FORMATION CONTINUE
QUESTIONS SUR
« Le psychiatre m’a dit que je souffre de troubles bipolaires, sous prétexte qu’il m’arrive de faire des dépressions. Je n’ai pas envie de prendre un traitement qui me fait grossir et qui m’endort ! »
Le diagnostic d’une maladie psychiatrique est toujours difficile à entendre. Face à toute affection chronique, l’éducation thérapeutique (ETP) a pour but d’accompagner les patients, et leurs familles, dans l’acquisition ou le maintien des compétences dont ils ont besoin pour conserver et améliorer leur qualité de vie. En psychiatrie, l’ETP permet aussi de les aider à accepter le diagnostic et le traitement.
En général, l’ETP bouleverse les habitudes soignantes en situant le soignant dans une position de partage de connaissances, d’accompagnement et de délégation d’une partie de sa démarche de soins au patient. Pour les infirmières de secteur psychiatrique, l’attitude soignante proposée par l’ETP se rapproche parfois d’autres méthodes de soins déjà employées dans le cadre de la réhabilitation psychosociale du patient. « En psychiatrie, la psycho-éducation est l’ancêtre de l’ETP », estime Pascale Martin, cadre de santé, coordinatrice d’un programme d’ETP pour les patients atteints de troubles bipolaires à la clinique Saint-Luc de Nice (06). « C’est dans notre pratique d’apprendre au patient à repérer les symptômes de la maladie, à accepter le traitement et à devenir un allié thérapeutique. Ce qui est différent avec l’ETP, c’est le partage, avec le patient, de la mise en place d’objectifs et de leur évaluation. » Ce que confirme le Dr Sandrine Limousin, coordinatrice du programme d’ETP pour les patients souffrant de schizophrénie à l’hôpital de la Conception à Marseille (13) : « Nous étions habitués à une prise en charge bio-médico-sociale au-delà du traitement des symptômes de la maladie. L’approche soignante dans le cadre de la réhabilitation psychosociale, concept majeur en psychiatrie, partage les fondements et les valeurs de l’ETP. » C’est notamment le cas de la formulation d’un projet de soins individualisé et personnalisé à partir d’objectifs convenus avec le patient, comme du travail en équipe pluri-disciplinaire. « L’ETP a permis de mettre en exergue la relation soignant-soigné telle que nous la connaissions », ajoute le médecin psychiatre. Dans d’autres cas, l’ETP s’apparente à une petite révolution pour les soignants, habitués à des prises en charge plus directives. « La démarche n’est pas évidente pour tous », remarque Sylvie Stagnaro, diététicienne, coordinatrice du programme d’ETP destiné aux patients souffrant de troubles bipolaires ou de schizophrénie de la Fondation Édith-Seltzer à Briançon (05). « Il faut accepter de s’installer autour d’une table avec les patients pour des échanges, de l’empathie et des négociations. L’ETP incite à se situer au même niveau que les patients et à savoir, par moments, se mettre en retrait. Certaines infirmières ont l’impression de changer de pratique soignante, mais, après coup, toutes adhèrent pleinement à cette approche. »
Les programmes d’ETP se développent dans le cadre de pathologies psychiatriques comme l’anorexie mentale, les troubles du développement, les addictions, ou parfois, plus largement, les affections psychiatriques de longue durée. Les troubles bipolaires et la schizophrénie sont deux pathologies particulièrement visées par les programmes autorisés. Pour autant, en raison des troubles inhérents aux maladies mentales, qui affectent les capacités de communication et de relation, tous les patients ne sont pas à même de suivre un programme structuré d’ETP. Même si, comme l’explique Pascale Martin, « les troubles mnésiques ou cognitifs, qui peuvent mettre le patient en difficulté, n’empêchent pas la participation à l’ETP, car la capacité d’expression est maintenue ». La cadre de santé précise que « dans le cas des troubles bipolaires, il est préférable d’éviter les phases aiguës de la maladie, qu’il s’agisse des phases maniaques ou dépressives. Le programme doit être proposé lors d’une phase neutre de l’humeur. Lorsqu’un patient lâche le programme, c’est souvent parce qu’on lui a fait une proposition trop rapidement ». Concernant la schizophrénie, le Dr Limousin fait remarquer que « le traitement médicamenteux est partiel et laisse subsister des symptômes résiduels essentiellement délirants et des troubles cognitifs tels que des troubles de l’attention, de la concentration, de la mémoire, ou de la planification de l’action. Le diagnostic éducatif initial est essentiel pour évaluer les besoins et les ressources du patient ».
« Alors qu’une hémoglobine glyquée est facile à chiffrer en diabétologie, l’insight, c’est-à-dire le niveau de conscience de la maladie par le patient, est un point délicat en psychiatrie », souligne Sylvie Stagnaro. « D’autant que, dans certains cas, le diagnostic est compliqué à poser, y compris pour le psychiatre. C’est alors plus difficile d’entamer une démarche d’ETP. » Dans les cas où le diagnostic n’est pas complètement accepté, le Dr Sandrine Limousin relève une nécessaire reconnaissance des troubles : « Il faut que le patient sache qu’il est atteint d’une pathologie mentale et qu’il soit demandeur d’informations. Ce qui peut être entendu lorsqu’il a déjà accepté de participer au premier entretien pour l’établissement du diagnostic éducatif. » Dans le même sens, Pascale Martin remarque que « le patient peut être en cours d’acceptation, dire qu’il veut bien être informé tout en restant ambivalent vis-à-vis de son traitement. La première annonce du diagnostic l’entraîne dans un processus d’acceptation de la maladie. Les questions sur son devenir et sa prise en charge se posent sur un fond de refus et de révolte qui se retrouve avec l’annonce de toute maladie grave et/ou chronique ». Dans certaines situations, la proposition d’ETP est plus adaptée lors d’une deuxième hospitalisation, à la suite d’une rechute, quand le patient a avancé dans le processus d’acceptation de son état de santé.
La première étape consiste à évaluer un diagnostic éducatif et à élaborer des objectifs personnalisés, réalisables pour le patient. L’ensemble des informations recueillies permet de s’accorder avec lui sur les compétences à acquérir, à mobiliser ou à maintenir. Lors de ce premier entretien, le programme d’ETP est présenté au patient, qui signe un formulaire de consentement sur lequel est expliqué le déroulement du programme et sont mentionnés les différents acteurs de soins et la possibilité de quitter le programme sans préjudice pour sa prise en charge. « On fixe ensemble des objectifs au regard des ateliers proposés, en précisant que l’ETP fait partie du parcours de soins et que le fait d’arrêter n’enlève rien à la poursuite de la prise en charge dans l’établissement », précise Pascale Martin. « L’entretien de diagnostic éducatif est l’occasion d’établir une relation de confiance, qui crée un lien particulier et favorable au soin », ajoute Sylvie Stagnaro. À l’hôpital de la Conception, tout malade atteint de troubles schizophréniques bénéficie d’une évaluation globale regroupant une évaluation clinique et des tests paracliniques (scanner, débit sanguin cérébral…) et une évaluation sociale et psychologique. Celle-ci se fait pour tous les patients suivis en ambulatoire et permet de mettre en place une prise en charge adaptée dans le cadre de la réhabilitation psychosociale, en complément du traitement médicamenteux. Les professionnels de l’équipe d’ETP complètent ce premier bilan pour arriver au diagnostic éducatif lors d’un entretien avec le patient. La composition de l’équipe – psychiatre, psychologue, infirmiers de santé mentale, ergothérapeutes, assistantes sociales – dépend des programmes. Une diétéiticienne peut également y participer, comme à Briançon.
Comme pour toutes les pathologies chroniques, les programmes d’ETP doivent répondre aux critères de la Haute Autorité de santé et être autorisés par les agences régionales de santé. Les séances collectives et individuelles sont associées, le plus souvent, pour un suivi adapté au patient. « Une des difficultés rencontrées réside dans la contrainte de temps », souligne le Dr Limousin. « Le programme autorisé par l’ARS doit être réalisé sur une année, alors qu’il s’agit vraiment d’un parcours individualisé. À la différence de l’ETP pour d’autres pathologies, le nombre de séances n’est pas déterminé à l’avance mais adapté en fonction de l’évolution du patient, régulièrement évaluée par un binôme de soignants référents. Si les séances individuelles et collectives prévues ne suffisent pas, on réajuste leur nombre en cours de route avant de passer à l’étape suivante. » À la clinique Saint-Luc, le programme propose quatre séances collectives sur un mois (durée moyenne des hospitalisations). Les ateliers sont indépendants, le patient peut ainsi intégrer le dispositif à tout moment. « Si le patient n’a pas le temps de suivre les quatre séances, parce qu’il doit sortir de la clinique par exemple, on lui propose de faire un bilan individuel, et il peut décider de revenir pour finir le programme en ambulatoire », ajoute Pascale Martin. De plus, les différents acteurs de l’ETP sont toujours présents à la clinique. À tout moment, les patients peuvent revoir les soignants en dehors des ateliers, demander des éclaircissements, reparler d’un point en particulier ou demander de la documentation.
À l’hôpital de la Conception, les patients, habitués aux programmes de réhabilitation psychosociale, ont découvert la formalisation particulière à l’ETP. Les principes de l’ETP, qui encouragent la reconnaissance de la parole du patient, sont appréciés, à commencer par la signature de leur consentement avant l’inclusion dans un programme. Aucun participant n’a interrompu son programme. « L’ETP est une activité thérapeutique en elle-même. Sa structure apporte un plus dans la valorisation et la reconnaissance du patient qui entre dans un parcours de soins validé », constate Sandrine Limousin. Pour Pascale Martin, « la dimension de soins de l’ETP est acceptée. La participation au programme donne au patient des outils personnels. Il est davantage acteur et accepte mieux l’idée du soin et de la rechute ». Ainsi, certains malades sollicitent une hospitalisation quand ils ne se sentent pas bien, avant d’être débordés par les symptômes. « Identifier les premiers symptômes d’une rechute permet une prise en charge précoce. Ce qui est recommandé dans le trouble bipolaire », commente la cadre de santé.
Dans le cadre des troubles bipolaires, Sylvie Stagnaro constate que les ateliers comme ceux qui travaillent sur la réappropriation du corps sont très appréciés. Les séances sur la connaissance de la maladie et du traitement sont plus difficilement acceptées, en raison des représentations très fortes, notamment concernant les effets secondaires des médicaments. Néanmoins, « les ateliers en groupe permettent de casser des idées reçues. Les discussions entre patients et les informations du médecin permettent de prévenir l’arrêt des traitements », observe la coordinatrice du programme d’ETP. « Des ateliers sur les aspects sociaux sont mis en place, en lien avec des problématiques spécifiques à cette pathologie, continue-t-elle. Il s’agit, par exemple, d’un atelier pour manger équilibré avec un petit budget – lié à la précarité des patients –, d’un travail de renarcissisation pour améliorer l’image de soi. L’écoute musicale est utilisée pour la gestion du stress et des angoisses. Comme l’on travaille beaucoup sur la sortie du patient, l’atelier projet de vie, en fin de parcours, vise à favoriser la reprise d’une activité physique ou à renouer des liens sociaux. »
Dans tous les cas, les soignants adaptent leurs méthodes aux patients et à leur pathologie. « Au cours du programme, des modalités d’apprentissage spécifiques à la schizophrénie sont privilégiées », explique le Dr Limousin. « L’atelier de remédiation cognitive, notamment, emploie des techniques qui sollicitent toutes les capacités sensorielles telles que la vidéo, les images ou les jeux de rôle. »
Un programme d’éducation thérapeutique du patient souffrant de troubles bipolaires est proposé à la clinique Saint-Luc de Nice (06).
Des séances sous forme de quatre ateliers collectifs de 50 minutes réunissent 8 participants. Le patient dispose d’autant d’entretiens individuels que nécessaire.
→ Atelier « Trop gaie, trop triste », animé par une infirmière et un art-thérapeute. On y aborde les signes d’alerte des symptômes précoces, les représentations de la maladie, la reconnaissance des modifications de l’humeur, les situations de stress en lien avec les troubles bipolaires, la gestion de la maladie au quotidien, notamment sur le plan relationnel, et la prévention des rechutes.
→ Atelier « C’est quoi ce médicament ? », animé par un psychiatre et une infirmière, qui reviennent sur le principe des traitements normothymiques, les effets attendus, l’incidence sur la vie quotidienne, les surveillances biologiques, les connaissances sur les médicaments et leur bon usage, les représentations sur les médicaments, avec des réponses aux inquiétudes des patients concernant les effets secondaires (prise de poids, perte d’appétit…).
→ Atelier « Manger équilibré, un casse-tête », animé par une diététicienne et une infirmière. L’objectif est de permettre à chacun d’augmenter son sentiment d’efficacité personnelle par l’acquisition de comportements efficaces et de connaissances en hygiène alimentaire, et d’apprendre à composer un repas en fonction de ses besoins individuels en connaissant les différents groupes d’aliments.
→ Atelier « Je bouge et j’aime ça… ou pas ! », animé par un kinésithérapeute et une infirmière. Le but est de permettre à chacun de stimuler sa créativité afin de rechercher : des solutions adaptées à une activité physique individuelle ; une gestion de l’activité physique ordinaire ; l’identification par les patients de leurs besoins et possibilités, et les techniques pour mieux bouger au quotidien.
PASCALE MARTIN CADRE DE SANTÉ, COORDINATRICE DU PROGRAMME D’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DES PATIENTS SOUFFRANT DE TROUBLES BIPOLAIRES À LA CLINIQUE SAINT-LUC DE NICE (06).
→ La présence de la famille est souhaitée, car le programme d’ETP est tourné vers le partage d’informations et d’expériences. À l’issue des quatre séances collectives, si une évaluation individuelle montre que le patient n’a pas atteint les objectifs fixés lors du diagnostic éducationnel, il peut réintégrer les séances du cycle suivant. À cette occasion, certains malades choisissent de revenir avec un membre de la famille. À ce moment, ils se sont repositionnés vis-à-vis de leurs proches, ce qui n’est pas évident lors du premier diagnostic. Dans ce deuxième temps, ils sont également rassurés sur le contenu de l’ETP et le bénéfice qu’ils retirent du partage d’expériences. C’est très intéressant pour les familles d’entendre les autres patients et leurs proches, et pas uniquement leur parent ou conjoint malade, ou le discours d’un professionnel de santé. Les proches peuvent, aussi, déposer quelque chose de leur vécu très lourd. Ils peuvent réajuster leur propre représentation de la maladie et leur comportement au travers des autres expériences.
Pour l’élaboration d’un programme d’ETP, il faut se référer aux recommandations générales de la Haute Autorité de santé en matière d’ETP. Les dossiers seront évalués par les ARS selon les mêmes critères que pour toute maladie chronique.
→ « Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques », Haute Autorité de santé, juin 2007.
→ « Auto-évaluation annuelle d’un programme d’éducation thérapeutique du patient », Guide pour les coordonnateurs et les équipes, Haute Autorité de santé, mars 2012.