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QUESTIONS SUR
Monsieur M., 78 ans, est hospitalisé à la suite d’une chute qui a révélé la présence d’une hyper-glycémie sévère témoignant de l’existence d’un diabète méconnu. Comment les soignants font-ils face à cette situation ?
Le traitement du diabète chez une personne âgée exige que les soignants disposent de connaissances spécifiques approfondies, à la fois sur la maladie et sur la gérontologie, afin de pouvoir aider le patient à surmonter les difficultés inhérentes à l’éducation thérapeutique.
Certaines circonstances typiques doivent conduire à rechercher l’existence d’un diabète chez le sujet âgé : la présence de signes cliniques (polyurie, polydipsie, amaigrissement) ; la prise d’une corticothérapie ou d’un autre traitement potentiellement diabétogène comme les neuroleptiques ; des infections répétées ou encore l’existence de facteurs de risque (antécédents familiaux, obésité androïde, antécédents d’hyperglycémie transitoire). Il convient également de penser au diabète face à certains symptômes moins typiques : trouble du comportement, altération inexpliquée de l’état général, déshydratation, incontinence urinaire, HTA
La glycémie à jeun, du fait de sa stabilité avec l’âge
L’une des principales particularités de la population âgée diabétique est son hétérogénéité. Elle provient de nombreux facteurs : ancienneté de la maladie, contrôle de l’équilibre glycémique, présence de facteurs de risques cardio-vasculaires, existence de comorbidités sensorielles, cognitives, physiques et/ou de complications dégénératives. Elle fait l’objet d’une classification des sujets âgés diabétiques selon trois niveaux de fragilité appréciés par des critères cliniques et sociaux (environnement socio-économique et familial) :
– Le sujet âgé en bonne santé, ou présentant une monopathologie correctement traitée et bien contrôlée.
– Le sujet fragile, polypathologique et polymédicamenté, exposé aux accidents iatrogènes et aux risques de chute. Les troubles nutritionnels et cognitifs peuvent également expliquer cette fragilité et gêner la prise en charge du diabète.
– Le sujet âgé polypathologique dépendant.
La prise en compte de ces différents niveaux de fragilité est essentielle, car elle conditionne l’individualisation du mode de prise en charge et les objectifs du traitement.
Cette distinction doit prendre en compte le diabète et ses complications, mais également l’aspect gérontologique de la maladie. Elle impose de réaliser préalablement une évaluation gérontologique standardisée (EGS), déterminante pour l’élaboration du plan de soins spécifiques à chaque patient. L’EGS repose sur l’évaluation des fonctions cognitives et sensorielles, de l’autonomie, de l’état nutritionnel, de la douleur, du risque de chute, des troubles du comportement (ils peuvent être les seules manifestations d’hypo– glycémie) et de l’environnement socio-familial. De nombreuses grilles d’évaluation sont disponibles pour repérer, quantifier et apprécier chez chaque patient les éléments de fragilité. Leur renseignement est chronophage mais permet d’optimiser la prise en charge géronto-diabétique du patient, qu’il soit à domicile, en institution ou à l’hôpital.
Au-delà de 75 ans, il n’existe aucune étude démontrant les bénéfices d’un contrôle glycémique strict. L’objectif glycémique doit être individualisé, en tenant compte de l’espérance de vie, de l’existence ou non de complications du diabète et du risque d’hypoglycémie. Les recommandations de l’European Union Geriatric Medecine Society (2004) distinguent schématiquement deux situations auxquelles correspondent des objectifs adaptables :
– Patient âgé diabétique en « bonne santé » générale : glycémie à jeun entre 0,90 et 1,26 g/l – HbA1c entre 6,5 et 7,5 %.
– Patient âgé diabétique « fragile » : glycémie à jeun entre 1,26 et 1,60 g/l – HbA1c entre 7,5 et 8,5 %.
Chez un patient polypathologique, ayant une espérance de vie réduite, l’objectif sera celui d’une glycémie de confort soit 2 g/l (1 mmol/l) associée à une surveillance pour prévenir le coma hyperosmolaire.
Ces chiffres ont été globalement confirmés par la prise de position de l’ADA (association américaine du diabète)-EASD (association européenne pour l’étude du diabète), publiée en 2012, qui fait actuellement référence (www.sfdiabete.org/medical/vie-professionnelle-et-referentiels/prise-de-position-ada-easd-sur-la-prise-en-charge-de-l-h), en attendant la publication des recommandations françaises prévues pour 2013.
La prise en charge thérapeutique doit être adaptée au contexte spécifique du sujet âgé en fonction de ses critères de fragilité. Les ADO (anti-diabétiques oraux) peuvent être utilisés, mais doivent faire l’objet d’une attention particulière quant au choix, à la posologie et à leur demi-vie d’élimination. En raison des interactions médicamenteuses, des effets indésirables, des contre-indications et des précautions d’emploi (nombreuses en raison des comorbidités) associés aux différentes molécules disponibles (voir encadré p. 41), les malades sous ADO nécessitent une vigilance accrue. C’est une raison majeure, qui incite à ne pas retarder l’insulinothérapie chez les sujets âgés, voire à l’utiliser d’emblée. Le passage des ADO à l’insuline est donc très fréquent. Il survient, notamment, en cas :
– d’affection aiguë intercurrente qui déséquilibre le diabète ou impose un bon équilibre glycémique ;
– de complications métaboliques aiguës ;
– d’équilibre glycémique insuffisant malgré un traitement par ADO bien conduit ;
– de traitement ADO provisoirement contre-indiqué ;
– de traitement ADO devenant définitivement contre-indiqué ;
– d’alimentation per os trop irrégulière ou impossible ;
– de nécessité d’optimiser la surveillance ;
– de dénutrition.
Malgré ses inconvénients pratiques (injections, contraintes liées au matériel) et thérapeutiques (risque d’hypoglycémie plus élevé mais moins grave qu’avec les ADO), l’insulinothérapie par insuline humaine ou analogues est fréquemment envisagée car elle présente des avantages indéniables et un rapport bénéfice/risque positif chez le sujet âgé :
– amélioration de l’état général et nutritionnel (recul de l’asthénie et de la perte de poids liées au déséquilibre glycémique) ;
– réduction des prises médicamenteuses orales ;
– meilleure surveillance globale du patient assurée par le passage régulier des infirmières, qui facilite le maintien à domicile des patients fragiles.
Le désagrément des injections est partiellement compensé par le recours aux stylos injecteurs et aux seringues préremplies, faciles à utiliser.
Chez le sujet âgé diabétique, l’hypoglycémie se définit par une glycémie capillaire inférieure à 0,60 g/l, qu’il existe ou non des symptômes. Elle survient généralement dans les circonstances suivantes :
– alimentation irrégulière ;
– activité physique inhabituelle ;
– erreurs dans le traitement dues à des troubles de la motricité fine, de la vision ou à des troubles cognitifs ;
– âge très avancé ;
– polymédication avec risque d’interférence médicamenteuse ;
– prise de psychotropes, qui peut masquer les signes d’hypoglycémie et doit faire l’objet d’une surveillance accrue ;
– retour à domicile après un séjour hospitalier sans ajustement du traitement.
Les symptômes d’hypoglycémie chez le sujet âgé sont souvent atypiques, silencieux (notamment la nuit) et atténués du fait de l’âge, de la répétition des épisodes hypoglycémiques ou de la prise de psychotropes. Les plus fréquents sont la sudation, les tremblements, l’asthénie, les palpitations, la sensation de faim, les troubles de l’élocution, les céphalées, les troubles visuels et de la coordination, la somnolence, l’angoisse et les troubles du comportement comportant une touche d’agressivité. D’une manière générale, toute attitude ou tout état inhabituel chez un sujet âgé diabétique doit faire suspecter une hypoglycémie, jusqu’à preuve du contraire, sachant que le dépistage et le traitement précoce des hypoglycémies modérées constituent la meilleure prévention des hypoglycémies sévères. Celles-ci peuvent se manifester par une perte de connaissance, des convulsions, des atteintes neurologiques irréversibles, voire par le décès.
Le traitement de l’hypoglycémie repose sur le resucrage immédiat par prise de 15 g de sucre, soit l’équivalent de 3 morceaux ou l’administration de glucagon par un soignant ou l’entourage si le patient n’est pas en mesure d’être resucré par voie orale. Ce resucrage doit être suivi d’une mesure de la glycémie dans les 30 minutes qui suivent afin d’ajuster la prise de sucre si l’hypoglycémie persiste mais aussi de veiller à ce qu’une sur-correction de l’hypoglycémie n’entraîne pas une hyperglycémie de « rebond ».
De par l’hétérogénéité de la population âgée, la prise en charge diététique des patients diabétiques âgés ne peut en aucun cas être standardisée. Elle doit nécessairement être adaptée et s’accommoder du fait que l’alimentation doit avant tout prévenir les risques de dénutrition et éviter les carences en vitamines et oligo-éléments. Les enquêtes alimentaires objectivent très souvent, chez les sujets âgés diabétiques, des rations caloriques basses, insuffisantes en glucides et pauvres en oligo-éléments et vitamines consécutives à des régimes restrictifs inappropriés. Or, chez le sujet diabétique âgé, même en cas de surcharge pondérale, il convient de ne pas proposer de restriction calorique excessive qui risque d’entraîner une perte de masse maigre irréversible. La ration calorique quotidienne ne doit pas être inférieure à 1 500 kcal chez le sujet obèse, 1 600 kcal chez le sujet stable et 1 800 kcal en cas de dénutrition ou de présence d’escarres. Elle doit être fractionnée en trois repas minimum, avec une ou deux collations, selon les habitudes du patient et selon le traitement. Le jeûne nocturne ne doit pas dépasser 12 heures. Les sucres à index glycémique fort doivent être consommés raisonnablement à la fin des repas et limités en cas de surcharge pondérale. L’ensemble des besoins alimentaires chez le sujet âgé diabétique est résumé dans le tableau ci-contre.
La prescription d’un régime sans sel doit être raisonnée et surveillée, en raison des risques d’hyponatrémie et de dénutrition. L’activité physique, composante essentielle de la prise en charge, est souvent difficile à mettre en œuvre chez le sujet âgé du fait du contexte médical et, notamment, des impossibilités rhumatologiques ou contre-indications cardio-vasculaires. A minima, il convient de recommander une marche régulière et, au mieux, la pratique d’une activité physique plus soutenue, si cela est adapté aux capacités du patient et pris en compte pour adapter le traitement et/ou l’alimentation.
Indissociable de la prise en charge du diabète, l’ETP vaut plus encore pour le diabétique âgé, dont l’équilibre glycémique est précaire. Elle vise à réduire les risques d’accident liés au diabète et à son traitement et à améliorer le niveau glycémique et la prévention des complications. Elle doit nécessairement faire l’objet d’un diagnostic éducatif préalable et tenir compte des handicaps sensoriels moteurs ou cognitifs susceptibles de gêner les apprentissages ainsi que des compétences, de la volonté et des ressources intellectuelles et matérielles du patient et des aidants. Chez les sujets âgés, l’éducation individuelle personnalisée centrée sur des objectifs pratiques et concrets définis en collaboration avec le patient ou son entourage doit être privilégiée. Les apprentissages indispensables ou « éducation minimale de sécurité » concernent le risque hypoglycémique (reconnaître les signes, identifier les causes, conduite à tenir), les bases d’une alimentation adaptée au diabète, les messages de prévention et d’alerte relatifs au pied diabétique et aux risques d’erreur médicamenteuse.
Chez le diabétique âgé autonome, les principes d’auto-surveillance glycémique sont les mêmes que chez le diabétique jeune :
– diabète insulino-traité : contrôle de la glycémie capillaire au moins avant chaque injection ; recherche d’acétonurie ou évaluation de la cétonémie en cas d’hyperglycémie supérieure à 2,5 g/l. Pour les patients de plus de 75 ans, la réalisation hebdomadaire, par une infirmière, d’une séance de surveillance clinique et de prévention d’une demi-heure à domicile est désormais prise en charge.
– diabète non insulino-traité : autosurveillance glycémique facultative, contrôle glycémique en cas d’événement intercurrent ou de traitement pouvant entraîner une hypoglycémie.
Lorsque l’état sensoriel, moteur ou cognitif ne permet pas la pratique de l’autosurveillance glycémique, la surveillance est réalisée par une tierce personne :
– avant chaque injection d’insuline ;
– une à deux fois par semaine en cas de traitement oral.
L’autosurveillance glycémique doit être renforcée lors de tout événement intercurrent ou lors de l’institution d’un traitement (médicamenteux ou non) pouvant retentir sur l’équilibre glycémique. En pratique, quel que soit le lecteur de glycémie utilisé, il est conseillé de régler l’autopiqueur à la profondeur minimale nécessaire, de réaliser la piqûre sur le côté du doigt, car cette zone est moins douloureuse que la pulpe, en évitant le pouce et l’index, qui assurent la pince de préhension. La rotation des points de piqûre est recommandée, cela empêchera la formation de callosités. Pour ne pas risquer d’interférer avec les mesures, les mains doivent être préalablement lavées à l’eau tiède et au savon, et correctement séchées pour éviter l’hémodilution. L’eau tiède voire le massage du doigt et de la paume facilitent la formation de la goutte de sang et le prélèvement. Un résultat surprenant impose de vérifier la date de péremption de la bandelette, l’état du lecteur, et de renouveler la mesure. Si elle dépasse 2,5 g/l, il convient de rechercher les corps cétoniques dans les urines ou de déterminer la cétonémie capillaire, et de contacter le médecin.
Article réalisé sous le contrôle du PR BERNARD BAUDUCEAU, coordon-Nateur ALFEDIAM, à partir des Guides médicaux et paramédicaux réalisés par des groupes d’experts de la Société francophone du diabète et de la Société française de gériatrie et de gérontologie.
1- Johnson KC, Graney MJ, Applegate WB, Kitabchi AE, Runyan JW, Shorr RI. « Prevalence of undiagnosed non-insulin-dependant diabetes mellitus and impaired glucose tolerance in a cohort of older persons with hypertension ». J Am Geriatr Soc, 1997, 45, 695-700.
2- Garcia GV, Freeman RV, Supiano MA, Smith MJ, Galecki AT, Halter JB. « Glucose metabolism in older adults : a study including subjects more than 80 years of age ». J Am Geriatr Soc, 1997, 45, 813-17.
3- Jackson RA. Mechanisms of age related glucose intolerance. Diabetes Care, 1990, 13 (suppl 2) 9-19.
Comme pour l’autosurveillance, le suivi médical du sujet âgé diabétique est fondé sur les recommandations de l’Alfediam (Diabetes metab 1999 ; 25 : 84-93) actualisées des travaux publiés. Il repose sur :
→ Des examens trimestriels (en dehors de toute nouvelle symptomatologie ou de la nécessité d’une surveillance renforcée) :
– Contrôle de l’observance thérapeutique.
– Examen clinique ciblant principalement l’action thérapeutique et la tolérance des médicaments, la pression artérielle, couché et debout, le poids, l’état nutritionnel et l’hydratation.
– Dosage de l’HbA1c.
→ Des examens annuels (en dehors de toute nouvelle symptomatologie ou de la nécessité d’une surveillance renforcée) :
– État bucco-dentaire.
– Examen clinique cardio-vasculaire.
– Examen des pieds : sur les plans neurologique (notamment par le test du monofilament) et vasculaire, par la palpation des pouls, et recherche de déformations et/ou de points de pression anormaux.
– Évaluation gérontologique.
– Bandelette urinaire complète (avec examen cyto-bactériologique des urines en cas de doute sur une infection urinaire).
– Ionogramme et créatinine plasmatiques.
– Dosage des lipides plasmatiques (en prévention secondaire ou lors de la surveillance en prévention primaire).
– ECG.
– Examen ophtalmologique (en présence d’un aidant si le malade n’est pas autonome).
– Microalbuminurie ou protéinurie (sur échantillon matinal si réalisable).
→ D’autres examens périodiques :
– Écho-doppler carotidien, tous les 3 ans en l’absence de signes d’appel.
– Recherche d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs par écho-doppler avec index de pression systolique cheville-bras tous les 5 ans ou si les pouls périphériques sont abolis.
patients en France, soit le quart des diabétiques, sont âgés de plus de 75 ans, selon l’étude Entred (Échantillon national témoin représentatif des personnes diabétiques) 2007-2010.