L'infirmière Magazine n° 325 du 15/06/2013

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

Mme F., patiente de 82 ans, autonome et vivant seule à domicile, est adressée par son médecin traitant pour troubles de la vigilance évoluant depuis 5 jours, avec asthénie, ralentissement psychomoteur, confusion et agitation. Ses antécédents sont une HTA, un diabète de type II, une FA et une IC sur cardiopathie ischémique.

Son traitement actuel comprend : Lasilix (furosémide) 40 mg : 1-0-1, Triatec (ramipril) 5 mg : 1-0-0, Cardensiel (bisoprolol) 10 mg : 1-0-0, Glucophage (metformine) 1 000 : 1-0-1, Préviscan (fluindione) : 0-0-1

À l’arrivée aux urgences, l’examen clinique met en évidence que la patiente est consciente mais désorientée dans le temps et l’espace. Elle tient des propos incohérents.

Sa PA = 100/80 mmHg, sa FC = 60 bpm réguliers et sa T°C = 37,5. L’urgentiste remarque aussi une langue sèche et un pli cutané.

L’examen biologique indique :

QUE S’EST-IL-PASSÉ ?

Le diagnostic posé est une déshydratation globale dans un contexte de déplétion hydrosodée favorisée par un traitement diurétique surdosé (iatrogénie). En effet, la fille de la patiente, arrivant aux urgences, signale aux infirmières qu’elle s’est aperçu, en récupérant le traitement de sa mère, que les doses de Lasilix étaient doublées (par rapport à l’ordonnance) dans son semainier, cela expliquant très certainement l’épisode actuel.

2. SULFAMIDE DIURÉTIQUE : RAPPELS

Classe thérapeutique

Le furosémide (Lasilix(r)) est un sulfamide diurétique inhibant au niveau de la branche ascendante de l’anse de Henlé la réabsorption du NaCl ; accessoirement, il augmente l’excrétion urinaire de potassium, du magnésium et du calcium. Il a une puissance dose-dépendante.

Indications

Par voie orale, le furosémide est indiqué dans le traitement de l’hypertension artérielle, les syndromes œdémateux d’origine rénale ou hépatique ou cardiaque et dans l’insuffisance cardiaque congestive.

Contre-indications

L’hypersensibilité aux sulfamides, l’encéphalopathie hépatique, l’insuffisance rénale par obstruction urinaire, la déshydratation extracellulaire avec hypovolémie contre-indiquent l’utilisation du furosémide.

Précautions d’emploi

Plusieurs précautions sont nécessaires lors de l’administration de furosémide. En effet, la prise accidentelle de furosémide peut entraîner une hypovolémie avec déshydratation.Chez l’insuffisant hépatocellulaire, le traitement sera conduit avec prudence sous surveillance hydroélectrolytique stricte (natrémie, kaliémie, glycémie, uricémie), compte tenu d’un risque d’encéphalopathie hépatique. L’interruption du traitement sera immédiate.

Effets indésirables

Les principaux effets indésirables observés sont : l’hyponatrémie, la déshydratation extracellulaire puis globale, l’hypovolémie et l’hypotension orthostatique en cas de surdosage (interrompre, réhydrater).

Interactions médicamenteuses

Les principales interactions à surveiller sont :

– avec les AINS : réduction de l’effet diurétique du furosémide ;

– avec le lithium : inhibition de l’excrétion du lithium (compétition avec la réabsorption du sodium au niveau du tube contourné distal) ;

– avec les médicaments ototoxiques (aminosides) si utilisation de forte dose de furosémide : risque d’ototoxicité.

3. LA DÉSHYDRATATION

La déshydratation est :

– une perte excessive de la teneur en eau de l’organisme ;

– un déficit du volume liquidien par déséquilibre du bilan hydrosodé.

→ Les causes iatrogènes (dues à des traitements médicaux ou médicaments) ?

– médicaments : diurétiques, laxatifs, antibiotiques parfois diarrhéiques ;

– intervention ou procédures diagnostiques qui nécessitent le jeûne ;

– usage de lavements, restriction hydrique (pour troubles cardiaques) ;

– régime sans sel (pour troubles cardiaques).

→ Quels sont les signes cliniques ?

– perte de poids essentiellement (si excède 10 % de la perte c’est une déshydratation majeure) ;

– sensation de soif altérée ;

– persistance du pli cutané ;

– sécheresse muqueuse buccale ;

– réseau veineux s’aplatissant ;

– hypotension liée à l’hypovolémie, diminution du volume sanguin = tachycardie ;

– fièvre, polypnée ;

– diminution du tonus musculaire ;

– hypotonie des globes oculaires, cernes ;

– troubles neuromusculaires (somnolence, troubles de la vigilance, agitation…) ;

– oligurie ;

– constipation ;

– perte d’appétit, asthénie, désintérêt.

Sur le plan biologique :

– déshydratation intracellulaire ;

– déshydratation extracellulaire.

→ Quelles sont les conséquences et complications ; ?

– perte accrue de la sensation de la soif ;

– plus la déshydratation s’installe, plus la personne âgée ne ressent que tardivement le besoin de boire ;

– aggravation de broncho-pneumopathie par diminution des sécrétions bronchiques ;

– surinfection ;

– état fébrile ;

– escarres, le manque d’eau entraînant une perte d’élasticité de la peau ;

– chutes avec malaises par hypotension orthostatique = risque de fractures ;

– certaines de ces complications peuvent conduire au décès de la personne âgée.

Conséquences neurologiques :

– altération du niveau de conscience, confusion, déclin cognitif, déclin fonctionnel ;

– complication neuro-ischémique, hémiplégie, coma.

Conséquences cardio-vasculaires :

– infarctus, phlébite, accidents thromboemboliques artériels et veineux, embolie pulmonaire.

Conséquences rénales :

– insuffisance rénale aiguë, infection urinaire.

4. EN PRATIQUE : TRAITER LA DÉSHYDRATATION

Traitement préventif (rôle propre de l’IDE)

→ Prévenir la perdition anormale de liquide :

– Détection des situations à risque : altération au niveau cérébral, état délirant…

– Pour les détecter, il faut faire une évaluation personnalisée des capacités physiques et psychiques de la personne âgée.

→ Détection des facteurs d’aggravation :

– Diminution de l’absorption = anorexie

– Augmentation des pertes liquidiennes = hypersudation, laxatif, diurétique…

→ Action de prévention :

– Donner un apport liquidien de 1,5 à 2 litres/jour.

– Augmenter l’apport d’aliments riches en eau.

– Programmer des apports en petite quantité mais fréquents.

– Augmenter les apports en eau si température extérieure élevée ou si chauffage, si fièvre, si patient sous traitement tel que diurétique ou laxatif.

– Inciter la personne âgée à boire en lui donnant des boissons diversifiées, adaptées à ses goûts.

– Donner de l’eau gélifiée en cas de troubles de la déglutition.

– Veiller à laisser le verre et la carafe à portée de main.

– Remplir souvent le verre de la personne âgée et la faire boire si nécessaire au cours de la journée, car elle n’y pense pas.

– Travailler en collaboration avec l’ergothérapeute pour pallier les difficultés du patient (verre spécial, canard avec bec…).

– Mesurer les quantités absorbées.

– Surveiller le poids régulièrement.

– Surveiller la concentration et le volume des urines.

– Surveiller l’état de la muqueuse buccale (spray buccal, glaçons, soins de bouche si nécessaire).

– Eduquer et informer la personne âgée et son entourage sur l’importance de l’hydratation. Si, malgré toutes ces actions, le patient ne boit pas ou peu, le signaler au médecin.

Traitement curatif (rôle IDE sur prescription)

→ Savoir évaluer la déshydratation par la mesure du poids et l’étude du bilan des entrées et sorties des liquides.

→ Réhydrater progressivement la personne âgée en plusieurs jours.

Si elle est faiblement déshydratée :

– Réhydratation par voie orale, sous-cutanée (face extérieure de la cuisse)

Si elle est fortement déshydratée :

– Réhydratation par voie sous-cutanée, IV, orale.

Parfois, on a recours à la réhydratation par la pose de sondes gastriques en cas de reflux ou de fausse route.

→ Surveiller les effets de la réhydratation :

– Disparition des signes cliniques.

– Diurèse abondante.

– Normalisation du bilan sanguin.

→ Trouver la/les cause(s) de déshydratation :

Arrêter le médicament qui entraîne la déshydratation en cas dedéshydratation iatrogène.