L'infirmière Magazine n° 323 du 15/05/2013

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

Mme G., 90 ans, vit en Ehpad depuis le décès de son mari, en raison de troubles cognitifs rendant impossible son maintien à domicile. Elle pèse 46 kg pour 1 m 50. Les antécédents principaux sont une démence dégénérative assez évoluée mais calme, une cardiopathie arythmique ancienne, une ostéoporose, une carence en vitamine D, une malnutrition protéino-énergétique, et une insuffisance rénale modérée (clairance de la créatinine estimée à 44 ml/min). Sur l’année, la patiente a présenté une grippe nosocomiale surinfectée et une thrombose veineuse profonde soléaire compliquée d’une embolie pulmonaire.

Le traitement habituel comporte Coumadine, Hemigoxine, Doliprane, Imovane, Prozac, Exelon, Duphalac.

Au décours du séjour, un zona ophtalmique est diagnostiqué. Un traitement par valaciclovir (Zelitrex®) par voie orale est mis en place par le médecin responsable de la patiente. La posologie prescrite est de 1 000 mg toutes les 8 heures (soit 3 g par jour).

Deux jours plus tard, Mme G. présente un tableau d’insuffisance rénale aiguë (augmentation brutale de la créatininémie) accompagné de signes neurologiques : confusion, hallucinations, agitation, altération de la conscience. Devant cette situation, le traitement par valaciclovir est suspendu, puis repris à posologie réduite.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

La posologie recommandée de valaciclovir pour traiter un zona ophtalmique est variable suivant l’état de la fonction rénale du patient. Ainsi, chez un malade qui présente une fonction rénale normale ou en légère insuffisance, le traitement est bien de 3 g par jour. En revanche, chez les patients insuffisants rénaux, elle doit être réduite à 2 g par jour, voire 1 g ou 500 mg chez les patients présentant une forte insuffisance rénale.

Ne pas adapter la posologie fait courir le risque d’un surdosage, en raison d’une élimination insuffisante du médicament. Dans le cas du valaciclovir, la patiente a été victime d’une insuffisance rénale aiguë ainsi que de symptômes neurologiques qui auraient pu aller jusqu’au coma. Les symptômes ont rapidement régressé après l’arrêt du traitement.

2. RAPPELS : MÉDICAMENTS ET REIN

L’insuffisance rénale est une pathologie fréquente, en particulier chez les patients âgés : on estime que 8,2 % de la population française présente une insuffisance rénale chronique. Ce chiffre passe à plus de 15 % chez les patients de plus de 65 ans (Bongard et al., Annales de cardiologie et d’angéiologie, 2012 ; 6 : 239–244).

Mesure de l’insuffisance rénale

À défaut d’une réelle mesure (difficilement réalisable en pratique quotidienne), une estimation du fonctionnement rénal est souvent effectuée : plusieurs formules sont appliquées. Parmi les plus utilisées figurent la formule de Cockcroft et Gault, la formule du MDRD (Modification of Diet in Renal Disease) et la formule CKD-EPI (Chronic Kidney Disease-Epidemiology Collaboration). Elles reposent sur l’utilisation de la créatininémie, associée à d’autres informations comme l’âge, le poids et le sexe des patients.

Différents degrés d’insuffisance rénale existent. Sont usuellement distingués :

– l’insuffisance rénale légère, lorsque la clairance de la créatinine se situe entre 60 et 90 ml/min ;

– l’insuffisance rénale modérée, entre 30 et 60 ml/min ;

– l’insuffisance rénale sévère, entre 15 et 30 ml/min ;

– l’insuffisance rénale terminale, en dessous de 15 ml/min.

Rôle d’élimination des médicaments

Parmi les mécanismes contribuant à l’élimination des médicaments de l’organisme, la fonction rénale joue un rôle majeur. En effet, une grande proportion des médicaments utilisés en médecine sont éliminés par voie rénale. Plusieurs processus peuvent être rencontrés : filtration libre, mécanisme d’élimination active, réabsorption éventuelle…

En cas de défaillance de cet organe, l’élimination de ces médicaments peut se voir réduite, et leur concentration sanguine augmenter de manière parfois très sensible. Cela sera particulièrement vrai pour les médicaments dont le processus prépondérant d’élimination est la voie rénale. Ce phénomène pourra avoir moins d’importance lorsque plusieurs mécanismes d’élimination coexistent pour un même médicament : l’élimination rénale défaillante sera alors partiellement compensée par les autres mécanismes (élimination hépatique, par exemple).

Pour les médicaments à élimination rénale prépondérante, une posologie adaptée sera proposée. Elle permettra d’éviter une surexposition en médicaments, et, par là même, l’apparition d’effets indésirables dose-dépendants.

Contre-indications

Une insuffisance rénale peut conduire à proscrire certains médicaments (voir tableaux ci-contre). Avant tout recours à un produit pour soigner un patient insuffisant rénal, il convient de s’assurer qu’il n’est pas contre-indiqué par rapport au degré d’insuffisance, et de vérifier, le cas échéant, quelle posologie est adaptée. Par exemple, la levocetirizine (Xyzall®) est contre-indiquée si la fonction rénale est très dégradée (clairance de la créatinine inférieure à 10 ml/min), et sa posologie sera réduite si la clairance est comprise entre 10 et 50 ml/min. Même si leur usage n’est pas interdit, certains médicaments nécessitent des ajustements de posologie avant d’être administrés à des patients insuffisants rénaux, afin que ces derniers reçoivent un traitement en cohérence avec la dégradation de leurs capacités d’élimination.

3. EN PRATIQUE

Parmi les cas rapportés de surdosages médicamenteux, nombreux sont ceux qui concernent des patients insuffisants rénaux et des patients âgés recevant des surdosages répétés, en raison d’une posologie inappropriée.

Face à un patient insuffisant rénal, l’infirmier doit être très vigilant quant à l’utilisation des médicaments : est-il possible de les administrer à cette population particulière ? Et, si oui, quelle posologie est recommandée ? La manipulation des médicaments « toxiques » (à marge thérapeutique étroite), notamment, comme les anticoagulants, les aminosides, les antiépileptiques, doit être très prudente. En raison de la très grande fréquence de l’insuffisance rénale dans la population âgée, les mêmes précautions sont recommandées vis-à-vis d’elle.

ATTENTION !

→ Le fonctionnement rénal n’est pas un processus immuable : de nombreux paramètres peuvent faire varier de manière transitoire ou permanente la capacité de filtration des reins : âge, état d’hydratation, présence d’infections, pathologies rénales… Une réévaluation périodique de la fonction rénale devra, ainsi, être réalisée. De la même manière, une vérification régulière est nécessaire lorsqu’un traitement au long cours, avec un médicament de maniement délicat chez l’insuffisant rénal, est instauré.

Enfin, un bilan initial devra être effectué pour déterminer si la fonction rénale du patient permet ou non la mise en place de certains traitements (cas du lithium, notamment).