La santé est dans le pré - L'Infirmière Magazine n° 318 du 01/03/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 318 du 01/03/2013

 

SALLES-CURAN

REPORTAGE

Depuis 2008, sont regroupés au sein de la maison de santé rurale de Salles-Curan, dans l’Aveyron, plusieurs professionnels médicaux et paramédicaux dont sept infirmières libérales. Plutôt méfiantes au départ, elles y ont trouvé leur place. Et même davantage.

Sa maison à elle est redevenue calme. Plus de sonneries à tout-va, plus de va-et-vient non stop. Depuis l’installation du cabinet d’infirmières libérales dans la Maison de santé rurale de Salles-Curan (12), Odile Alary a récupéré son rez-de-chaussée. La plus ancienne infirmière de l’établissement, avec trois années de service à son actif, prêtait son petit bout de maison au cabinet libéral de sept collègues. Aujourd’hui, elles ont investi deux pièces de l’énorme structure où se côtoient deux médecins généralistes, un kinésithérapeute, deux dentistes et leurs assistants, ainsi qu’un diététicien et un podologue à temps partiel. La maison de santé rurale a été créée en 2008, pour lutter contre la désertification médicale. Le Dr François Ducamp, dernier médecin restant au village avait prévenu : soit la mairie trouvait un moyen d’attirer d’autres généralistes, soit il partait. Impossible d’assurer toutes les gardes, impossible de soigner toute la population à lui seul. « Le temps du médecin de campagne qui se lève à 5 heures du matin pour aider une femme à accoucher, enchaîne sa journée et rentre chez lui à 23 heures est terminé !, affirme Jean-Louis Grimal, conseiller général du canton et maire de Curan, le village voisin (300 habitants). Les médecins d’aujourd’hui cherchent le travail collégial, qui permet de disposer de week-ends, de vacances. » La grande maison s’est imposée d’elle-même : le cabinet du Dr Ducamp ne pouvait accueillir deux médecins de manière pérenne, et la Mutualité sociale agricole (MSA) promouvait justement ce type de projet. Les infirmières, quant à elles, travaillaient déjà dans une structure groupée. Dans la maison, elles ont fait évoluer leur pratique. Ce matin-là, alors qu’Odile et ses collègues sillonnent les routes du canton, Frédérique Carrière, libérale depuis 2005, commence sa permanence au cabinet, pour des prises de sang ou des pansements. La secrétaire accueille les patients, les place dans l’immense salle d’attente avant que l’infirmière ne les reçoive. « Les gens ont joué le jeu, explique-t-elle. Avant, nous n’avions qu’un patient par semaine au cabinet, chez Odile. Désormais, nous en recevons plusieurs tous les jours. » Les rendez-vous sont calés dans la matinée, après les insulines à domicile. Mais, sur les sept soignantes, une seule gère les actes sur place.

Ce jour-là, Marie-Claude Meillac, infirmière libérale à Salles-Curan depuis treize ans, ne croise que Frédérique Carrière. Elle passe en coup de vent. Littéralement. L’infirmière de 41 ans s’engouffre dans la maison de santé par la porte de service et survole le couloir jusqu’au cabinet médical. Il est 11 heures, et Marie-Claude enchaîne les rendez-vous sur les routes du canton depuis 6 heures du matin. Elle vient relever son agenda, vérifier les nouvelles, et repartira illico pour la suite de la tournée. Pas de rendez-vous à la Maison aujourd’hui. Le plus gros de son travail se situe à l’extérieur de la structure, mais le temps passé sur place lui offre une proximité avec les autres professionnels qu’elle apprécie particulièrement.

Chassé-croisé fructueux

« Le vrai changement, c’est la collaboration entre tous les professionnels, assure-t-elle. Le binôme médecin-infirmière fonctionne vraiment. Par exemple, si nous refaisons le pansement d’un patient et que l’aspect de la plaie nous préoccupe, nous toquons à la porte du médecin. Il vient voir, juste quelques minutes, et nous changeons le protocole. » Et vice versa si le médecin a un patient à piquer en urgence. Dans la Maison, les infirmières croisent des professionnels qu’elles ne voyaient quasiment jamais. « Nous côtoyons le kiné, nous parlons beaucoup des patients avec lui, assure Marie-Claude. Parfois, ce métier se révèle très dur, et travailler en équipe permet de se soutenir, notamment dans l’accompagnement de fin de vie. Il est arrivé que le médecin, le kiné et nous, les infimières, devions rendre visite chaque jour à un patient mourant, et même deux fois par jour en ce qui nous concerne. Nous avons pu partager nos émotions, c’était important pour notre moral. » Mais, aujourd’hui, Marie-Claude ne s’attarde pas dans le cabinet ni dans la salle de repos. Elle traverse une nouvelle fois le couloir pour filer par la porte de service.

Réunions improvisées

Artère centrale du rez-de-chaussée, emprunté par les patients, les médecins et les infirmières, ce long couloir central semble être le véritable lieu de vie de la Maison. Peu après le départ de Marie-Claude, Frédérique y croise le Dr François Ducamp, de retour à son cabinet après avoir raccompagné un patient, en compagnie de sa stagiaire et de la secrétaire. Une petite réunion pluriprofessionnelle s’improvise. Le généraliste en profite pour demander des nouvelles d’une patiente. « Cela s’est aggravé, annonce l’infirmière. Il y a eu une modification de l’œdème. » Elle décrit rapidement l’état de la personne malade et demande finalement : « Doit-on mettre une perfusion en continu ? » Le Dr Ducamp décide : « Si ça tient, ne faisons rien, mais si la veine craque, je vous fais une ordonnance pour de l’héparine. » Tout le monde acquiesce, et chacun reprend le cours de sa matinée. La maison de santé est donc devenue bien plus qu’une simple boîte aux lettres. Elle représente aujourd’hui un lieu d’échange pluridisciplinaire où chacun a trouvé sa place. Ce qui n’était pas gagné au départ. En cette fin de matinée, Odile Alary, la doyenne les libérales, rentre de sa tournée. Elle est tout sourire. « La route de Coudols est magnifique sous ce soleil d’automne », lance-t-elle. Sa journée s’arrêtera là. Elle l’a décidé, c’est sa liberté de libérale. Une liberté qu’elle a toujours protégée, y compris lorsque le projet de maison de santé a émergé. S’exprimant sans langue de bois, elle avoue : « Au début, nous avions un peu peur. Peur du coût, et peur aussi de devenir les bonnes du médecin, car c’était son projet. »

Comment trouver sa place lorsque le rapport de force semble si mal engagé ? La MSA trouve la solution : en dialoguant. Elle organisé toute une série de réunions ainsi qu’une formation de trois jours dédiée aux soignants. « Nous avons vraiment été associées au projet, assure Odile. L’équipe s’est formée en même temps que les plans sur le papier. » Le tour de force final est d’avoir pu participer ensemble aux trois journées de formation. « C’était jour sans soins à Salles-Curan ! », s’exclame François Ducamp. Odile explique : « Nous avons appris à nous connaître, à tisser des liens. La formation en elle-même était intéressante, mais le vrai plus, c’est d’avoir réussi à passer trois journées ensemble ! »

Trois étages de 300 m2

Les infirmières posent leurs limites : oui, les locaux sont beaux et agréables pour accueillir les patients, mais, non, elles n’assureront pas de permanences sans rendez-vous. « Cela aurait arrangé tout le monde, souligne Odile, mais ça nous posait un gros problème de rémunération. » Elles s’assurent également que leur bel écrin ne va pas leur coûter trop cher avec son ascenseur et toute la maintenance nécessaire, ou encore les immenses parties à entretenir, à éclairer. La mairie, qui s’est déjà démenée pour obtenir des subventions à hauteur de 60 % du budget, promet de prendre en charge les parties communes. Les sept libérales devront régler le loyer de leur cabinet et une partie du salaire de la secrétaire, soit 75 euros par mois.

Et, en 2008, la maison de santé ouvre ses portes sur trois étages de 300 m2 chacun. Les infirmières et les généralistes occupent le rez-de-chaussée, avec la salle d’attente et la salle de réunion-télémédecine–éducation thérapeutique ; les autres professionnels s’installent au premier étage ; et, au-dessus, trois appartements sont créés. « Lorsque qu’il neige et que le col de Poulsinière est bloqué, le kiné dort ici », explique François Ducamp. Mais sa vision du projet a davantage d’envergure : le généraliste, qui a cherché son premier collègue deux longues années et aimerait en voir arriver un troisième, est devenu maître de stage. Il souhaite faire venir les jeunes étudiants au cœur de la ruralité, et leur montrer la réalité de la pratique de campagne moderne. Le deuxième étage permet alors d’accueillir Lise et ses camarades dans le village.

À leur arrivée dans la Maison, les infirmières connaissent un temps d’adaptation. Non par rapport aux locaux, à la nouvelle organisation ou au surplus de rendez-vous au cabinet. Après toute la préparation, ce qui change vraiment leur quotidien, c’est… la secrétaire. Auparavant, à son domicile, Odile réceptionnait souvent les appels, gérait les éventuelles urgences, les demandes particulières. « Je connaissais les habitudes des patients, se rappelle Odile. Rien qu’au son de leur voix, je savais ce qui n’allait pas, s’ils pouvaient vraiment décaler le rendez-vous ou non… » Puis, l’organisation évolue : les patients doivent accepter d’avoir une plage horaire et non plus un horaire défini. « Tout le monde a joué le jeu, souligne Odile, j’ai également demandé à la secrétaire de nous noter les numéros de téléphone à chaque rendez-vous, et cela a bien fonctionné. » L’infirmière aveyronnaise s’est ainsi déchargée d’une tâche qui n’était pas dans son cœur de métier, et sa maison a retrouvé la tranquillité. « Ma voisine m’a dit “tiens, le téléphone ne sonne plus chez vous !” », raconte-t-elle en riant.

Un peu d’envie alentour

Les patients, eux, se sont très vite accoutumés à la Maison. « Tout est regroupé, c’est beaucoup plus agréable, confirme Raymond, retraité de 78 ans. Autrefois, j’allais voir le kiné de Pont-de-Salars. Désormais, il est ici, à demeure. » Raymond est un témoin privilégié de l’évolution du village, son histoire et celle de Salles sont étroitement liées. En 1886, son arrière-grand-père ouvrait la première boulangerie de Salles-Curan. Le vieux monsieur ajoute : « Nous sommes un peu enviés… » Odile, elle, se méfie un peu de cette trop belle structure. « Notre belle maison brille comme un sapin!, s’enthousiasme-t-elle. Évidemment, les gens qui viennent voir le généraliste sont tentés, ensuite, de se tourner vers notre cabinet. Mais, si je constate qu’ils viennent du secteur d’une consœur, je les redirige gentiment vers elle. Nous devons faire attention à ne pas phagocyter les autres libérales dans les villages alentour. »

Pour faire évoluer la pratique infirmière et l’intégrer davantage au sein de la maison de santé, le Dr Ducamp, Odile et Frédérique ont lancé plusieurs expérimentations de suivi des patients diabétiques et d’éducation thérapeutique. « Les médecins nous ont fait confiance, comme les patients, ça nous valorise, assure Frédérique. Cela nous fait évoluer. » Le praticien le répète à ses collègues intéressés par les maisons de santé : « Les infirmières sont la pierre angulaire d’une maison de santé rurale, pas le médecin. Pour arriver à le faire venir, elles faut leur donner davantage de responsabilités, comme l’éducation thérapeutique, mais elles doivent être rémunérées en conséquence. Il faut faire évoluer la nomenclature et créer des actes. » Pour le généraliste, les libérales devraient pouvoir réaliser des tests de O’Sullivan, gérer les ulcères variqueux, avec sa supervision, faire des ECG, de la spirométrie, utiliser un « peak-flow ». L’entreprenant praticien a également participé à la création d’un réseau de santé sur le Lévézou, pour proposer de la formation médicale continue et de l’information grand public. Il en est le gérant et prend souvent son bâton de pèlerin pour lever des fonds. Il gère également la Maison, toujours en tant que bénévole. Et joue parfois le rôle de plombier, de changeur d’ampoule, de lobby pour que les appartements des internes disposent d’Internet… Même s’il est parfois un peu fatigué, François Ducamp loue l’osmose de l’équipe médicale. Indispensable pour pérenniser la structure. « Heureusement que nous avons des professionnels motivés », souligne le maire de Salles-Curan, Henri Malaval. Élu juste avant l’inauguration de la Maison, l’agriculteur n’était pas convaincu du bien-fondé du projet. « En France, il y a des maisons de santé vides, les équipes ne sont pas allées au bout de leur démarche. La mairie et les contribuables ont fait beaucoup d’efforts. Nous sommes contents que la Maison existe. Maintenant, l’important, c’est qu’elle dure. » C’est pourquoi chacun doit y trouver sa place, en faisant évoluer la nomenclature et les mentalités.