PROTOCOLES DE COOPÉRATION
RÉFLEXION
Institués par la loi HPST, les protocoles de coopération entre professionnels de santé font l’objet de vives discussions au sein du monde infirmier. Sans en nier les difficultés, Ljiljana Jovic défend un projet qu’elle juge riche de potentialités.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Où en est-on en matière de protocoles de coopération en Ile-de-France ?
LJILJANA JOVIC : À l’heure actuelle, dix protocoles de coopération entre professionnels de santé sont autorisés en Ile-de-France
L’I. M. : Seuls deux de ces protocoles, plus celui autorisé à titre expérimental, émanent de professionnels de la région. Pourquoi avoir choisi de généraliser des procédures établies hors Ile-de-France ?
L. J. : L’ARS Ile-de-France est effectivement la seule région à avoir fait ce choix, du moins dans une aussi large mesure. L’objectif, pour nous, était de faciliter l’adhésion des professionnels. C’est aussi un moyen d’éviter que plusieurs équipes s’engagent dans la rédaction de protocoles similaires. Car rédiger un protocole de coopération est un travail long et laborieux. S’il en existe déjà un ailleurs, il est plus pertinent de permettre aux équipes interessées de se l’approprier plutôt que de refaire le même travail.
L’I. M. : Un protocole de coopération n’est-il pas censé être repris en l’état ?
L. J. : C’est vrai, c’est ce qui est prévu. Néanmoins, les modalités de rédaction des protocoles ont évolué, au printemps 2012, afin, justement, de faciliter leur généralisation. Exemple : auparavant, les équipes décrivaient leur service, ce qui est peu pertinent, car tous les services fonctionnent différemment. Peu importe de savoir si l’on a deux ou trois salles de consultation, ce qu’il faut, c’est indiquer si le protocole impose, par exemple, la présence d’un médecin 24 heures sur 24 ou s’il nécessite un équipement en matériel d’urgence. Les impératifs étant posés de façon plus générale, les équipes intéressées peuvent aujourd’hui plus facilement s’emparer de ces procédures.
L’I. M. : Reste que rédiger un protocole de coopération est une tâche ardue !
L. J. : Si les formulaires sont aujourd’hui plus simples, s’engager dans la rédaction d’un protocole de coopération reste très complexe, d’autant que ce n’est pas un exercice auquel les équipes sont habituées. Définir ce qui est dérogatoire et ce qui ne l’est pas est, en soi, une première complexité. Exemple : les situations où l’infirmière va avoir à faire des prescriptions de médicaments. Si une infirmière fait une prescription, mais qu’elle est signée ou même contre-signée par un médecin, on n’est pas dans un acte dérogatoire, car l’on considère in fine que c’est le médecin qui prend la décision. Tandis que dans le cadre d’un protocole de coopération, l’infirmière, après examen clinique du patient, fait elle-même une prescription justifiée et la signe. Ce qui ne veut pas dire que les choses se font hors de la réglementation ! Seulement, dans ce cas, les modalités de contrôle du délégant (médecin) sur l’acte réalisé par le délégué (infirmière) prend une forme « autre » – révision de dossiers ou rediscussion de cas, par exemple… Ensuite, c’est vrai, tout n’est pas encore réglé au plan réglementaire. Exemple, toujours concernant la prescription de médicaments : légalement, en la matière, le médecin prescrit, le pharmacien délivre, et l’infirmière administre. Quelle mention une infirmière doit-elle alors porter sur l’ordonnance si c’est elle qui prescrit ? Comment le pharmacien va-t-il savoir qu’elle est autorisée à le faire ? Cela reste à définir…
L’I. M. : Est-ce à dire que les protocoles autorisés dans la région ne sont pas encore mis en œuvre ?
L. J. : Il faut effectivement distinguer « autorisation des protocoles, et « adhésion » à ces protocoles par les professionnels de santé, une adhésion qui est nominative. Pour adhérer, les membres d’une équipe doivent envoyer différents documents à l’ARS – faisant notamment état des diplômes et justificatifs de formation de chacun. C’est une étape importante, car elle permet de nous assurer que les professionnels qui vont mettre en œuvre un protocole sont qualifiés pour cela. Pour le moment, nous n’avons pas encore reçu de dossiers complets de demande d’adhésion. Une équipe de radiologues et de manipulateurs en électroradiologie s’est bien manifestée, mais il va falloir un moment avant que le protocole concerné (la réalisation d’échographies) se mette en place, les manipulateurs ne remplissant pas encore les conditions de formation nécessaires (diplôme universitaire). Mais les choses vont s’accélérer, des professionnels sont en cours de formation. C’est le cas du protocole de coopération rédigé par une équipe du centre de santé d’Étampes, et portant sur la prescription et la réalisation de vaccinations et de sérologies par les infirmières, qui pourrait rapidement exister dans les centres de santé de l’Essonne. Les infirmières volontaires ont été formées, et le conseil général leur a accordé une prime. Nous devrions recevoir sous peu les documents d’adhésion…
L’I. M. : Vous parlez formation, et rémunération. Deux points sur lesquels le SNPI se montre critique…
L. J. : On peut tout à fait entendre ces critiques, d’autant qu’en théorie, tout le monde s’accorde sur l’impératif de reconnaissance, financière comme statutaire, des professionnels engagés dans de telles démarches. Voyez les recommandations du rapport Hénart, Berland et Cadet en la matière ! C’est vrai, la loi HPST n’a rien prévu en termes de rémunération des activités et des professionnels s’engageant dans ces protocoles. Et c’est un réel obstacle. Dans la région, plusieurs équipes qui avaient commencé la démarche ont, en effet, abandonné quand elles ont compris que leurs efforts ne seraient pas synonymes de « tarification de l’activité » et de rémunération complémentaire. En théorie, rien n’empêche un établissement de valoriser la démarche, mais les difficultés financières des structures laissent peu de place à une telle éventualité. L’action du conseil général de l’Essonne reste exceptionnelle. Quant à réfléchir à l’impératif de formation, et à sa reconnaissance, c‘est une nécessité. D’après l’expérience des dossiers instruits dans la région, les protocoles de coopération recouvrent trois types d’actes. Des actes techniques, comme la réalisation de myélogrammes, imposent un apprentissage ; mais faut-il un diplôme ? Ce n’est pas évident. Ces actes pourraient être inscrits dans les décrets d’exercice professionnel. Ensuite, des actes plus complexes, tels que les échographies, pour lesquels une formation assortie d’un diplôme type DU ou DIU pourrait convenir. Et, enfin, des activités complexes, impliquant diagnostic et prescription, intégrant des prises en charge plus globales, pour lesquelles un diplôme de master II serait pertinent, comme le souligne le rapport Hénart. Reste que je préfère voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. Et qu’au-delà des difficultés réelles, l’expérience des coopérations peut être riche de possibles et d’enseignements. Elle a le grand mérite d’introduire la notion d’évolution des pratiques sur le terrain, elle peut permettre des avancées en termes de faisabilité, être utilisée pour définir, notamment, ces actes complexes qui nécessiteraient une formation type master II, tant ils se rapprochent des pratiques avancées. Et ces coopérations ont contribué à changer le regard sur les professionnels paramédicaux.
L’I. M. : Vous évoquez les pratiques avancées, en référence à ce qui peut exister à l’étranger ?
L. J. : C’est le cas dans de nombreux pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni… Depuis plusieurs années, les pratiques avancées se sont développées sur le terrain, des professionnels de santé ayant une formation diplômante, type master II pour les infirmières, les autorisant à certaines pratiques encadrées, et ce dans des cadres d’emploi prévoyant rémunération et titre. En France, où l’organisation du système de santé est différente, nous expérimentons un autre cheminement. Dans le cadre des protocoles, on part des équipes, sur des activités beaucoup plus ciblées, et avec une « reconnaissance » plus ciblée elle aussi, puisque relative aux seules activités définies par ces protocoles. Mais, avec l’expérience de la mise en œuvre du dispositif, ces protocoles seront peut-être synonymes d’une évolution plus globale du système, synonymes d’autres formes de collaboration entre professionnels de santé, et précurseurs de métiers reconnus, comme cela existe ailleurs…
1 - La liste de ces protocoles sur www.iledefrance.paps.sante.fr rubrique « vie professionnelle ».
2 - Ce protocole de coopération est porté par une équipe de l’hôpital Cochin – dermatologue et infirmières. Il prend la forme d’une consultation infirmière pour le suivi des patients à haut risque de mélanome.
→ Elle est actuellement en poste à l’ARS Ile-de-France, en tant que conseillère technique régionale, référente coopérations.
→ Présidente de l’Association de recherche en soins infirmiers (Arsi), titulaire d’un doctorat en sociologie, elle est spécialiste des questions de clinique infirmière. Son mémoire, présenté à l’ENSP en 2000, portait sur « La consultation infirmière. La gestion des compétences dans un système complexe. »
→ Elle est l’auteur, avec Monique Formarier, de l’ouvrage Les concepts en sciences infirmières (éd. Mallet Conseil, 2009 ; 2e édition 2012).
ALLER PLUS LOIN
→ Le rapport Hénart, Berland et Cadet (2011), www.sante.gouv.fr (http://bit.ly/ePOcgz)
→ Les résultats de la consultation du SNPI auprès des infirmières sur les protocoles de coopération, www.syndicat-infirmier.com