : Il met avant tout en évidence de cruelles inégalités d’accès aux soins palliatifs, et la méconnaissance de la loi Léonetti. Je vous rappelle que, faute de places, les soins palliatifs couvrent à peine la moitié des besoins, et sont souvent dispensés trop tardivement. Résultat, quelque 150 000 personnes par an ne reçoivent pas les soins appropriés. Plus encore, alors que 70 % des Français souhaitent mourir à domicile, l’accès aux soins palliatifs y reste très compliqué. Renforcer les soins palliatifs à domicile, et en Ehpad, doit être, à mon avis, une priorité nationale. Parallèlement, ce rapport montre bien que la loi Léonetti n’est pas assez connue, que ce soit du grand public ou des professionnels de santé. Il préconise une vraie campagne de sensibilisation auprès des Français, et, du côté des professionnels, de miser sur la formation.

L’I. M. : Le document souligne que les directives anticipées demeurent « quasiment inconnues » ou « pas toujours respectées »

V. M. : À mon avis, quand un malade a écrit des décisions anticipées, la majorité des équipes tentent de les respecter. Mais il faut, c’est sûr, améliorer le dispositif, faire en sorte que les Français le connaissent, car seuls 2,5 % d’entre eux ont rédigé des directives anticipées, et permettre, que dans certains cas, à définir, ces directives puissent être opposables.

L’I. M. : La mission Sicard conseille de mieux appliquer la loi Léonetti. Mais elle va plus loin, ouvrant notamment la réflexion sur le suicide assisté. Qu’en pensez-vous ?

V. M. : Permettez-moi d’abord de souligner que la mission écarte l’euthanasie, geste radical, estimant qu’elle franchirait « la barrière d’un interdit ». Et que si elle ouvre le débat sur le suicide assisté, elle ne recommande pas de légiférer en la matière, se contentant d’énumérer les éléments à prendre en compte si le législateur s’emparait du sujet. La demande de certains patients à mourir existe, certes. Mais, hormis celles relevant d’un geste suicidaire, la majorité de ces demandes sont avant tout l’expression d’une souffrance qui, lorsqu’elle est correctement prise en charge, va s’atténuer, voire disparaître complètement. Reste, c’est vrai, des demandes à mourir qui persistent, où la souffrance exprimée relève, en fait, à mon avis, de la volonté de vouloir anticiper sa fin de vie, pour éviter une souffrance supplémentaire à venir. Et c’est en réponse à ses cas-là que se situe, je crois, le suicide assisté évoqué par la mission. Je ne refuse pas qu’on y réfléchisse, et que l’on analyse aussi quelle serait la place des médecins dans un tel dispositif, mais, pour moi, c’est une question appellant une réponse de la société, et non une réponse de la mé­decine.

L’I. M. : Le rapport évoque aussi « la sédation terminale », considérant qu’il « serait cruel de laisser mourir ou de laisser vivre » des patients atteints d’une maladie incurable souhaitant mettre un terme à leur vie. Comment réagissez-vous ?

V. M. : Je l’entends. Mais, je pense que l’objectif de la sédation est clair : il ne s’agit pas de provoquer le décès mais de soulager le malade. Qui plus est, l’on pratique déjà des sédations, que ce soit des sédations temporaires, par exemple, la nuit, pour répondre à l’angoisse d’un patient, ou qu’il s’agisse de sédations en phase terminale, quand le patient souffre d’un symptôme réfractaire, type asphyxie, hémorragie. Dans ces cas-là, on endort le malade, qui décède de sa maladie, et non de la sédation, pour éviter qu’il souffre, tout en acceptant le risque que la sédation puisse accélérer la survenue du décès. La réalité de terrain n’est peut-être pas toujours conforme à ces principes, présents dans la loi Léonetti, mais il ne faudrait quand même pas que l’on demande une nouvelle loi sous prétexte que celle qui existe n’est pas appliquée.

L’I. M. : La mission parle de la sédation terminale comme d’un « geste accompli par un médecin accélérant la survenue de la mort ». Cela ne va-t-il pas encore plus loin ?

V. M. : Je vous l’accorde. Si la mission considère que la sédation terminale peut réellement avoir pour finalité l’accélération du décès d’un patient, elle va sans doute plus loin que la Sfap ne le fait dans ses recommandations.

L’I. M. : Dans sa contribution au débat, la Sfap propose de définir des repères éthiques pour les juges. N’est-ce pas entretenir le flou ?

V. M. : Non, je dirais même l’inverse. Ce que nous expliquons, c’est qu’il faut faire confiance à la justice, qui fait d’ailleurs preuve de clairvoyance en la matière, de clémence quand cela s’impose, de sévérité quand il le faut. Reste qu’elle manque de repères éthiques pour apprécier au mieux l’éventuelle transgression de cet interdit, qui reste de l’ordre de l’exceptionnel, du singulier. Mais cela ne remet nullement en cause le fait que l’euthanasie ne doit pas, à mon avis, devenir une norme. D’autant que, comme le souligne la mission Sicard, « une société a d’abord besoin de mesures collectives avant de mettre en place des mesures d’exception. »

1- Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Voir biographie ci-dessus.

POUR ALLER PLUS LOIN

→ Le rapport de la mission Sicard. http://petitlien.fr/6b78

→ La réaction de la Sfap au rapport Sicard, et ses réflexions concernant la fin de vie. http://petitlien.fr/6b79

→ L’étude de l’Ined (Institut national d’études démographiques) sur les décisions médicales de fin de vie en France (novembre 2012). http://petitlien.fr/6b7a

VINCENT MOREL

MÉDECIN

→ Pneumologue de formation, il est médecin responsable de l’équipe mobile d’accompagnement et de soins palliatifs au CHU de Rennes depuis plus de dix ans.

→ En juin dernier, succédant au Dr Anne Richard, il a été élu président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).

→ La Sfap fédère plus de 5 000 soignants et près de 200 associations d’accompagnement de bénévoles.