« Je me méfie d’une normalisation par la loi » - L'Infirmière Magazine n° 323 du 15/05/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 323 du 15/05/2013

 

INTERVIEW : GRÉGOIRE MOUTEL MÉDECIN ET ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN ÉTHIQUE MÉDICALE

DOSSIER

Grégoire Moutel a exercé comme médecin-consultant des Cecos de l’hôpital Necker et du CHU de Reims. Aujourd’hui, il enseigne les questions touchant à l’éthique et à la déontologie dans les six Ifsi rattachés à Paris-Descartes.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Que pensez-vous de la levée de l’anonymat du don, réclamée par certains enfants nés à la suite d’un don de gamètes ?

GRÉGOIRE MOUTEL : Aujourd’hui, à mon sens, les arguments des deux camps se valent. L’argument historique des détracteurs est qu’il faut protéger l’enfant contre une forme de stigmatisation qui renvoie à celle de l’enfant « bâtard ». C’est surtout la dimension affective qui joue : comment le donneur peut-il gérer la rencontre avec un enfant issu de son don ? Et l’enfant ? Enfin, les philosophes estiment qu’un donneur doit disposer de la liberté totale de gérer son avenir…

Cela dit, j’entends aussi les arguments des défenseurs de la levée de l’anonymat, car la société a progressé : infertilité et impuissance ne sont plus associées ; les familles recomposées confèrent des statuts différents aux enfants ; la question des origines est prégnante… Mais la réflexion ne semble pas mûre du côté des donneurs de sperme. Or, il ne faut pas mettre en cause leur disponibilité, car ils ne sont pas nombreux. Sur le don d’ovocytes, je suis plus nuancé. C’est la grossesse qui fonde la maternité, donc la dimension est différente.

Je ne serais pas étonné que la loi lève l’anonymat du don d’ici cinq à dix ans, en France. Ailleurs en Europe, environ 70 % des pays sont pour son maintien. Dans les pays où la levée de l’anonymat est autorisée (Suède, Pays-Bas, Royaume-Uni, Norvège), très peu de personnes demandent à connaître le donneur. Quoi qu’il en soit, rien n’oblige les parents à révéler à leur enfant la manière dont il a été conçu.

L’I. M. : Lorsque les couples demandent un don de gamètes, ont-ils le choix du donneur ?

G. M. : La commission d’éthique de la Fédération des Cecos a beaucoup travaillé sur ce sujet. Il est proposé un appariement assez léger : même ethnie, même couleur des yeux, des cheveux, et taille similaire à celle du père (ou de la mère pour les dons d’ovocytes).

L’I. M. : Qu’en est-il des embryons surnuméraires conservés dans les Cecos ou les laboratoires hospitaliers ?

G. M. : Lors des débats sur la révision de la loi, en 2011, les députés ont été surpris d’apprendre qu’il existait plus de 150 000 embryons congelés. Désormais, la durée de leur conservation est, en principe, de cinq ans. Chaque année, les couples sont contactés par courrier pour savoir où ils en sont. Au bout de cinq ans, il leur est demandé de choisir entre l’arrêt de la conservation (la destruction des embryons), le don à un couple ou bien à la recherche. Les couples ont souvent bien du mal à se décider. Et les Cecos doivent faire face à un impondérable majeur aujourd’hui : de nombreux couples sont perdus de vue, n’habitent pas à l’adresse indiquée. Les humanistes ne sont pas à l’aise par rapport au délai de cinq ans, et hésitent à détruire les embryons. Tout dépend de la représentation que l’on s’en fait. Et l’on craint toujours que le couple qui a disparu se manifeste soudainement.

L’I.M. : En cas de maladie, la préservation de la fertilité est-elle prise en compte ?

G. M. : Dans les années 1990, 30 à 40 % des hommes atteints d’un cancer ne se voyaient pas proposer l’autoconservation de leurs gamètes. Celle-ci est un élément de la loi depuis 1994, et est remboursée par la Sécurité sociale. Aujourd’hui, entre 95 et 98 % des hommes concernés peuvent en bénéficier. Pour les gamètes féminines, rien n’est dit dans la loi. L’accès à la cryoconservation de tissus ovariens est rare. Il est proposé à titre expérimental dans certains CHU, mais la démarche devrait se développer car il s’agit d’un réel problème de santé publique.

L’I. M. : Quels problèmes la loi va-t-elle s’employer à résoudre ?

G. M. : La loi parle de « couples en âge de procréer ». La question de la limite d’âge se pose, notamment pour la femme. Une grossesse à 43 ans est risquée.

Par ailleurs, j’aspirerais à des règles européennes, car la diversité des législations favorise la mobilité des citoyens. Mais, en matière de biomédecine et d’éthique, l’Europe n’a pas de pouvoir d’harmonisation. Cela dit, je me méfie d’une normatisation absolue par la loi. L’AMP renvoie souvent à une question d’évaluation, au cas par cas. Les équipes d’AMP ont des réunions pluridisciplinaires, prennent des décisions collégiales et savent dire non dans certaines situations délicates – couples dont les deux membres ont une maladie psychiatrique, ou fortement alcoolisés, ou atteints d’une maladie organique…

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