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DU CÔTÉ DES … COLLOQUES
Nombre d’infirmières effectuent au quotidien des gestes qui ne relèvent pas stricto sensu de leurs compétences. Quelle doit être la position des instituts de formation en la matière ? Vaste débat, abordé le 17 mai lors du colloque Ethos, à Nancy.
Une infirmière peut-elle poser une voie veineuse périphérique sans prescription en urgence ? Peut-elle changer le flacon d’une perfusion sans, non plus, de prescription ? Sur le plan purement juridique et réglementaire, ces gestes sont illégaux. Ils sont, pourtant, réalisés quotidiennement par des IDE. « Le fait que les soignants soient amenés à outre-passer leurs compétences pose question et interroge sur les responsabilités engagées », souligne le Dr Thierry Pelaccia, directeur médical du Centre d’enseignement des soins d’urgences (Cesu) de Strasbourg. Ce médecin du Samu 67 a identifié cinq raisons pour lesquelles les professionnels de santé exercent des pratiques en dehors du périmètre de leurs compétences.
En premier lieu, l’inadéquation entre la demande de soins auprès des patients et l’offre sur le plan réglementaire. « Dans mon domaine, la médecine d’urgence, la Haute Autorité de santé recommande, par exemple, que le calcul de la glycémie capillaire soit effectué en préhospitalier. Or, une très grande majorité de victimes d’accidents vasculaires cérébraux sont transportées par des pompiers qui ne sont pas habilités à le faire. Pourtant, ces derniers pratiquent ce geste au quotidien », illustre Thierry Pelaccia.
Autre explication à ces « pratiques illégales » : les interprétations parfois multiples et divergentes de certains textes réglementaires, comme l’article R. 4311-14 du Code de la santé publique ayant trait aux actes que peut réaliser l’IDE en cas d’urgence. Troisième facteur : la méconnaissance des professionnels de santé de ce qu’ils ont le droit de faire ou non. L’évolution des professions et des compétences (technicité croissante, développement du secteur ambulatoire, essor de la télémédecine…) est aussi à prendre en compte, tout comme l’envie de certains soignants d’exercer de nouvelles compétences.
Quelles que soient les explications, « le constat est irréfutable », affirme Thierry Pelaccia : les soignantes pratiquent au quotidien des gestes qui ne relèvent pas juridiquement de leurs compétences. Dès lors, les instituts de formation doivent-ils enseigner ces pratiques illégales, sachant que les futures professionnelles qu’ils ont en face d’eux seront amenées à les exercer ? Ou bien doivent-ils s’en garder, parce que ce serait une manière de légitimer une pratique illégale ? Évidemment, la question est bien trop complexe pour que l’on puisse y répondre simplement par l’affirmative ou la négative. D’un côté, l’institut se doit de préparer le mieux possible les infirmières en devenir aux besoins et aux réalités de terrain. De l’autre, le rôle des organismes de formation est aussi de favoriser une prise de conscience des règles établies. Enseigner l’interdit, c’est introduire une forme de perte de repères. Et l’exercice peut être risqué. Car, en cas d’incrimination, le législateur appuiera sa décision davantage sur le Code de la santé publique que sur l’exposé des conditions d’exercice du soignant visé.
Quelle pourrait-être la solution ? « Dans un monde idéal, juge Thierry Pelaccia, l’évolution conjointe des règles et des compétences pourrait se faire à travers la création de professions de santé de niveau intermédiaire. » Les fameux praticiens de santé prônés par le rapport Hénart. D’un niveau master 2 (bac+5), ces nouveaux soignants seraient autorisés à réaliser certains actes prédéterminés et délégués par les médecins. « En créant une nouvelle catégorie de professionnels de santé, nous proposions d’inverser la chaîne, de partir des besoins de la population en matière de santé pour définir une fiche métier et un diplôme correspondant et non de partir du diplôme, comme c’est le cas actuellement », a développé Laurent Hénart, présent au colloque. « La formation accessible via la validation des acquis de l’expérience pourrait s’effectuer en deux ans, ce qui signifie une évolution rapide de l’offre de soins », a poursuivi l’ancien secrétaire d’État. Mais, ledit rapport, remis en février 2011, est resté, à ce jour, lettre morte.