FORMATION CONTINUE
L’ESSENTIEL
Stigmatisée, souvent réduite, à tort, à un facteur de risque, l’obésité est une maladie chronique qui altère la qualité de vie des patients. Elle touche 15 % des adultes français, et est encore fréquemment considérée comme relevant d’un manque de volonté. Il s’agit pourtant d’une affection chronique complexe, dont les causes se révèlent à la fois physiologiques, comportementales et psychosociales. Le traitement de l’obésité dépasse d’ailleurs largement le cadre des mesures diététiques. Comprendre son caractère multifactoriel permet de changer notre regard sur cette maladie et d’aborder sa prise en charge de façon optimale. L’approche proposée par un réseau multidisciplinaire, au sein duquel les infirmières ont leur place, est, à cet égard, à privilégier. Correspondant à une véritable participation à des actions de prévention, de dépistage, de formation et d’éducation à la santé, leur rôle face à l’obésité est essentiel.
L’obésité est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle qui peut nuire à la santé. D’abord considérée comme un facteur de risque, elle a été reconnue « maladie » en 1997. Face à l’augmentation rapide de sa prévalence (elle a doublé entre 1980 et 2008), l’obésité est qualifiée par l’OMS « d’épidémie mondiale ». Dans le monde, plus de 500 millions de personnes sont obèses et 2,8 millions d’adultes au moins en meurent chaque année. Un nombre de décès qui dépasse désormais celui imputable à une insuffisance pondérale (chiffres OMS, estimations 2008).
→ L’indice de masse corporelle : l’importance de la masse grasse est estimée en pratique clinique grâce à l’indice de masse corporelle (IMC), qui relie le poids corporel à la taille de l’individu :
IMC = Poids (en kg)/Taille2 (en m).
En pratique clinique, le diagnostic, la classification, le suivi du surpoids et de l’obésité reposent sur cet indice approximatif, qui connaît des limites : il ne distingue pas la masse adipeuse des os ou des muscles, ce qui le rend imprécis pour les personnes à forte ossature, très musclées (athlètes…) ou les femmes enceintes ; il ne prend pas en compte la répartition corporelle des graisses, qui peut avoir des répercussions cliniques importantes. On distingue, en effet :
– L’obésité « androïde » (ou « abdominale »), lorsque la masse grasse s’installe majoritairement autour des viscères de l’abdomen. Associée au développement des complications métaboliques (diabète, troubles cardio-vasculaires…), elle est plutôt masculine et peut exister avec un IMC normal ou peu élevé ;
– L’obésité « gynoïde », lorsque la masse grasse s’installe dans le bas du corps (cuisses, fesses) : plutôt féminine, associée à des troubles veineux ou articulaires. À noter : l’obésité peut être « mixte » et combiner ces deux formes, en particulier à partir d’un certain degré de corpulence (IMC > 40).
→ Le tour de taille : en complément de l’IMC, la mesure du tour de taille est un indicateur de la répartition abdominale des graisses. Selon les normes européennes, le niveau de risque métabolique est élevé à partir d’un tour de taille de 80 cm chez la femme et de 94 cm chez l’homme.
→ Autres mesures : les mesures de la composition corporelle par impédancemétrie (mesure de la masse grasse via ses propriétés de résistance à un courant électrique), du pli cutané (abdomen, triceps…) ou le rapport tour de taille/tour de hanches sont parfois utilisés, mais aucun n’est assez précis pour se substituer à l’IMC en pratique courante.
Sur un plan purement thermodynamique, l’obésité est le résultat d’un déséquilibre prolongé de la balance énergétique, avec des apports énergétiques journaliers qui dépassent les dépenses pendant une longue période. Mais le corps humain ne peut pas se résumer à une simple machine thermodynamique. L’obésité est une maladie complexe dans laquelle interagissent différents facteurs.
→ Prédisposition génétique : la capacité de stockage des graisses se trouve en partie liée à des facteurs génétiques : un enfant dont l’un des parents est obèse a 25 à 40 % de risques de le devenir, contre 10 % si les parents sont minces. Sauf dans de rares cas, comme dans celui du syndrome de Prader-Willi (anomalie chromosomique qui se traduit, entre autres, par une absence de satiété), il ne s’agit cependant que d’une prédisposition, liée à divers gènes, qui va ou non s’exprimer, selon l’environnement.
→ Alimentation : les apports énergétiques excessifs sont un facteur important, notamment les aliments à forte densité énergétique, riches en lipides et en sucre, facilement accessibles et proposés en abondance par nos sociétés de consommation.
→ Sédentarité : le lien entre obésité et sédentarité, évalué en pratique par des index comme le temps passé devant les écrans, est clairement établi. L’arrêt d’une activité sportive est, ainsi, une circonstance à risque.
→ Hormones : les hormones sexuelles, en particulier féminines, peuvent jouer un rôle, avec deux périodes à risque : la grossesse et la ménopause.
→ Médicaments : certains traitements favorisent la prise de poids. Parmi eux, les antipsychotiques (neuroleptiques, lithium, antidépresseurs…), anti-épileptiques, traitements hormonaux (contraceptifs…), corticoïdes, antidiabétiques (insuline, sulfamides hypoglycémiants), anti-histaminiques.
→ Les troubles du comportement alimentaire, type tachyphagie (ingestion rapide et abondante d’aliments aux repas), compulsion alimentaire sans faim ou hyperphagie boulimique, ne sont pas systématiques mais pas rares (3,3 % à 8,5 % des obèses souffrent d’hyperphagie boulimique). Ils doivent être dépistés et pris en charge en priorité.
→ Régimes et effet yo-yo : si les régimes hypo– caloriques font maigrir à court terme, leurs conséquences néfastes ont récemment été étudiées (lire Savoir plus p. 42). La notion de restriction cognitive – ou intention de contrôler consciemment et rationnellement son comportement alimentaire dans le but de maigrir – est, notamment, montrée du doigt : le sujet court-circuite la notion de plaisir et les sensations de satiété pour leur substituer une notion cognitive de « valeur diététique ». Lorsque sa volonté est en échec ou après le régime, l’organisme réagit par des accès d’hyperphagie qui poussent à reprendre du poids (souvent davantage) et accentuent dès lors les déséquilibres alimentaires.
→ Troubles anxio-dépressifs : la nourriture peut être un moyen de compensation émotionnelle en cas de difficultés psychologiques, relationnelles, de stress, de frustration, d’angoisse. La dépression est particulièrement associée à un risque de survenue de l’obésité (et inversement). Parmi les situations à risque : la maladie d’un conjoint, un divorce, les difficultés professionnelles, l’arrêt du tabac…
→ Difficultés socio-économiques : il existe un très net gradient social de l’obésité, avec une relation inversement proportionnelle entre niveau de revenus et prévalence ; 30 % des individus qui déclarent ne pas s’en sortir financièrement souffrent d’obésité, soit le double de la moyenne nationale (ObÉpi 2012). Il en est de même pour le niveau d’instruction : 24 % de prévalence d’obésité en cas de niveau primaire, et 7 % chez les cadres de niveau supérieur 3e cycle.
L’obésité expose à un risque accru de maladies et de troubles psychosociaux qui limitent l’espérance de vie et détériorent la qualité de vie des patients. Dans sa recommandation de 2011 « Surpoids et obésité de l’adulte » (lire Savoir plus p. 42), la Haute Autorité de santé (HAS) souligne que « les personnes ayant une obésité ont souvent une qualité de vie médiocre, dont le niveau est comparable à celui des personnes cancéreuses ou gravement handicapées ».
→ Métaboliques : l’obésité, en particulier sa localisation abdominale, favorise le risque de développer un diabète de type 2, une cardiopathie ischémique (angor, infarctus, insuffisance cardiaque…), un AVC ou une hypertension artérielle. Les hépatopathies non alcooliques et les lithiases vésiculaires sont également favorisées.
→ Cancers : l’obésité est un facteur de risque reconnu des cancers de l’œsophage, du pancréas, colorectal, du sein (après la ménopause), de l’endomètre, du rein.
→ Cutanées : mycoses, macération des plis.
→ Mécaniques : insuffisance veinolymphatique, arthrose (hanche), troubles respiratoires (asthme, apnées du sommeil…), reflux gastro-œsophagien.
→ Sexualité/reproduction : difficultés à la fois d’ordre métabolique (déséquilibres hormonaux, dysfonction érectile…) et psychologique (troubles de l’image corporelle). Diminution de la fécondité féminine et de la fertilité masculine (IMC > 29 kg/m2), augmentation du nombre de fausses couches, de la mortalité et anomalies fœtales (cardiaques, tube neural…).
Face aux diktats de minceur véhiculés par les médias (mais aussi, paradoxalement, par les messages de prévention omniprésents, qui imposent une certaine « normalité »), les obèses sont souvent stigmatisés. Leur image, liée dans l’inconscient collectif à une faiblesse, voire à une moindre intelligence, est à l’origine de multiples discriminations : dans l’accès aux études, à l’emploi (le temps passé au chômage augmente avec la valeur de l’IMC), aux soins (manque de matériel adapté, réactions négatives des soignants), dans la vie quotidienne (moqueries, injures…), les médias (stéréotypes de l’obèse comique…). Avec, pour conséquences fréquentes, un isolement des malades, des difficultés financières, une désocialisation.
Les retombées psychologiques de la maladie sont très variables selon les patients, qui peuvent ressentir à divers degrés un sentiment de honte, de culpabilité et une perte d’estime de soi pouvant rejaillir sur tous les aspects de la vie. Les troubles anxiodépressifs accompagnent souvent la maladie et peuvent exacerber les compulsions alimentaires.
→ 15 % des adultes sont obèses, soit environ 6 922 000 personnes (2 fois plus qu’en 1997).
→ Prévalence plus élevée chez les femmes jeunes (15,7 %), les plus de 65 ans (18,7 %), en zone rurale (16,7 %), dans les régions du Nord (21,3 % en Nord-Pasde-Calais).
→ + 3,6 kg en moyenne et + 5,3 cm de tour de taille en population générale depuis 1997.
→ + 0,5 % de prévalence de l’obésité entre 2009 et 2012, (soit une légère décélération de la progression pour la 1re fois depuis 15 ans), progression sur 3 ans toujours supérieure à 1 %).
Source: enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité ObÉpi 2012.
Le tissu adipeux contient divers types de cellules, principalement :
→ des adipocytes, capables de stocker et de libérer les graisses sous forme de triglycérides. Extensibles, ils peuvent se « gonfler » de graisse (hypertrophie) de façon réversible. Par ailleurs, ils synthétisent la leptine, hormone qui joue un rôle dans la satiété ;
→ des préadipocytes, cellules souches qui se différencient en adipocytes, notamment durant l’enfance. On sait maintenant que cette différenciation, irréversible, est également possible à l’âge adulte, avec accroissement du nombre d’adipocytes (hyperplasie) ;
→ des cellules inflammatoires type macrophages, qui sécrètent des molécules proinflammatoires probablement impliquées dans les phénomènes d’insulinorésistance. Cette fonction « métabolique » est particulièrement présente au niveau viscéral.