FORMATION CONTINUE
L’ESSENTIEL
La recherche est bien plus familière aux infirmières qu’elles ne le pensent. En travaillant dans le soin, elles connaissent certains thèmes étudiés. En s’interrogeant sur leur pratique elles bâtissent de premiers ponts avec le questionnement en recherche clinique. Entrer à leur tour dans cette approche peut donc se faire en douceur. Mais il leur faudra s’informer, voire se former à cette démarche scientifique. Dans ce dossier, nous en énonçons dix grands principes. Dix passages obligés, suivis de façon plutôt linéaire en recherche quantitative (une approche traditionnelle des sciences médicales, nourrie de données quantifiables), et en alternance dans une recherche qualitative (emblématiquedes sciences humaines et sociales, allant généralement du particulier vers l’universel). Avec, en toile de fond, une question récurrente : la recherche envisagée est-elle souhaitable, et faisable ?
Au commencement, il y a une idée. Elle ne surgit pas du néant comme par miracle, mais germe dans l’exercice professionnel. Elle émerge d’une situation gênante, d’une interrogation non résolue, d’un besoin non satisfait, d’un désaccord avec une pratique, d’un étonnement, d’une hésitation devant un soin devenu inadéquat au regard des recommandations professionnelles. Pour les IDE, les résultats de la recherche s’avéreront donc, en général, immédiatement applicables dans leur pratique. La démarche peut toucher à la qualité de vie du patient comme à la sécurité des soins, un domaine en développement. Une infirmière qui cherche une solution à un problème dans sa pratique se fait ingénieure, et ingénieuse. Mais est-elle sûre que le procédé ainsi mis au point est meilleure que celle qu’elle a corrigée ? À l’image du philosophe Socrate, qui (se) pose ces questions : « Penses-tu vraiment avoir raison ? Et si tu te trompais ? », ne pas en rester là et vouloir dépasser sa posture de professionnelle conduit à la recherche.
Il s’agit d’abord de passer d’une anecdote, d’un cas, d’une intuition, d’une idée, à un objet scientifique. Comment ? En le nommant et en le circonscrivant, de façon simple et précise. De quoi s’agit-il ? En quoi est-il spécifique ? Comment cette question s’exprime-t-elle chaque jour, dans quelle structure (à l’hôpital, en entreprise, en libéral…), et dans quelle dimension professionnelle (en pratique clinique, en organisation des soins, en formation) ? Quels acteurs sont concernés ? Cette délimitation de l’objet se peaufinera tout au long de la recherche. Par ailleurs, l’idée est-elle « socialement vive », c’est-à-dire susceptible d’intéresser d’autres praticiens ? Pour rendre transférables dans la pratique les résultats de la recherche qui débute, il s’agira de préciser le contexte de l’objet étudié.
Entrer dans la science, cela signifie également adopter une posture distincte du positionnement de professionnelle de santé. En entrant dans la peau d’un chercheur, l’IDE réinterroge et met à distance les pratiques, surtout si l’objet étudié lui est familier. Elle met en cause et en doute valeurs, croyances, préjugés (y compris les siens). Elle conteste la pensée commune, désobéit. Enfin, elle n’initie pas une « recherche infirmière », mais une recherche tout court. La recherche en soins infirmiers se réfère, en effet, aux sciences biomédicales et/ou humaines et sociales. Elle ne se situe pas à côté de la science, elle en fait partie.
De l’infirmière chercheuse, il est donc attendu les qualités de tout scientifique : la rigueur, la précision, le souci de la vérification, le doute, l’humilité. Il faut y ajouter la persévérance, l’inventivité et de l’optimisme. Car les raisons de ne pas chercher seront toujours plus nombreuses que les motifs de se lancer. Un moyen d’amorcer une dynamique peut être de s’initier par des recherches simples.
Personne n’est fait ou non pour la recherche : ce qui compte, c’est l’envie. La conduite d’une recherche doit procurer du plaisir. Peu importent les fondements. Est-ce le sentiment du devoir, un vœu altruiste de faire progresser la science, la quête de pouvoir ou de reconnaissance par ses pairs ? S’agit-il de curiosité intellectuelle, d’une passion ? L’envie de sortir de la routine, de donner du sens à son travail ? Cette introspection aidera à mieux supporter deux difficultés : la question lancinante posée aux chercheurs dans leur travail, « vous en êtes où ? » ; et le temps personnel investi. Cerner ses intentions contribuera aussi à déterminer les méthodes choisies, les moyens de parvenir à ses objectifs, les éventuelles formations à suivre, l’incidence de la démarche sur son parcours professionnel. Enfin, cela permettra d’emporter – peut-être – plus facilement l’adhésion de ses supérieurs et de ses collègues, et donc d’accroître les possibilités de réalisation de son projet.
Dès le débroussaillage du sujet, mais également tout au long de la recherche, un aller-retour exhaustif s’impose entre sa réflexion et les savoirs existants. La littérature peut être scientifique, académique, grise (en dehors des circuits commerciaux), professionnelle… Livres, revues, thèses, articles (et leurs bibliographies), protocoles, recommandations, sites Internet de sociétés savantes sont les sources d’informations. Certaines bases de données restent, pour le novice, peu accessibles. Mais le problème est moins l’accès aux informations que leur lecture, leur recoupement, leur tri. Ainsi, le performant site PubMed est-il libre d’accès. Les bibliothèques d’université et les centres de documentation d’Ifsi ou de CHU constituent des lieux stratégiques. Aux savoirs écrits, il convient d’ajouter les connaissances professionnelles, en se rendant dans un service pour les évaluer et repérer d’éventuelles études non recensées. Les associations de patients peuvent également être consultées. La recherche met en lien les savoirs théoriques et expérienciels : elle est un moyen de penser la pratique.
Cette recension des savoirs tisse une toile d’araignée de connaissances dans lequel piéger son objet. Et réorienter sa démarche si certains aspects ont déjà été évoqués. L’objectif est bien de partir de la dernière marche de l’escalier des connaissances pour en bâtir une autre, pas forcément grande, mais nouvelle. Un état de l’art précis est obligatoire pour toute recherche, a fortiori financée ou publiée. Dans la suite du processus, cette recension offre l’opportunité de s’initier aux méthodes de recherche, de s’en inspirer, de les comparer (et d’être moins dépendant des méthodologistes…). En repérant les critiques et les contradictions entre les textes, le chercheur s’engouffre dans des zones non encore approfondies. En mettant les concepts en réseau, il repère ou bâtit un cadre théorique, un système de références. Enfin, il contacte des spécialistes du sujet, qui sont d’éventuels futurs partenaires.
Au cœur de la recherche, une seule personne, l’investigateur principal, le porteur du projet. Mais le travail est à la fois personnel et collectif. La règle ? Commencer son projet avec ceux qui le souhaitent, les autres (les plus sceptiques, les plus durs à convaincre) suivront.
Dans l’équipe soignante elle-même, un petit « commando » de recherche peut se former. La cadre de santé dégage du temps dans le planning. Trouver des créneaux est la première des difficultés administratives. Il faut aussi bien calculer à l’avance le personnel nécessaire et répartir le travail, afin de ne pas se retrouver rapidement débordé, obligé de conduire toute la recherche chez soi, chaque week-end. Il n’est pas interdit non plus de demander un soutien aux médecins, voire de proposer à l’un d’eux un poste de co-investigateur. Ce partenariat garantit le caractère pluriprofessionnel ou pluridisciplinaire de la recherche et facilite l’acceptation du projet para– médical par les médecins. Seule limite : veiller à ce que le projet ne devienne pas trop « médical ».
À quelles autres portes frapper ? La réponse varie selon les établissements. Des centres hospitaliers ont une cellule d’aide à la méthodologie, mais ils passent quasi systématiquement par un CHU pour valider leur projet et gérer les fonds. Les CHU comptent une direction vouée à la recherche et à l’innovation. Ingénieurs de recherche, biostatisticiens, méthodologistes, infirmière de recherche clinique… : plusieurs fonctions accompagnent les porteurs de projet. De façon plus informelle, pourquoi ne pas solliciter un « coach », un collègue qui a déjà réfléchi à une problématique proche, un expert du milieu clinique, un pair… ? Un expert référent douleur peut aussi être de bon conseil, comme le Conseil national de recherche sur la douleur, à Paris.
En dehors de l’établissement, justement, il est possible de solliciter les experts du domaine, une infirmière docteur ou doctorante du réseau RésIDoc de l’Arsi (voir Savoir plus P. 44), les Maisons des sciences de l’homme (voir www.msh-reseau.fr) ou l’association Sciences humaines et santé. Un contact, à l’extérieur, avec des chercheurs en sciences humaines peut être nécessaire pour les approches qualitatives, moins développées à l’hôpital que le quantitatif. Les documentalistes peuvent aussi aider à mieux cerner un objet de recherche, en déterminant des mots clés.
En fonction de l’évaluation de son niveau de compétences, conseillée en début de recherche, le porteur de projet fait appel à tel ou tel expert, surtout pour réaliser l’état des savoirs et la méthodologie. Se faire aider en pleine effervescence intellectuelle évite de se perdre dans ses interrogations. Grâce à la collaboration, les questions se resserrent, les points de vue se croisent, les perspectives se multiplient. Un bio-statisticien, par exemple, peut demander une étude pilote pour étudier le nombre de personnes à inclure, en fonction des critères de jugement. En fait, une infirmière ne sait pas tout faire, et le temps lui manque : les collaborations sont nécessaires. Dans quel ordre ? À elle de le décider. Il sera judicieux de rencontrer d’abord un pair paramédical, par exemple, pour mieux connaître la marche à suivre.
Parmi les autres avantages de la coopération : la possibilité d’associer des professionnels de différentes disciplines – un critère d’ailleurs prioritaire dans le Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) 2012 ; le fait de favoriser le transfert des résultats dans la pratique ; la communication des nouveautés réglementaires, des dates de colloques…; la possibilité de se partager les inclusions d’une étude.
Au cours de la recherche, une question s’affine et devient systématique, rigoureuse. Là encore, il ne s’agit pas d’une révélation, mais du résultat de la réflexion. À cette question de recherche s’associe toujours, dans une démarche quantitative, une hypothèse. Il s’agit de la réponse attendue ou espérée, d’une supposition liée aux réflexions théoriques et à la revue de la littérature. L’expérimentation confirmera, ou non, cette hypothèse. Dans une démarche quantitative, il existe bien une question, mais pas nécessairement une hypothèse, ou alors une hypothèse de travail. Dans ce cas, la recherche naît souvent d’une insatisfaction par rapport à la littérature, et le chercheur va récolter des données, par exemple sur le vécu des personnes. Il va alors « remonter » l’hypothèse, voire le cadre théorique, ultérieurement, au fur et à mesure du recueil de données. Cette formulation d’une question et, éventuellement, d’une hypothèse est, en tout cas, l’une des premières décisions de la démarche. Le cheminement, rationnel, qui va de la question à l’hypothèse, s’apparente au choix d’un angle d’attaque sur le phénomène étudié – c’est la problématique. À noter qu’il est possible de présenter une recherche qualitative dans le PHRIP, même si l’hypothèse y est obligatoire.
Nul besoin d’être un as en méthodologie pour se poser les bonnes questions. Mais la réflexion sur la méthode arrive rapidement. La méthodologie est l’assurance que la production de savoir est valide : pas de résultat acceptable sans méthode.
Il existe plusieurs méthodes de recherche, plus ou moins compliquées, et diverses façons de les présenter. On peut, ainsi, les classer à l’aune de leur fonction. Dans une recherche à fonction descriptive, il existe des méthodes quantitatives (procédant par descriptions ou comparaisons) ou qualitatives (des études de cas ou des ethnographies, avec, pour outils, des entretiens ou des observations destinés à comprendre un phénomène ou un système culturel en interrogeant ceux qui le vivent). Dans un travail à visée explicative, le chercheur peut adopter une méthode de type quantitatif, corrélationnelle en l’occurrence, pour mettre des éléments en rapport. À un degré avancé de généralisation, avec un nombre de cas étudiés plus important encore, les recherches peuvent avoir une fonction de prédiction ou de contrôle. La méthode, alors de nature quantitative, est d’intention expérimentale : il s’agit d’évaluer les conséquences d’une intervention dans un processus. Dans une méthode qualitative, en revanche, le but ne peut pas être de généraliser les résultats à toute la population.
En réalité, chaque approche peut avoir ses limites. Aujourd’hui, il est encore difficile de faire reconnaître les recherches qualitatives. Comme si l’absence de statistiques ôtait toute légitimité à un projet. Or, ce qui compte, c’est la rigueur et la précaution : en recherche qualitative, il faut, notamment, ne pas surinterpréter les données. Les méthodes quantitatives, à l’inverse, ne sont pas toujours efficaces. L’essai contrôle randomisé (par échantillonnage aléatoire), notamment, ne fonctionne pas pour une recherche en gestion des risques, puisqu’il s’agit d’événements rares. Une solution est le recours à une approche mixte, avec une dominante qualitative et un recours, pour conforter les résultats, à des outils d’ordre qualitatif – ou inversement. Par exemple, sur la connaissance des risques, l’épidémiologie et les biostatistiques sont tout aussi utiles que les sciences humaines.
Inutile d’apprendre toutes les méthodes de recherche : il suffit de connaître les plus adaptées à son étude. La revue de la littérature et l’aide d’un méthodologiste le montrent. Pour sélectionner une méthode, le chercheur prend en considération l’objet étudié, les objectifs par rapport à sa question (décrire un phénomène jamais exploré jusque-là, le mesurer, l’expliquer, le comprendre, contrôler ou prédire ?), les outils envisagés (travailler sur des dossiers, à partir d’entretiens, d’observations ?), les critères d’inclusion et d’exclusion des patients (pour éviter certains biais), les éléments variables (qui permettront d’affiner l’interprétation des résultats) ou les situations observées, les critères de jugement (les indicateurs par rapport auxquels les résultats seront évalués), les préférences du chercheur pour tel ou tel mode de raisonnement. Sans oublier la faisabilité de l’étude – une question parfois minorée. La méthode s’intègre de façon cohérente dans le processus de recherche dont elle découle et sur lequel elle peut avoir des incidences. Elle est pertinente par rapport aux objectifs – des projets de PHRIP ont été refusés pour ce motif. Son choix, ses intérêts et ses limites sont énoncés clairement, de même que ses possibles références et la façon dont elle a éventuellement été adaptée.
Dès le départ, le chercheur peut prendre pour guides des documents tels que la grille du PHRIP ou un document adapté de la recherche clinique médicale, avec une vue synthétique des étapes. L’important, c’est que l’équipe soit au travail, que le projet chemine et qu’il soit finalement cohérent et bien ficelé. Au moment de mettre un point final à sa rédaction (qui a quasiment commencé avec le projet…), se dépêcher n’a pas de sens. D’autant que le PHRIP est reconduit chaque année.
Parmi les principales indications et argumentations à fournir, la question de recherche et l’éventuelle hypothèse ; les faits sur lesquels investiguer ; les populations concernées (et notamment, en recherche quantitative, la taille de l’échantillon, souvent calculée avec un bio-statiticien) ; les terrains d’accueil et les conditions de recherche ; la méthode et les techniques de recueil des données ; le dispositif expérimental supposé (et son test avant expérimentation) ; la période prévue pour le recueil des données. À quel cadre épistémologique (de production des connaissances scientifiques) se réfère-t-on ? Quel niveau de généralisation et de transférabilité auront les résultats escomptés ? Il faut aussi rédiger, entre autres, le budget (lire encadré p. 40) et le protocole de recherche. S’agissant de la feuille de route : procède-t-on à un essai avec un groupe « avec » et un groupe « sans » (pour comparer) ? ; étudie-t-on les mêmes patients, mais à plusieurs reprises ? ; procède-t-on à une étude rétrospective de dossiers… ? Dans le cadre du PHRIP, une lettre d’intention – sorte de résumé du protocole – doit désormais être envoyée avant l’intégralité du projet.
Reste alors à déposer le projet auprès de possibles financeurs. Pour maximiser ses chances, la stratégie n’est pas proscrite. Exemple : réaliser une étude pilote, financée par une société savante, en vue d’enrichir son projet, et soumettre ensuite celui-ci au PHRIP pour lancer un essai clinique randomisé, au coût plus élevé.
Une fois un financement accordé, il reste une étape avant l’inclusion du premier cas. Car une recherche sur la personne humaine n’est pas anodine, ni sur le plan réglementaire ni sur le plan éthique– aspect d’ailleurs aussi déterminant dans l’obtention d’un PHRIP que le choix de la méthode. Une réflexion sur les bénéfices attendus par rapport aux risques encourus est capitale. Il est obligatoire de préserver l’anonymat des personnes, d’assurer la confidentialité des données et, souvent, de détruire les enregistrements après l’étude. Il faut déclarer la démarche aux autorités compétentes (telle la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ou encore le registre international d’essais cliniques Clinical Trials, le cas échéant) et obtenir les autorisations adéquates : l’accord de ses collègues (s’ils sont enregistrés par vidéo par exemple), des directions des soins et de l’hôpital, ainsi que le consentement explicite des patients eux-mêmes. S’il est de type quantitatif, le projet de recherche est aussi soumis à un comité de protection des personnes (étape qui pourrait également concerner, à l’avenir, les études qualitatives), ainsi qu’au Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé. Le chercheur a déjà mené une réflexion éthique en amont, bien sûr. À ce stade, les instances ne refusent pas les projets, mais peuvent demander des ajustements, sur la façon de présenter les données, d’informer les patients…
Les autorisations sont obtenues, le personnel et les patients informés de l’étude. En recherche quantitative, il ne reste plus qu’à inclure. Le dispositif est calé, le nombre de patients d’un essai clinique déjà fixé et le cadre théorique bien élaboré, ou plus restreint qu’en méthode qualitative.
Dans cette dernière, en revanche, le chercheur peut poursuivre ses entretiens jusqu’à une impression de « saturation » de la question. Par ailleurs, il alterne les phases de recueil et d’analyse des données. Plus encore qu’en recherche quantitative, alimenter un journal d’enquête peut lui servir pour noter ses impressions, ses doutes… En approche mixte, enfin, le déroulement de la collecte dépend de la construction du projet : le qualitatif vient-il renforcer le quantitatif, ou est-ce l’inverse ?
Cependant, des obstacles peuvent survenir dans la phase empirique, même si elle a été anticipée. Comme un retard sur la courbe programmée des inclusions ; le manque d’habitude des professionnels pour relever certaines données ; la difficulté à évaluer des critères. Dans le suivi de l’avancement du projet, des réajustements s’imposent parfois, à l’instar d’un contrôle a posteriori des données récoltées. Mais, pas question de se décourager face aux délais rallongés, aux enjeux complexes ou aux difficultés administratives : la pratique quotidienne de l’infirmière peut l’aider dans sa posture de chercheuse.
Sauf en cas d’analyse intermédiaire (imaginons une molécule qui montre une telle efficacité qu’il faut en faire profiter immédiatement tous les patients), les données sont traitées au terme de leur recueil. Après traitement et exploitation, il s’agit d’analyser et d’interpréter les résultats obtenus. Expliquent-ils la réalité ? Répondent-ils à la question ? Confirment-ils l’éventuelle hypothèse ? La méthode a-t-elle montré son efficacité ? Comment se situent-ils par rapport à l’état des savoirs ? C’est le moment de la stimulante discussion des résultats, où le chercheur doit accepter d’être critiqué, et s’autoriser à critiquer, y compris son propre travail.
La diffusion d’une recherche passe par la réalisation d’un poster, une communication en colloque, un éventuel dépôt de brevet ou encore une publication. Une étude non publiée n’existe pas. La publication est un gage de la transparence de la recherche : la communauté scientifique peut en valider les résultats, les critiquer, les affiner. Même des résultats ne confirmant pas une hypothèse sont instructifs, leur publication épargnant des efforts à d’autres chercheurs. Il faut mettre en doute ses propres travaux, évoquer leurs limites. Et, tout aussi explicitement, justifier dans ses écrits (destinés ou non à une publication) chaque décision prise au cours du projet, chaque méthode retenue. Le lecteur n’est pas censé croire le chercheur sur parole.
Pour faciliter la transférabilité des connaissances en clinique, il faut adopter un langage compréhensible et promouvoir des « traducteurs », qui diffuseront les résultats dans le monde du soin. Là encore, le travail d’écriture est le plus souvent assuré par une seule personne, mais reste collectif, avec des circuits de lecture et des commentaires laissés par les autres professionnels. Question fatidique : où soumettre son travail pour publication ? Dans l’une des 80 à 90 revues scientifiques de nursing ? Dans une revue d’une autre discipline ? Généraliste ou spécialisée ? Et pourquoi pas ici, dans cette rubrique de formation continue ? Dans une revue indexée dont la notoriété est garantie par son « facteur d’impact » (donc plutôt en anglais) ou par ses citations sur les sites Google Scholar ou PubMed ? Ces questions ont des incidences pour le chercheur et pour son établissement, dont l’activité de recherche est aussi mesurée à l’aune des publications de ses praticiens.
Une recherche en appelle une autre : dans un travail se dessinent d’autres questions. De réflexions en études, l’infirmière pourra progressivement être reconnue comme experte, multiplier les partenariats. Et ces conseils qu’elle allait, hier encore, novice de la recherche, demander auprès des chercheurs expérimentés, ce sera, elle, bientôt, qui les prodiguera.
pour leur partage d’expérience, à Pascale Beloni, cadre supérieure de santé en mission transversale « recherche paramédicale », CHU de Limoges ; Christophe Debout, directeur du département des sciences infirmières et paramédicales à l’EHESP ; Charles Lamy, infirmier puériculteur, CHU de Limoges ; Didier Lecordier, infirmier cadre de santé, rédacteur en chef de la revue Recherche en soins infirmiers, chercheur ; Gilles Ménagé, cadre de santé, coordinateur de la recherche en soins dans un centre hospitalier, membre de notre comité de rédaction.
L’idéal est de détacher un professionnel sur la recherche, mais, en attendant, le temps investi jusqu’à la finalisation du protocole n’est pas rémunéré, qu’un financement soit, au bout du compte, accordé ou non. Globalement, le temps de travail des différents professionnels impliqués constitue par la suite la plus grosse part du budget. La moitié des 81 000 € du Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) sur l’évaluation des effets de la rééducation par la console vidéo Wii sur la cinétique du membre supérieur hémiparétique chronique est, ainsi, destinée au financement d’un kinésithérapeute à mi-temps, plus 10 000 € pour un statisticien… En 2010 et 2011, le taux de sélection des dossiers au PHRIP s’est élevé à 18 %. Se voir refuser un projet peut donc arriver. Ce qui conduit à réduire la voilure, à adapter la forme de la recherche. Cela n’empêche pas toujours une publication à la fin du processus. L’autre enseignement de cette statistique, c’est qu’il ne faut pas compter sur le seul PHRIP. D’autres sources de financement existent : des établissements hospitaliers qui impulsent une politique avec, par exemple, des appels à projets internes, des associations de malades, des fondations privées ou la Fondation de France, des sociétés savantes (en cardiologie ou en réanimation), des collectivités territoriales (régions)… Assurer une veille sur les possibles financements est un travail à temps plein. Il est souvent l’œuvre d’attachés de recherche clinique ou d’ingénieurs d’étude. L’infirmière porteuse d’un projet de recherche demandera aussi de l’aide dans son établissement pour réaliser un budget réaliste, évaluant bien les quantités de travail, et précis, avec un échéancier prévisionnel indiquant les grandes étapes sur plusieurs années. L’établissement le validera à l’étape ultime. Une fois un éventuel financement obtenu, il en assurera aussi la gestion. Non sans certaines péripéties. Comme dans ce budget de recherche dans lequel un temps de communication était mentionné : quand le porteur du projet a demandé de l’argent à sa direction pour se rendre à une conférence, il s’est entendu répondre qu’il n’y en avait pas…
→ La question de la littérature en anglais suscite nombre d’inquiétudes. Souvent infondées : les recherches quantitatives utilisent des mots et des expressions récurrents, et l’anglais s’y avère rudimentaire. Dans les articles en recherche qualitative, le vocabulaire est plus relevé.
La difficulté, en fait, se présente surtout en fin de projet, quand il s’agit d’écrire en langue anglaise.
→ Des diplômes universitaires intègrent des cours dans cette langue. Par ailleurs, les IDE peuvent, comme à d’autres moments de la recherche, se faire épauler.