SUR LE TERRAIN
RENCONTRE AVEC
À la fois passionnée par les soins infirmiers et par la philosophie, mue par un besoin d’accumuler des connaissances pour mieux les partager, Bénédicte Lombart prépare une thèse de philosophie d’éthique hospitalière. Les infirmières se lançant dans ce type d’aventure restent rares.
Un bon petit plat mijote, embaumant la pièce. Ce soir, Bénédicte Lombard reçoit quelques amis. Dans le salon, Aristote a pris place sur le canapé. Mais, ici, ce n’est pas un chat… Il s’agit de l’un des textes du philosophe, que cette lectrice assidue a dû laisser en souffrance le temps de notre rencontre. La philo, Bénédicte Lombart y est plongée jusqu’au cou depuis quelques années. À 18 ans, après avoir passé un bac L, elle projette de devenir journaliste, puis, « entre des études trop longues et la trouille de l’échec », se ravise. Elle sera infirmière. Sa mère se désole : « Tu vas faire ce métier si difficile ? C’est affreux. » Elle sait de quoi elle parle : ce métier, elle le connaît bien, en tant que patiente. « En nous mettant au monde, ma sœur et moi, notre mère a fait un AVC. Je crois qu’elle me rêvait avocate, car la place du soignant était déjà occupée par mon frère, devenu médecin… Je pense aujourd’hui que mon choix de devenir infirmière entre en résonance avec le début de mon histoire, où le soin était très présent », confie Bénédicte Lombart. Sitôt son diplôme en poche, à 21 ans à peine, elle quitte Lille et gagne Paris. C’est le début d’un parcours infirmier des plus riches, mais aussi des plus singuliers.
« Comme je recherchais un poste, je suis allée au Salon infirmier. J’y ai rencontré des collègues de pédiatrie qui m’ont parlé de leur travail, et je me suis dit : “pourquoi pas” » Dans la foulée, la jeune diplômée visite le service d’onco-hématologie pédiatrique de l’hôpital Trousseau. « D’emblée, se souvient-elle, j’ai eu envie de travailler là. » Souhait exaucé. La prise de poste s’effectue sur douze heures. « En fait, on en faisait quatorze. J’ai cru mourir, c’était dur et très technique, mais j’étais portée par je ne sais quoi. La première année, mon principal objectif était de ne pas tuer d’enfant. La nuit, je rêvais que je me trompais de chimiothérapie… » Rapidement, la jeune professionnelle s’aperçoit qu’il est extrêmement difficile d’accompagner des parents et des enfants atteints d’une maladie grave. Elle a du mal à trouver la bonne distance. En un mot, sa place. La nécessité de compléter sa formation devient pour elle une évidence. « Je me souviens d’une patiente de 16 ans dont j’étais très proche car nous avions peu de différence d’âge. Peu de temps avant sa mort, elle m’a confié qu’elle avait très peur de mourir. Je m’entends encore lui répondre : “mais non, n’aie pas peur. Tu ne vas pas mourir.” A posteriori, j’ai pensé que ma réaction était inappropriée. Cette jeune fille avait besoin d’une seule chose, être entendue et accompagnée. » L’infirmière prend alors la décision « de faire autrement et de tenter de trouver [sa] juste place », afin de donner du sens à son engagement. Dès lors, elle va enchaîner les formations, suivant en premier lieu celle de conseillère en santé (enrichissement des soins), sur deux ans. Outre la relation d’aide, l’accompagnement de patients atteints d’une maladie grave et la fin de vie, elle approfondit ses connaissances dans le domaine des méthodes psychocorporelles. Un champ qu’elle a commencé à explorer avec la sophrologie. Un nouveau déclic se produit. Sa formation n’est pas encore achevée qu’elle en entreprend une nouvelle : formatrice de gestion du stress. « Je me suis incrustée, car elle était destinée aux kinésithérapeutes. » L’AP-HP recherche, à l’époque, ce type de profil pour former son personnel. L’infirmière acquiert là « de bonnes bases pour faire de la sophrologie et de la relaxation avec les enfants accueillis en hématologie ». Cette démarche « d’apprendre pour appliquer et partager » sera une constante dans son parcours. D’ailleurs, elle va décrire dans son mémoire la façon dont elle travaille désormais avec les enfants, en utilisant des outils psychocorporels. Ses collègues l’encouragent à présenter son travail au congrès Eurocancer
Bénédicte Lombart est détachée des soins une journée par semaine pour superviser la prise en charge de la douleur. Elle s’impose peu à peu comme référente douleur dans le service, puis obtient quelques heures de sophrologie pour s’occuper d’enfants. Elle conduit alors, de manière empirique, une « petite étude ». Passionnée par les soins infirmiers, elle vise l’école des cadres de santé. « Pas pour faire du management, mais pour partager une expertise du soin. » Surtout, l’infirmière a une idée derrière la tête : devenir cadre transversal douleur. Mais, au sortir de l’école, point de poste de ce type à l’horizon. Elle devient cadre « normale » en chirurgie pédiatrique. Au bout de dix-huit mois, l’occasion se présentant, elle part. Entretemps, elle a suivi une formation d’initiation à la recherche… Elle obtient un poste de cadre transversal douleur dans l’unité fonctionnelle d’analgésie pédiatrique de l’hôpital Trousseau. « Je faisais ce que j’avais toujours voulu faire, tout en continuant la clinique. Bref, c’était le paradis », lance l’infirmière, qui intègre également l’association Pédiadol
Quelques années plus tard, avec trois médecins, elle crée un DU de prise en charge de la douleur chez l’enfant en pratique quotidienne. Elle participe à plusieurs études cliniques, dont une sur la contention lors des soins – les résultats seront prochainement publiés dans le British Medical Journal. Depuis plusieurs années, elle collabore également avec le Centre national de ressources de lutte contre la douleur. En 2010, elle renoue avec ses premières amours et prépare un master de philosophie pratique et d’éthique hospitalière. « J’ai été confrontée à des situations qui m’ont profondément bouleversée, humainement et éthiquement », explique-t-elle. Ce parcours l’amène à vouloir frapper à la porte des philosophes « pour comprendre les choses ». Son mémoire s’intitulera : « De l’usage de l’argumentaire pour améliorer l’analgésie pédiatrique, ou de la rhétorique à la philosophie de soins ».
Ensuite, tout va sur les chapeaux de roue, comme souvent avec Bénédicte Lombart. À peine s’est-elle plongée dans la rédaction de son mémoire que sa cadre supérieure lui propose de postuler pour une thèse. Pendant des mois, l’infirmière cravache pour décrocher son admission. Et l’obtient. En octobre dernier, elle endosse le rôle de thésarde à l’Institut Hannah-Arendt de l’université Paris-Est, dirigé par Éric Fiat, qui est aussi son directeur de thèse. « Le plus compliqué a été de ne plus aller à l’hôpital. J’étais déboussolée », avoue-t-elle. Une partie de son travail s’appuie sur une recherche qualitative qu’elle vient d’entamer. Le but de ce nouvel engagement : mettre en place des staffs infirmiers qui utiliseraient la démarche philosophique. Mais nous n’en saurons pas davantage pour l’instant… Qu’envisage-t-elle à terme, une fois son doctorat obtenu ? « L’idéal serait que j’aie une fonction hospitalo-universitaire. C’est d’ailleurs vers ces postes que les infirmières qui ont un doctorat en relation avec leur métier doivent tendre. Il faut que nous ayons des représentants au sein du Conseil national des universités, sinon on n’avancera pas. Aujourd’hui, il n’y a en France que deux infirmières habilitées à diriger des recherches [le plus haut grade universitaire en France, NDLR]. Ça doit changer », assène-t-elle. En attendant, entre Platon, Aristote et leur illustre descendance de philosophes, Bénédicte Lombart tente de se ménager quelques moments de plaisir pour bouquiner, cuisiner et voyager.
1– Rendez-vous annuel des professionnels francophones qui œuvrent en cancérologie.
2– Association pour la diffusion des données sur le traitement de la douleur de l’enfant.
3– Il s’agit de Monique Rothan-Tondeur, directrice du département des sciences infirmières et paramédicales de l’École des hautes études en santé publique.
1990 Obtient son DE et intègre l’équipe du service onco-pédiatrique de l’hôpital Trousseau à Paris.
1993 Entame une formation de conseillère en santé, première d’une longue série.
2002 Obtient son diplôme de cadre de santé.
2010 S’inscrit en Master 1 de philosophie pratique et éthique hospitalière et obtient le Master 2 de la discipline deux ans plus tard.
2012 Doctorante en philosophie pratique et éthique hospitalière sous la direction d’Éric Fiat.