L'infirmière Magazine n° 321 du 15/04/2013

 

AIDANTS ET SOIGNANTS

DOSSIER

Les aidants informels représentent, en France, plus de 8,3 millions de personnes. Or, la population nécessitant leur intervention ne cesse de s’accroître. Oscillant entre rivalité et partenariat avec les soignants, la place qu’ils occupent impose une réflexion de la part des professionnels de santé.

Effet de mode, nouvelle part de marché ou véritable enjeu de société ? Au cours des dernières années, les « aidants » ont de plus en plus suscité l’intérêt d’organisations en tout genre. De la simple association d’usagers aux fondations issues des banques et compagnies d’assurances, les actions et produits qui leurs sont destinés foisonnent. Depuis 2010, ils disposent même d’une journée nationale, fixée au 6 octobre sur le calendrier. Le terme « aidant » s’est désormais imposé dans le vocabulaire courant. Pourtant, la population à laquelle il renvoie varie largement selon les interprétations. Tout dépend de l’adjectif qui le suit. Quand ils ne sont pas « professionnels », comme les personnels soignants ou les auxiliaires de vie, les aidants sont, en effet, considérés comme « informels », « naturels » ou « familiaux », la plupart du temps bénévoles, ou tout juste indemnisés. Leur intervention, certes à la marge du soin, n’est pourtant pas négligeable. D’après l’enquête nationale Handicap-Santé auprès des aidants informels (HSA) conduite en 2008 par la Drees(1), environ 8,3 millions de personnes de 16 ans ou plus aident régulièrement, et à titre non professionnel, 5,5 millions de personnes de 5 ans ou plus vivant à domicile. De quoi confirmer l’importance de leur rôle, d’autant que ces chiffres n’incluent pas les aidants familiaux de personnes hébergées en établissement. Ainsi semble-t-il difficile de les qualifier, y compris à travers les textes réglementaires. En témoigne la loi du 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, qui mentionne les « aidants familiaux, bénévoles associatifs et accompagnateurs » sans en donner de définition.

Géométrie variable

Il a fallu attendre 2008 pour que le Code de l’action sociale et des familles (art. R245-7) en fournisse une, et uniquement dans le domaine du handicap. Le texte évoque ainsi « le conjoint, le concubin, la personne avec laquelle la personne handicapée a conclu un pacte civil de solidarité, l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré de la personne handicapée, ou l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré de l’autre membre du couple qui apporte l’aide humaine […] et qui n’est pas salarié pour cette aide ». À ceux-ci s’ajoute, dans certaines conditions, « toute personne qui réside avec la personne handicapée et qui entretient des liens étroits et stables avec elle ». L’étude HSA indique qu’ils ne sont que 47 % à occuper un emploi, 33 % étant retraités. Parmi ces derniers, âgés en moyenne de 52 ans, les statisticiens observent une majorité de femmes (74 %). Mêmes tendances constatées par l’enquête BVA-Novartis 2008-2009, qui repousse néanmoins l’âge moyen des aidants à 64 ans ! « L’accompagnement de l’entourage combine le plus souvent une aide aux tâches de la vie quotidienne et un soutien moral, note la Drees, dans une étude datée de 2011. L’assistance dans la vie quotidienne apportée par les professionnels se concentre sur les soins personnels et les tâches ménagères. Celle de l’entourage est plus diversifiée et concerne l’ensemble des activités de la vie quotidienne. » D’où la difficulté, pour chacun, de trouver sa place. D’autant que le rôle des aidants diffère en fonction des personnes qu’ils épaulent. D’après l’étude HSA, un peu plus de la moitié interviennent auprès de seniors de plus 60 ans, dont 13 % sont atteints de la maladie d’Alzheimer. Ils occupent une place d’autant plus importante auprès de leurs proches que 48 % d’entre eux s’investissent pour au moins quatre tâches de la vie quotidienne. Le sondage BVA-Novartis relève, notamment, que 96 % assument un soutien moral ; 88 %, de la surveillance ; 41 %, un renfort dans les activités élémentaires de la vie quotidienne ; et 39 %, une aide pour les soins ou la prise de médicaments.

Frilosité des proches

Autre phénomène pointé par cette enquête : 54 % préfèrent s’occuper eux-mêmes de la coordination et de l’organisation des soins de leurs proches, plutôt que de les confier à un professionnel. Une frilosité désormais perçue par le monde de la santé. En atteste Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad), qui soulignait, dès avril 2010, dans la revue Réciproques, l’importance « des actions spécifiques autour du malade : éducation thérapeutique de celui-ci, mais aussi responsabilisation et apprentissage des aidants naturels dans l’accompagnement de cette démarche […] ; sollicitation d’aides externes (aides ménagères, gardes-malades) éventuelles pour alléger le fardeau pesant sur l’aidant, grâce aux assistantes sociales de l’HAD ». L’attention envers ces partenaires de soins prend d’ailleurs de plus en plus d’ampleur. Ne serait-ce qu’à travers les multiples formations conçues pour eux et éligibles à différents financements (type droit Dif, Cif ou encore CNSA). Dans le premier plan Alzheimer, déjà, un volet portait sur cette transmission de connaissances concernant les techniques de prise en charge, la communication non verbale et la gestion du stress. L’association France Alzheimer, précurseur en la matière, actualise ainsi régulièrement ses propres dispositifs. Archétype du genre, le Centre d’information et de formation des aidants, alias le Cif-Aidants, se consacre uniquement à ce public. Dans son catalogue 2013, il propose, entre autres, des enseignements relatifs aux signes d’alerte chez la personne en perte d’autonomie, à la prévention d’escarre ou encore sur les risques de déshydratation. Au risque, parfois, de mélanger l’offre destinée aux professionnels à celle dédiée aux proches. La frontière paraît d’ailleurs ténue, comme l’indique Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants : « En l’absence d’une présence permanente de professionnels, il faut bien que les proches aidants soient capables de connaître les gestes nécessaires pour lever, coucher, faire manger ou boire en évitant les fausses routes, mettre au fauteuil… »

Défis à venir

Si les efforts de ce type ne manquent pas, d’autres chantiers restent à mener. À commencer par l’amélioration de l’état de santé des aidants eux-mêmes, malgré l’essor de groupes de parole, bilans médicaux et autres dispositifs ad hoc. « Plus de la moitié des conjoints de malade développent une dépression », signale, en effet, la Haute Autorité de santé (HAS), avant de pointer, également, un risque de surmortalité. L’avenir promet en outre un autre défi de taille : celui d’assurer la relève. Suivant les projections à l’horizon 2040 établies par la Drees, « le nombre de personnes âgées dépendantes augmenterait davantage que celui des personnes de 50 à 79 ans, qui constituent aujourd’hui la majorité des aidants ».

Faut-il imaginer qu’une partie des missions assurées aujourd’hui par des bénévoles glissera vers le monde professionnel ? Possible. Bien des facteurs peuvent cependant modifier la donne, notamment l’activité des femmes, qui continue de croître, ou la multiplication des familles recomposées.

1– Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.

CAFÉ DES AIDANTS

Un dernier-né à Marseille pour prévenir les burn out

Un samedi matin, fin janvier, au sein de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) La Renaissance, à Marseille. Six personnes sont réunies. Elles inaugurent le premier Café des aidants(r) des Bouches-du-Rhône. L’espace en question complète la liste des 50 autres lieux du même genre initiés ailleurs sur le territoire par l’Association française des aidants (qui en a déposé le concept auprès de l’Institut national de la propriété intellectuelle). « Ce n’est pas un groupe de parole, prévient Yves Biglio, psychologue et co-animateur de cet espace. Pour ma part, j’espère que les participants parviendront à mettre en place un réseau de solidarité entre eux. » Dédié aux familles des résidents de La Renaissance mais aussi d’autres établissements du groupe Orpea, voire d’ailleurs, le Café des aidants marseillais respectera les mêmes règles que les autres. Au rythme d’un rendez-vous mensuel, il suivra des thématiques précises validées par l’association nationale, comme les richesses de la relation d’aide, les dispositifs de soutien aux aidants ou encore les relations avec les professionnels. « Le nombre de participants est limité à 12, voire 15 personnes, prévient Guy Bocchino, assistant social et second animateur du groupe. Nous espérons qu’elles trouveront ici un appui, du réconfort, des échanges, un lieu pour extérioriser leurs difficultés. Il y a souvent une transversalité des problèmes, quelle que soit la situation personnelle de chacun. »