Une constante européenne - L'Infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013

 

VIOLENCES CONJUGALES

DOSSIER

Toutes les études menées en Europe constatent que c’est toujours dans le huis clos familial que les violences à l’égard des femmes sont maximales. L’arsenal juridique, Espagne en tête, s’adapte comme il peut.

En Europe, la première cause de mortalité et d’invalidité pour une femme entre 16 et 44 ans est la violence conjugale. Cette donnée de la commission « Droit des femmes » du Parlement européen fait froid dans le dos. Ces violences, cela fait moins de trente ans que le Vieux Continent s’y intéresse de près. La première enquête spécifique nationale a été menée aux Pays-Bas en 1986. La Suisse (1994), la Finlande (1997), l’Espagne (1999), la France, la Suède (2000), l’Allemagne (2003) ont suivi. En 2010, le programme européen « Daphné » de prévention de la violence contre les enfants, les adolescents et les femmes, publie les résultats de l’étude « Femmes assassinées : les chiffres réels. » Réels, et effarants : dans l’Union européenne, neuf personnes, dont sept femmes, meurent chaque jour en raison de violences conjugales. Pour la première fois, l’étude prend en compte la totalité des morts liées aux violences conjugales. Soit le nombre de décès de femmes sous les coups de leur conjoint, mais aussi les suicides, les homicides collatéraux au moment du ­passage à l’acte meurtrier, et les suicides des auteurs d’homicides. Par pays, ce n’est pas nécessairement ceux que l’imaginaire collectif identifie comme les plus « machistes » qui sont les plus mauvais élèves. Ainsi, l’Italie affiche l’un des taux les plus bas (3,8 par million d’habitants). À l’inverse, la Lettonie a un taux de 36,61 par million d’habitants. En France, ce taux était de 7,3 par million d’habitants en 2006. Cette année-là, 137 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon, et 232 se sont suicidées à la suite de ces violences.

Des grilles de lecture différentes

« Schématiquement, au Nord – en dépit des recommandations du Conseil de l’Europe –, l’explication psychologisante, attribuant les comportements violents à des facteurs individuels, est assez consensuelle », explique la chercheuse Maryse Jaspard dans l’article « Les violences conjugales en Europe » du Livre noir de la condition des femmes (voir bibliographie p. 19). Une lecture qui s’oppose à l’approche féministe, davantage en vigueur au Sud (entendre par là « pays du Sud » ou groupes sociaux défavorisés du Nord), mais plus embarrassante pour les pays démocratiques.

Pourtant, en 1993, à Rome, les rédacteurs de la « Déclaration sur la politique contre la violence à l’égard des femmes dans une Europe démocratique » y décrivent cette violence « comme un moyen de contrôle de la femme, provenant du rapport de pouvoir inégal entre la femme et l’homme qui subsiste encore, et constitue ainsi un obstacle à la réalisation de l’égalité effective de la femme et de l’homme. » Le 11 mai 2011, la Convention égalité femme/homme du Conseil de l’Europe rappelle que « le terme “violence à l’égard des femmes” doit être compris comme une violation des droits de l’être humain et comme une forme de discrimination à l’égard des femmes ». La convention invite alors les États membres à inscrire dans leur constitution le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes, et non plus seulement dans le principe de non-discrimination devant la loi.

Sur la question de la reconnaissance des violences conjugales, la France est un peu à la traîne, notamment par rapport aux pays anglo-saxons ou d’Europe du Nord. Des centres d’aide aux femmes victimes ont ouvert au début des années 1970 au Royaume-Uni, quand la France attend la fin de cette décennie. 1989 est une année charnière : première campagne officielle de lutte contre les violences conjugales, création d’une permanence téléphonique et de commissions départementales d’action contre les violences faites aux femmes. C’est seulement en 1992, et cela pour se mettre en conformité avec les recommandations de la Commission européenne, que la France engage une réforme du code pénal et du code du travail détaillant des infractions correspondant à la spécificité des violences envers les femmes.

L’Espagne en première ligne

Depuis juillet 2009, l’Espagne a mis en place un système de protection via un boîtier GPS. L’idée est de pouvoir situer, en permanence, la position de la femme et celle de son ancien partenaire violent, équipé, lui, d’un bracelet électronique relié aussi au système GPS. Quand la batterie se décharge, que l’agresseur tente d’enlever son bracelet électronique ou qu’il entre dans le périmètre de sécurité de la victime (moins de 400 mètres), l’alarme de ce « gros téléphone », relié au centre de contrôle, retentit. La police est sur place en moins de dix minutes.

Depuis une première grande enquête, en 1999, menée par l’Instituto de la mujer (Institut de la femme), et la loi organique de protection contre la violence fondée sur le sexe, que le gouvernement Zapatero a adoptée en décembre 2004, l’Espagne fait figure d’exemple. Elle a été en pointe, notamment, s’agissant de l’éviction immédiate et durable du conjoint violent du domicile. En 2009, année du lancement du bracelet électronique, 55 femmes ont été tuées par leur actuel ou ex-conjoint. Un chiffre toujours inacceptable mais le plus bas depuis 2002.

En France, où les taux de violences conjugales sont très proches des taux espagnols, un décret du 1er avril 2010 autorise les magistrats à placer les conjoints violents sous bracelet électronique. Expérimentée depuis début 2012, la mesure manque de moyens pour être davantage déployée. Interrogée par La Charente libre au moment du lancement, Ernestine Ronai(1), présidente de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes de la Seine-Saint-Denis, favorable au dispositif, pointait un inconvénient : celui de « maintenir un lien entre la victime et l’agresseur » et d’instaurer un effet de « surveillance » pour les femmes. De fait, si le système semble efficace d’un point de vue répressif, il a ses limites. Elles peuvent s’entrevoir à l’aune du stress vécu par la femme qui en est équipée. Ainsi, l’Espagnole Loli, 40 ans, dont le mari, après avoir failli la tuer, a été remis en liberté dans l’attente de son procès, se confiait au Monde du 24/11/2010 : « La juge a décidé de lui donner une chance. Mais elle m’a privée de celle de pouvoir vivre en paix. »

D’autres outils installés en Espagne ont inspiré la France, comme le téléphone d’urgence : un simple bouton le relie à un central téléphonique, ce qui permet, en cas de danger imminent, l’intervention rapide de la police. Quelque 13 000 femmes en sont équipées dans la péninsule ibérique.

En France, ce dispositif, nommé FTGD pour « femmes en très grand danger », a d’abord été expérimenté en Seine-Saint-Denis, département pilote ; depuis 2009, 99 femmes en ont bénéficié et, actuellement, 33 en sont équipées. Le dispositif est expérimenté à Paris depuis sept mois. Avec ce système, c’est la femme elle-même qui décide de donner l’alerte en cas de danger. Une façon pour elle, juge encore Ernestine Ronai, « de reprendre sa vie en main. »

1- Chargée depuis le 10 janvier dernier de la mise en œuvre des objectifs de la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences (Miprof).