L'infirmière Magazine n° 325 du 15/06/2013

 

INFIRMIÈRES ET RELIGIEUSES

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Alors qu’un débat parlementaire sur la fin de vie est annoncé et que l’avis du Comité consultatif national d’éthique est attendu, l’approche « spirituelle » favorisée par les religieuses-infirmières de l’unité de soins palliatifs de Malestroit éclaire le sujet d’un jour particulier.

La journée de sœur Roxane, religieuse-infirmière, est commencée depuis déjà quelques heures lorsqu’elle arrive dans l’unité de soins palliatifs qu’elle dirige. Dès 6 h 30, la vie de la communauté des Augustines, qui gère la clinique du même nom à Malestroit (Morbihan), et vit dans des bâtiments contigus, bat au rythme des prières. Parmi ces rituels, un en particulier raisonne pour sœur Roxane et les autres religieuses qui travaillent ou ont exercé auprès des malades : l’eucharistie. Un moment de communion au cours duquel Roxane, Studer de son nom civil, 39 ans, reçoit le corps du Christ, qu’elle entend « redonner » tout au long de la journée aux huit malades accueillis dans le service. « Nous croyons que le Christ est présent dans chaque malade », précise-t-elle. C’est l’un des fondements (le troisième pilier exactement) de cette congrégation à vocation hospitalière : le service des pauvres et des malades. Lorsque, voilà tout juste dix ans, la restructuration de l’établissement, créé en 1918, s’est retrouvée à l’ordre du jour, la congrégation n’a pas hésité à transformer la maternité en… unité de soins palliatifs. « Nous nous sommes demandé quels étaient les besoins de la société qui semblaient les moins pris en charge », se souvient sœur Marie-Paule. Cette infirmière a travaillé dans l’unité de soins palliatifs dès sa création, en 2003, jusqu’à ce qu’elle devienne prieure de la communauté, voilà quelques mois. « Et puis, qu’il s’agisse de nouveau-nés ou de personnes en fin de vie, nous avons affaire à des êtres dans une extrême fragilité. Les soins palliatifs nous ouvraient un champ d’action pour annoncer l’amour de Dieu pour les hommes », continue-t-elle.

Dix jours pour changer la couleur des chambres, réaménager l’étage. Élaborer un projet de service aussi. Pour les 33 religieuses qui composent cette congrégation, l’axe central de ce projet ne fait pas de doute. Comme le dit joliment sœur Marie-Paule, « le mourant n’existe pas ». Les malades sont des vivants jusqu’au bout, d’autant plus qu’ils vivent alors une étape importante de leur vie, qui est souvent un temps de relecture. Je me souviens d’une patiente qui n’en finissait pas de mourir… Elle passait ses nuits à regarder les albums photos et, ainsi, à relire les étapes de son histoire. » Pour les deux religieuses-infirmières de l’unité, l’essentiel est donc de faire du service – le seul pour le secteur sanitaire dont dépend Malestroit, et qui couvre 350 000 habitants – un lieu de vie. Un lieu où l’on accompagne les patients, bien sûr, mais aussi les familles. « Nous les préparons à la séparation », précise sœur Roxane. L’aide des bénévoles de l’association Jalmalv est précieuse. « Leur présence est essentielle, car c’est une façon de dire aux malades : “vous êtes bien vivants et vous valez la peine d’être visités”. »

Débat sur la fin de vie

Les questions relatives à la dépendance directe de l’unité envers un établissement géré par une congrégation ne sont pas éludées. Car, naturellement, des religieuses engagées dans les soins palliatifs, aussi dévouées soient-elles, cela étonne, interpelle. Il faut dire que le débat sur la fin de vie, d’un point de vue médical comme moral, agite la société. Certaines personnes et associations militent pour un droit à l’euthanasie ; d’autres y sont farouchement opposées, comme les sœurs, qui sont clairement hostiles à toute législation qui ouvrirait la voie à cette démarche. « Provoquer la mort d’une personne, c’est lui voler quelque chose », estime même sœur Roxane, qui vit ici, depuis 2007, la synthèse de ses vocations d’infirmière (diplômée en 1995) et de religieuse (elle a fait sa « profession perpétuelle » le 11 mai). « Parmi les personnes accueillies dans notre unité, certaines – très peu – demandent à mourir, souligne-t-elle pour étayer sa position. Cette demande vient surtout des familles, et à l’arrivée du patient. Mais l’on observe qu’il revient très vite sur sa requête. Par sa prise en charge ici, il voit sa douleur se stabiliser ou même diminuer. Il faut bien comprendre que la personne arrive dans l’unité parce qu’elle vit une situation de crise à son domicile, ne s’alimente plus, notamment, ou que son entourage familial, voire l’équipe de professionnels qui s’occupe d’elle sont épuisés. Ici, notre objectif est le confort, pas l’acharnement. Les unités de soins palliatifs sont très pointues dans la prise en charge de la douleur. » « Tout est dans l’intentionnalité, considère l’autre soignante, sœur Marie-Paule. Il faut d’abord entendre une telle demande. Demander à mourir, c’est dire : “je souffre trop”. Nous réussissons à décrypter cette plainte et à y répondre d’un point de vue médical, psychologique, et elle disparaît. On peut prescrire des drogues fortes et puissantes, qui, effectivement, accéléreront la mort, mais l’intention n’est jamais de la donner. Cela serait un peu court. Et facile. La loi Leonetti est bonne, pose bien les choses. Une loi qui légaliserait l’euthanasie donnerait lieu à des excès, à du n’importe quoi… »

Pour le Dr Alain Hirschauer, chef de service de l’unité de soins palliatifs, « même si sont accueillis ici les cas les plus complexes, l’unité n’est pas un mouroir triste, mais un lieu de vie où l’on meurt aussi ». « La présence des sœurs n’est pas un obstacle, ajoute cet ancien médecin généraliste. Certains patients marquent une distance. Mais, notre but n’est pas le prosélytisme. Spontanément, je note qu’il existe un respect envers les religieux, ce qui peut apaiser certains sentiments. » Ce matin-là, la femme et la fille d’un patient hospitalisé à Malestroit depuis un mois et demi soulignent l’atmosphère qui règne dans le service. « Plus apaisante et plus accueillante que lorsqu’il était hospitalisé dans un autre lieu », remarque la jeune femme, infirmière de profession. Et d’ajouter : « Je crois que pour mon père, les valeurs et la présence religieuse sont importantes. » Un prêtre passe le saluer tous les jours. Hier, pour la première fois, il a fait une allusion claire à la religion.

Personnels civils

Une très grande partie du personnel de l’établissement, et de l’unité également, est constituée de personnels civils. Les quelques sœurs, aides-soignantes, comme sœur Laure, en service de réadaptation, ou infirmières (elles ne sont plus que deux en exercice), sont donc présentes dans la pure tradition de cette communauté hospitalière des Augustines. Dans l’office infirmier de l’unité de soins, s’affiche en bonne place la charte de la laïcité dans les services publics. Tout près, sur un meuble de rangement, se dresse une grosse bougie, qui reste allumée quand un décès survient dans le service. Tout au long de la journée, nous croiserons des religieuses dans les couloirs. Comme sœur Marie-Andrée, 80 ans, qui salue chaque jour les patients, surtout ceux qui n’ont pas de visites, et n’hésite jamais à être présente quand les derniers instants s’annoncent. « Une présence seulement… Ici, ce n’est pas le “faire” qui compte, être soi-même suffit. Et, ce n’est pas une affaire de religion. Croyant ou non, nous nous intéressons à la personne qui souffre », explique-t-elle de sa petite voix douce.

Une empreinte spirituelle

Bien sûr, malgré le petit nombre de religieuses également soignantes, il y a une coloration particulière. Le personnel, bien que civil, adhère à une charte interne qui fait du respect de la dignité humaine l’alpha et l’oméga de son engagement auprès des patients. Mais, l’empreinte donnée par la congrégation se révèle plus spirituelle que religieuse. Outre ses tâches administratives et le suivi des points médicaux en équipe pluridisciplinaire, c’est la grande mission de sœur Roxane, responsable de l’unité. Un axe de travail formalisé au cours du DU en soins palliatifs qu’elle a suivi en 2012 et dont le mémoire a porté sur la dimension spirituelle dans les soins et la personne. « Une démarche à double tranchant. Quand une religieuse parle de spirituel, on se demande forcément ce qu’elle essaie de nous vendre ! », avoue-t-elle, avec cette liberté de parole dont il semble qu’elle ne se départit jamais.Chaque jour, sœur Roxane se rend auprès de l’ensemble des patients de l’unité. « Ce qui est frappant, c’est cette quête de sens qui surgit chez la plupart, observe-t-elle. Bien sûr, la majorité fait du spirituel sans le savoir… Pourquoi suis-je tombé malade ? Pourquoi maintenant alors que j’aurais pu profiter de ma retraite ? Pourquoi ai-je peur ? Tous ces pourquoi, c’est du spirituel. Entendre ces difficultés face aux questions de la vie, ne pas chercher de réponses toutes faites constitue un véritable enjeu éthique. Car, en fin de vie, fréquemment, les personnes ont besoin de se sentir vivantes. Le soignant doit donc être dans cet échange. Et pour ce faire, il doit avoir conscience de sa propre dimension spirituelle. » Voilà le sens de toutes les interventions de l’infirmière religieuse en Ifsi, dans l’école d’aides-soignantes gérée par la congrégation, ou auprès des équipes d’autres unités de soins palliatifs.

1– « Jusqu’à la mort, accompagner la vie ». L’association propose un accompagnement bénévole auprès de personnes en fin de vie.