L'infirmière Magazine n° 324 du 01/06/2013

 

PRÉMATURÉS ET PARENTALITÉ

RÉFLEXION

La construction du lien parents-enfant se trouve fragilisée en cas de naissance prématurée. Qu’attendent les parents de la part des équipes ? Des soignantes de plusieurs hôpitaux ont mené une recherche sur le sujet. Le point avec Sonia Guillaume, puéricultrice à l’hôpital Robert-Debré.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment cette étude sur le lien précoce parents-enfants prématurés est-elle née ?

SONIA GUILLAUME : La Fondation PremUp travaillait déjà avec les médecins de néonatologie des hôpitaux Robert-Debré, Cochin Port-Royal et de Créteil, et elle désirait soutenir la recherche infirmière. Nous nous sommes réunies, entre soignantes des trois services, et dès notre première réunion, fin 2008, le thème du lien parents-enfants s’est imposé. Certainement parce que, en néonatologie, l’accompagnement à la parentalité est tout à la fois une évidence et un challenge, au sens où il ne suffit pas de le décréter, de le protocoliser pour le mettre en œuvre. C’est avant tout une question de savoir-être soignant, tant la prématurité fragilise la parentalité. L’arrivée prématurée d’un enfant est, en effet, un traumatisme dans la vie des parents, car ils se retrouvent avec un enfant qui ne devrait pas encore être là, avec tout ce que cela implique en termes de risques, d’incertitude, de questions de vie et de mort. Il y a une succession de deuils à vivre : celui d’une grossesse sereine, celui de l’enfant rêvé, qui doit laisser place à un bébé de petit poids, intubé, ventilé, entouré de machines. Difficile, dans ces conditions, de se projeter dans l’avenir, et de se sentir pleinement parent. Au point que certains craignent même les visites dans le service, de peur de s’investir auprès d’un enfant qui risque de mourir, ou parce que l’univers hypermédicalisé de la néonatologie les déstabilise.

L’I. M. : Comment avez-vous travaillé ?

S. G. : Entendu comme un savoir-être, l’accompagnement à la parentalité implique de savoir entendre les attentes des parents. D’où l’objet de notre étude : mieux cerner la façon dont ils vivent l’arrivée de leur enfant prématuré, afin de mieux appréhender les facteurs permettant d’aider à la construction du lien parent-enfant. Et ce, en ciblant plus spécifiquement le lien précoce, raison pour laquelle nous avons choisi d’inclure dans l’étude des parents – 30 pères et 30 mères – d’enfants prématurés de moins de 32 semaines et âgés de seulement 15 à 30 jours. Pères et mères ont été interrogés, séparément, par une psychologue indépendante, à partir d’un questionnaire que nous, soignantes, avions élaboré. Puis, nous en avons fait la synthèse, en groupe de travail.

L’I. M. : Quels en ont été les principaux enseignements ?

S. G. : Elle nous a montré que les parents d’enfants prématurés avaient des attentes précises tout en étant très dépendants des équipes soignantes. Cela nous a d’ailleurs étonnés : les trois services dans lesquels l’enquête a eu lieu étant organisés différemment, nous nous attendions à des réponses variées, mais non, elles ont été presque identiques dans les trois établissements. Ce qui est ressorti, c’est l’importance de l’attitude, du savoir-être des soignantes à leur égard, comme fil majeur de la possibilité de tisser un lien avec leur enfant. L’écoute, la bienveillance, la mise en confiance sont des mots qui sont souvent revenus.

Autre point important : l’importance d’avoir des informations claires et audibles sur l’état de santé de leur enfant. Et ce, de façon cohérente et régulière. Cela semble évident, mais l’étude nous a montré combien les malentendus, générant de d’anxiété, pouvaient vite s’installer. Exemple tout simple : nous avons découvert que certains parents, lorsque nous changions leur enfant de chambre et que le numéro de cette dernière était plus élevé que celui de la chambre précédente, vivaient cela comme le signe de l’aggravation de l’état de santé de leur bébé. Autre exemple : de nombreuses mères ont expliqué qu’arriver devant la chambre de leur enfant et y découvrir des soignants affairés leur faisait immédiatement craindre que celui-ci soit mort… Autant d’éléments qui ont démontré combien il était important d’anticiper, d’expliquer en amont les gestes et les décisions aux parents, pour éviter un stress supplémentaire.

L’I. M. : Ces résultats ont-ils induit des changements dans les services ?

S. G. : Il est encore un peu tôt pour faire le point, mais une chose est sûre, cette étude nous a donné des arguments forts pour faire bouger les choses. Et ce n’est pas rien, car le savoir-être à l’égard des parents est avant tout une question de mentalité. Or, si, depuis quelques années, les choses ont beaucoup changé, les réticences existent encore – en premier lieu, il faut apprendre à accepter le regard des parents. Et le « Oh, celle-là, elle ne fait pas son boulot, elle passe son temps à discuter avec les parents » parfois entendu à mes débuts peut encore exister ici et là. Mais la prise en compte du ressenti des parents a évolué. Que ce soit sur des demandes récurrentes type possibilité de présence dans le service 24 heures sur 24 pour les pères et mères – qui a toujours existé à Robert-Debré, mais qui a été instaurée à Port-Royal dans la foulée de l’étude – et parce que le service s’est engagé dans une démarche Nidcap(1). Ou sur des demandes plus « fines », notamment en matière d’informations. Exemple : alors qu’auparavant, lorsqu’une maman appelait pour avoir des nouvelles de son bébé et que la soignante qui s’en occupait n’était pas disponible, on lui demandait de rappeler un peu plus tard ; désormais, on se déplace pour pouvoir lui donner rapidement des nouvelles de l’enfant, ce qui apaise considérablement les angoisses. Autre progrès : une plus grande attention portée par tous au premier accueil, qui ne se fait pas en un jour. Car, comme nous l’ont bien dit les mères dans cette étude, à leur arrivée dans le service, elles sont dans un état de sidération tel que l’information n’est pas intégrée tout de suite. Ce n’est pas qu’elles ne comprennent rien, ou qu’elles nous testent, comme certains le croient, mais plutôt que la sidération les rend, « amnésiques ». D’où un travail, en équipe, sur la redite impérative des informations, et sur l’importance des mots employés.

L’I. M. : Les pères et mères d’enfants prématurés ont des réactions et des attentes différentes ?

S. G. : Effectivement. Et nous avons un effort à faire en la matière. Car beaucoup de pères l’ont dit : ils ont le sentiment que, souvent, les soignantes s’adressent uniquement à la mère, que nous leur donnons plus d’informations, que nous sommes davantage dans l’empathie avec les mamans qu’avec eux. Résultat : ils se sentent parfois exclus, ce qui fragilise la construction du lien avec leur enfant. Ce ressenti a été largement discuté en équipe. Il nous faut être plus attentifs à ces papas. Cela passe par de « petites » choses cruciales : leur demander comment ils vont, mieux les inclure dans la participation aux soins, leur expliquer le rôle des machines qui entourent l’enfant… Ils nous l’affirment : comprendre l’environnement technique les rassure et entraîne une meilleure présence aux côtés de leur bébé. Ils en ont besoin, peut-être plus que les mères.

L’I. M. : Vous évoquez l’accompagnement à la parentalité comme un savoir-être. Comment les soignantes peuvent-elles l’appréhender ?

S. G. : Cela se pense en termes de formation. Parce que, tout d’abord, le savoir-être impose d’être à l’aise avec le savoir-faire. Or, en Ifsi, la formation aux spécificités de la pédiatrie manque. Et ce alors que nos équipes sont constituées tout autant de jeunes diplômées d’Ifsi que de puéricultrices. D’où l’importance de la formation en interne. À Robert-Debré, nous sommes ainsi trois référentes pour accompagner et former toutes les nouvelles infirmières à leur arrivée dans le service – et l’ensemble de l’équipe les accompagne durant cinq semaines. Cela se pense aussi via la création d’outils développés en équipe. Un groupe de soignantes du service vient de créer un « livret de vie », répertoriant tout ce que vit l’enfant. Le premier bain, le premier peau-à-peau, la pose d’un cathéter…, tout y est noté. Et les parents sont invités à y écrire. C’est un outil précieux pour les aider à inscrire leur enfant dans l’histoire familiale. Un autre groupe, dédié à l’oralité, a pour projet de travailler sur la mise au sein non nutritive : s’il n’est pas possible d’allaiter son bébé dans les premiers temps, cela stimule la montée de lait. En outre, le contact physique est essentiel pour créer un lien. L’enfant, même grand prématuré, reconnaît ses parents. Il réagit à la voix de sa mère, éprouve le manque… Travailler sur ses sens, ceux de ses parents, est un biais majeur pour nourrir les interactions. Une entrée en contact que nous devons guider, pas à pas, car elle se fait, pour chaque mère, pour chaque père, à un rythme unique.

1– Neonatal individualized developmental care and assessment program. Lire le reportage « Nidcap, ou le suivi entouré », paru dans L’Infirmière Magazine n° 273, 15 février 2011.

SONIA GUILLAUME

INFIRMIERE PUÉRICULTRICE,

→ Depuis 1992, elle travaille dans le service de réanimation néonatale et pédiatrie néonatale de l’hôpital Robert-Debré (AP-HP).

→ Fin 2008, sous l’égide de la Fondation PremUp, elle s’engage, avec des collègues de l’hôpital Cochin Port-Royal et du CHIC de Créteil, dans un projet de recherche infirmière sur le lien précoce parents-enfants prématurés. Les résultats de l’étude ont été présentés en mars dernier.

→ Depuis décembre 2011, elle est chargée de formation, et notamment de l’encadrement des nouveaux soignants du service.

POUR ALLER PLUS LOIN

→ Les résultats de l’étude, publiés en février dernier dans la revue BMC Pediatrics : www.biomed-central.com/1471-2431/13/18.

→ Le site de la Fondation PremUp : www.-premup.org

→ Le site de l’association SosPréma : www.-sosprema.com