L'infirmière Magazine n° 323 du 15/04/2013

 

PARCOURS DE SOINS

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Les infirmières des services d’oncologie et de chirurgie digestive de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, on participé à la création d’un parcours de soins coordonné. En complément, elles ont réalisé un film destiné aux patients. On tourne !

Tout a commencé au printemps 2012 », se souvient Nadège Altazin, cadre de santé du pôle oncologie digestive de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris(1). « L’AP-HP nous a informés, par la voix de Mirelle Faugère, sa directrice générale, que l’hôpital venait d’être choisi comme « site national de référence pour la prise en charge du cancer colorectal ». Évidemment, nous étions très fiers ! », précise-t-elle. L’annonce s’accompagne cependant d’une demande de la direction générale : il faudra travailler sur plusieurs projets, dont un consacré au parcours de soins du patient… Silence dans les rangs. Alors que la file active du service d’oncologie médicale accueille quelque 700 nouveaux patients par an et que la chirurgie digestive en opère, dans le même temps, 1 200, les deux services travaillent de manière relativement étanche. Même si une part importante des patients suivis en oncologie médicale sont opérés sur place. « Nous échangions assez peu, et uniquement par téléphone. De surcroît, les services étaient situés dans des bâtiments différents. Les équipes ne se connaissaient donc pas. Bref, rien n’avait jusqu’alors favorisé un travail commun, et encore moins transversal, autour du patient », explique, de son côté, Ghislaine Thomas, cadre de santé du service de chirurgie digestive. À l’époque, seul le service d’oncologie médicale disposait d’une infirmière d’annonce dans son équipe. Cette absence formelle de coordination ne signifie cependant pas que les patients étaient livrés à eux-mêmes. Mais, comme l’admet Nadège Altazin, « c’était assez empirique et surtout, ce fonctionnement ne permettait aucune anticipation. Résultat, on agissait souvent dans la précipitation, voire dans l’urgence, avec tout le stress que cela engendre… » Dans ces conditions, l’information se perdait parfois en route, que ce soit lors de la communication entre professionnels ou lors des échanges avec les patients. Tout restait donc à inventer…

Un DVD pédagogique

Dans un premier temps, les cadres infirmiers et quelques infirmières issues des deux services décident de se rencontrer et commencent à réfléchir ensemble afin de jeter sur le papier les bases de ce qui pourrait devenir un parcours de soins coordonné. L’objectif est clair pour tout le monde : améliorer la prise en charge et la qualité des soins grâce, notamment, à la mise en place d’une équipe d’infirmières de coordination dont le rôle serait d’accompagner le patient tout au long de son parcours et plus particulièrement lors de la phase de transition entre la chirurgie et l’oncologie médicale. Surprise : cette première étape à peine enclenchée, l’AP-HP propose à l’équipe de compléter son projet par un film pédagogique sur support DVD. Ce film détaillerait point par point les étapes de la prise en charge, de l’annonce du diagnostic à celle de fin de traitement en passant par l’intervention, la consultation avec la diététicienne, celle avec l’infirmière de coordination et la cure de chimiothérapie. Il serait remis aux patients dès leur première consultation de chirurgie, en complément des différents documents qu’ils reçoivent déjà. L’idée séduit car en raison de la complexité du parcours de soins et à la diversité des intervenants médicaux et paramédicaux – près d’une quinzaine de professionnels, et parfois davantage, prennent en charge le patient durant plusieurs mois –, un support de ce type peut être un réel plus pour le patient. Au moment de l’annonce du diagnostic, celui-ci doit en effet assimiler une avalanche d’informations médicales, techniques, administratives. Problème : il n’y a pas d’infirmière de coordination (Idec), cheville ouvrière du dispositif, dans les services ! « Dès lors, il nous est apparu impossible d’envisager de participer à la réalisation de ce support sans que cela s’accompagne de la création de ces postes. Bref, à ce moment-là, nous n’étions pas très enthousiastes, car nous avions le sentiment de mettre un peu la charrue avant les bœufs », se souvient Nadège Altazin. En clair, que se passerait-il si le DVD était distribué et que les patients ne retrouvaient pas dans leur prise en charge ce qu’ils avaient vu sur leur téléviseur ? Une sorte d’angoisse saisit alors les cadres de santé et les infirmières. Et bien qu’elles ne l’évoquent qu’à demi-mot, l’idée de travailler « pour rien » les tourmente. Après négociation avec l’AP-HP, qui leur promet la création des postes d’Idec, « nous nous sommes embarquées dans l’aventure », rapportent les cadres. Le timing est serré, car il faut boucler le projet au plus tard en octobre 2012, pour un tournage en décembre. Une partie des dialogues doit même être rédigée début juillet. « Finalement, au regard des enjeux, tout le monde a joué le jeu et chacun s’est beaucoup investi dans ce projet. Nous avons été très épaulées par l’AP-HP », assure Soraya Seddik, cadre de santé du service de chirurgie, qui assure par ailleurs la voix off sur le DVD.

L’organisation des services bouleversée

Dans la foulée, un comité de pilotage associant entre autres une quinzaine de médecins et de paramédicaux, dont des infirmières, est constitué. Pendant plusieurs mois, il se réunira chaque semaine, aussi bien pour construire le parcours de soins que pour peaufiner le découpage et le scénario du futur film. « Au fur et à mesure que nous avancions, nous avons aussi, en marge, commencé à échanger sur la pratique infirmière dans nos services respectifs. Nous nous sommes par exemple aperçus que d’un service à l’autre, la pose de la chambre implantable ne se faisait pas de la même manière et que les infirmières avaient aussi une façon différente de poser les cathéters centraux. Par ailleurs, la fréquence des pansements n’était pas non plus la même. Nous avons donc décidé de lancer une réflexion pour harmoniser les pratiques », explique Nadège Altazin. Finalement, il a fallu que le comité de pilotage avance de front sur la rédaction du protocole, la définition du contenu du DVD et la conception de ses séquences. Et cela à la seconde près. Mais même à ce stade, personne ne pouvait envisager que le projet allait bouleverser l’organisation de la prise en charge des patients au sein des services. Et pourtant… « Ça a tout changé en termes d’organisation. D’autant qu’en septembre 2012, l’oncologie médicale a été intégrée au pôle digestif », remarque Nadège Altazin. Depuis, le pôle digestif, avec ses quelque 650 professionnels médicaux, paramédicaux et non médicaux ainsi qu’une unité située à l’hôpital Tenon, est le plus important site de l’Hexagone spécialisé dans la prise en charge des pathologies digestives, notamment dans le traitement du cancer colorectal. L’oncologie médicale dispose, par exemple, de 17 fauteuils en hôpital de jour et passe 27 000 poches de chimiothérapie par an, ce qui fait d’elle l’unité la plus importante de l’AP-HP. « Très vite, nous avons fait le choix de recruter des infirmières qui travaillaient déjà dans les services. Elles connaissaient donc parfaitement le terrain et la pathologie », indiquent les cadres de santé.

Depuis l’automne dernier, la chirurgie digestive compte deux Idec dans ses rangs et l’oncologie médicale, une. Elles travaillent en étroite collaboration. « Nous avons construit des outils communs que nous partageons sur notre réseau informatique interne. Désormais, nous échangeons beaucoup en direct, ce qui permet d’anticiper très en amont les difficultés et les problèmes éventuels. Par ailleurs, et c’est une première, une Idec participe à la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Elle peut ainsi, quasiment dans la foulée, préparer le plan personnalisé de soins (PPS) qui sera mis sur le réseau et donné au patient par une Idec lors de sa première consultation en oncologie médicale. C’est un planning très complet, qui détaille rendez-vous par rendez-vous le programme de la prise en charge », explique Sophie Duvillard, Idec de l’oncologie médicale.

Gain de temps et d’efficacité

« Avant, nous étions obligés d’attendre le compte-rendu de la RCP pour mettre en œuvre le PPS. Là, dès le départ, on gagne en temps et en efficacité – sans perte de qualité de l’information – et au final, en qualité de la prise en charge », constate Ghislaine Thomas. « Par ailleurs, à la fin de la prise en charge, lorsqu’on élabore le programme personnalisé de l’après-cancer (PPAS), on évalue la nécessité d’orienter les patients vers des soins de support, comme une prise en charge psychologique ou sociale. Pour certains, l’arrêt de la prise en charge à l’hôpital est délicat. Pendant des mois, une partie de leur vie s’y est déroulée, et puis plus rien… Ça crée un vide. Cependant, on ne les lâche pas dans la nature. À tout moment, ils peuvent nous contacter », indique Sophie Devillard. Du côté des patients, on semble plébisciter l’initiative. « Ceux que j’ai interrogés sont très satisfaits. Ils se disent notamment moins angoissés. J’ai le sentiment que cela « dédramatise » effectivement leur prise en charge. Beaucoup regardent le film en picorant dans le menu du DVD les informations qui les intéressent prioritairement ou qu’ils n’ont pas comprises lors de la consultation », note Valérie Lusardi, Idec en oncologie médicale. « Pour nous, le parcours de soins est un réel progrès en termes professionnels car dorénavant, nous suivons les patients de A à Z », commente Sophie Duvillard. Intégré à une évaluation des pratiques professionnelles (EPP), le support fait actuellement l’objet d’une étude dont les résultats devraient être connus très prochainement. L’équipe est d’ores et déjà consciente que la coordination entre la ville et l’hôpital doit être améliorée. « Mais pour l’instant, nous n’avons pas les forces nécessaires pour faire davantage. Le plan cancer préconise une Idec pour 250 patients. Nous avons déjà presque atteint ce ratio. À terme, il faudra songer à renforcer l’équipe », admet un cadre. En attendant, cadres de santé et Idec songent à proposer une version anglaise du DVD. Le pôle digestif ayant une réputation internationale, nombre de patients étrangers viennent en effet s’y faire soigner. D’une façon générale, les projets ne manquent pas. « Ce travail autour du parcours de soins, qui nous a obligés à nous rassembler et à nous connaître, a aussi créé de la solidarité et de l’émulation, conclut Soraya Seddik. En outre, et cela est très valorisant pour nous tous, nous avons pu rapidement voir le fruit de notre investissement. Ce n’est pas toujours le cas… »

1– Depuis notre rencontre avec l’équipe, Nadège Altazin a rejoint un CHU en Haute-Garonne.

Savoir plus

Un film a aussi été réalisé à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP), sur le parcours de soins dans la prise en charge du mélanome, un autre au CHU de Lyon dédié au cancer de la prostate. Les trois films ont été réalisés par les ateliers Koani, selon un concept standard qu’ils ont imaginé, validé par les professionnels de santé.

mg@lesatelierskoani.com

MAKING OF

Les professionnels jouent leur propre rôle

> Du secrétariat au bloc, en passant par la salle de réveil et le box de chimiothérapie de l’hôpital de jour, le tournage a été effectué sur les lieux de la prise en charge. Sur la base du volontariat, l’équipe de chirurgie et l’équipe d’oncologie médicale ont été mobilisées chacune leur tour un week-end durant, de 7 h 30 à 20 h. « Le dimanche soir, nous étions épuisées ! », se souviennent les infirmières. L’ensemble des dialogues a été écrit par les professionnels et le découpage en trois chapitres (la pathologie, le parcours, l’oncologie), qui reprend une vingtaine de moments clés du parcours de soins, a également été imaginé par le comité de pilotage en lien avec tous les professionnels médicaux et paramédicaux qui ont souhaité participer à ce projet. Du chirurgien à l’infirmière de chimiothérapie, sans oublier les secrétaires, la plupart des professionnels jouent leur propre rôle à l’écran. Seul le patient était un acteur professionnel (fort bon d’ailleurs), le rôle de son épouse étant assuré par une bénévole. À l’origine prévu pour durer 90 minutes, « Ensemble pour votre parcours de soins-Le cancer colorectal » fait un bon quart d’heure de plus « Et encore, nous avons freiné nos ardeurs : nous voulions consacrer une séquence à l’innovation thérapeutique et au pôle de chimiothérapie orale, l’hôpital étant en pointe dans ces deux domaines pour le cancer colorectal », précise Nadège Altazin. Quatre cents DVD ont été édités et les premiers exemplaires ont été distribués aux patients début 2013. Le film a été projeté au personnel du pôle en avant-première. « C’était très sympa. Mais on s’est fait pas mal chambrer pas les collègues… » Et encore, ils n’ont pas vu les répétitions. « Lors du tournage de la fin de l’intervention chirurgicale, on s’est aperçu que le patient sortait du bloc sans aucune perfusion et qu’il souriait. Bref, ce n’était pas très crédible ! », révèle Soraya Seddik. Effectivement…