L'infirmière Magazine n° 326 du 01/07/2013

 

FORMATION CONTINUE

PRISE EN CHARGE

PASCALE THIBAULT  

La prise en charge thérapeutique adéquate des douleurs de patients atteints d’une pathologie mentale nécessite de connaitre l’expression de la douleur, les particularités de l’évaluation, les thérapeutiques et leur adaptation dans ce contexte particulier.

Le raisonnement clinique à mettre en œuvre pour une prise en charge thérapeutique adaptée des douleurs des patients atteints d’une pathologie mentale est identique à celui destiné à toute ­personne douloureuse. Ce raisonnement comprend l’identification et l’évaluation de la douleur ; l’introduction, le plus souvent en association, de thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses ; la réévaluation de leur efficacité ; la traçabilité de l’ensemble des mesures mises en place.

DOULEUR ET RAISONNEMENT CLINIQUE INFIRMIER

Identifier et « penser » douleur

Afin de prendre correctement en charge les douleurs des patients atteints d’une pathologie mentale, il faut accepter l’idée que ces personnes puissent souffrir de douleurs physiques. Si cette idée est aujourd’hui plus généralement admise, l’évaluation reste problématique dans certaines situations. Quel que soit l’état du patient, il faut penser à la douleur devant tout changement de comportement. Par ailleurs, toute expression douloureuse doit être prise en compte, même si aucune lésion corporelle n’est repérée. Les traitements diffèrent, mais la plainte doit être entendue et relayée par les soignants.

Évaluer

L’évaluation est l’étape clé d’une bonne prise en charge. Trop souvent, elle se limite à l’utilisation d’un outil, le plus connu étant l’échelle visuelle analogique (EVA). En réalité, cette estimation permet d’identifier plusieurs éléments : les sensations du patient, leur localisation, l’intensité douloureuse ressentie, le moment où apparaît la douleur, sa durée, lorsqu’elle n’est pas permanente. Évaluer la douleur demande donc, de la part du soignant, écoute et/ou observation, à mettre en œuvre selon les capacités d’expression de la personne malade. Ce processus est un soin à part entière. Au sein d’un service comme dans le suivi d’un patient à son domicile, il nécessite l’acquisition de connaissances. Quel que soit le secteur d’activité, les soignants doivent pouvoir répondre aux questions suivantes : « Qui est évalué ? Quand ? Qui évalue ? Avec quel(s) outil(s)? Où sont situés ces outils ? Où sont notés les résultats de l’évaluation ? Quel est son devenir ? ».

Qui est évalué ? Quand ?

- Tout patient, au début de sa prise en charge et à chaque entrée dans un service. L’évaluation de la douleur fait partie des paramètres pris en compte pour connaître l’état de la personne. Cette évaluation initiale est requise dans le cadre des mesures de certification (PEP 12).

- Tout patient émettant une plainte. Celle-ci doit être entendue et prise en considération.

- Tout patient bénéficiant d’un traitement antalgique. Une réévaluation est également exigée dans le cadre des mesures de certification (PEP 12).

- Tout patient, avant, pendant et après un soin, en particulier douloureux ou stressant.

Qui évalue la douleur ?

Tout professionnel de santé : médecin, infirmier(1), kinésithérapeute, ergothérapeute, manipulateur en électro-radiologie. Compte tenu de leur proximité avec le patient et de leurs capacités d’écoute et d’observation, les aides-soignants contribuent à l’évaluation. Ils peuvent être formés à l’utilisation des outils d’évaluation sous la responsabilité de l’infirmier. Cet apprentissage est nécessaire pour tout professionnel de santé et doit être proposé aux étudiants.

Comment ?

Classiquement, on distingue deux grands types d’évaluation : l’auto-évaluation, lorsque le patient est capable de s’exprimer ; l’hétéro-évaluation, quand le recours à une tierce personne est nécessaire. Ce tiers peut être un proche qui connaît bien le malade, ou un soignant.

L’auto-évaluation : les moyens disponibles sont l’échelle visuelle analogique (EVA), l’échelle numérique (EN), l’échelle verbale simple (EVS). Trois outils également appelés échelles unidimensionnelles, car ils permettent d’identifier seulement l’intensité de la douleur ressentie par le patient (voir les outils p. 41).

L’hétéro-évaluation consiste à utiliser un outil (souvent appelé « échelle ») adapté à l’état clinique du patient pour identifier les différents paramètres de la douleur. Les outils utilisés ont été validés auprès de nombreux patients, et leur sensibilité concernant le paramètre douleur a été prouvée. À l’heure actuelle, il n’en existe pas qui soient spécifiquement conçus pour les patients atteints de troubles psychiatriques. Un outil adapté à ce type de patients, qui, en outre, ne peuvent pas s’autoévaluer, est en cours d’élaboration(3). Il s’inspire de l’Edaap (échelle d’évaluation de la douleur de l’adolescent et de l’adulte handicapé). Il comprend douze items répartis en trois groupes : retentissement somatique, psychomoteur, psychosocial.

Chez le patient âgé non communicant, en présence ou non de troubles psychiatriques, trois outils peuvent être proposés : Algoplus, Doloplus, ECPA.

À noter : un outil d’hétéro-évaluation doit être utilisé dans son intégralité. Il faut éviter de créer un « outil maison » au prétexte que ceux qui existent ne correspondent pas à ce qui est recherché. Le plus souvent, il s’agit de problèmes dus au manque de connaissances sur les outils ou à la difficulté à observer et à écouter le patient. L’évaluation de la douleur, en particulier chez les patients présentant des troubles de la communication et de la relation, est un soin à part entière, qui implique un apprentissage. La douleur est une expérience singulière, qui nécessite, de la part du soignant, une capacité à accepter ce que dit la personne douloureuse, au travers de la parole, mais aussi au travers de son expression corporelle. Si un item ne correspond pas, il est préférable de noter qu’il est non adapté. Si la majorité des items ne correspondent pas, il faut se poser la question de l’adéquation de l’outil.

Auto et hétéro-évaluation peuvent cohabiter lorsqu’il y a désaccord entre les soignants, ou entre ce qu’exprime le patient et ce qu’observe le soignant. Il ne s’agit pas de prouver au patient qu’il n’a pas mal, mais de se servir de l’évaluation comme d’un outil d’échange avec lui. L’évaluation de la douleur, y compris avec un patient dyscommunicant, s’effectue sur la base d’un dialogue. Ainsi, le soignant pourra dire : « Vous me dites que vous avez mal à 10/10. Moi, quand je vous regarde et que j’essaie d’évaluer votre douleur, je ne comprends pas où et comment vous avez mal. Pouvez-vous m’expliquer ? ». Ou « Pouvons-nous essayer de remplir la grille ensemble ? Cela me permettra de vous proposer un traitement adapté à votre situation ». À noter : à chaque patient doit correspondre un outil d’évaluation de la douleur identifié, qui sera signalé dans son dossier de soins (voir « Traçabilité », p. 43). Pour la réévaluation, les soignants devront utiliser ce même outil (sauf si l’état de la personne soignée se modifie), afin d’écarter le risque d’erreurs d’appréciation.

Mettre les thérapeutiques en œuvre

Il n’existe pas « un » traitement de la douleur, mais un ensemble de traitements médicamenteux et non médicamenteux dont l’association va permettre de soulager le patient dans une situation donnée. Ce traitement, « multimodal », sera adapté à sa situation, il est donc nécessaire d’identifier le ou les types de douleurs qu’il ressent (nociceptive, neuropathique…) et leur cause. Si l’utilisation des médicaments comme des moyens non médicamenteux entraîne de nombreuses questions, il faut insister sur le fait que les patients présentant des troubles psychiatriques peuvent bénéficier de tous les moyens antalgiques aujourd’hui disponibles, dans le respect de certaines règles.

Les moyens médicamenteux

Les moyens médicamenteux disponibles sont :

Les trois niveaux des médicaments antalgiques tels qu’ils ont été définis par l’OMS :

– Niveau 1 : le paracétamol, les AINS, dont l’acide acétylsalicylique, le Nefopam (Acupan®), d’emploi limité chez les patients sous antidépresseurs ou neuro–leptiques.

– Niveau 2 : les traitements à base de codéine, associés ou non (au paracétamol pour l’Efferalgan codéïné® par exemple), la poudre d’opium (Lamaline®).

– Niveau 3 : les morphiniques : morphine, oxycodone, fentanyl, hydromorphone, méthadone (spécifiquement utilisée pour les patients toxicomanes en cours de traitement de substitution) sont des molécules différentes, mais relevant toutes du niveau 3, impliquant les mêmes exigences de surveillance et de prévention des effets indésirables (nausées, constipation, prurit…). Le traitement morphinique se met en place par une titration. Il est conseillé d’associer les opioïdes et les antalgiques de palier 1 pour obtenir une meilleure efficacité et limiter la quantité de morphine utilisée.

Les co-antalgiques : ce sont les myorelaxants, les corticoïdes, les antispasmodiques, les antidépresseurs, les anticonvulsivants (gabapentine). Ces deux dernières familles de médicaments sont spécifiquement adaptées aux douleurs neuropathiques. Les doses utilisées pour les anti-dépresseurs sont plus faibles (en moyenne 50 à 75 mg/j) et agissent de façon plus rapide que pour le traitement de la dépression.

L’association d’un antidépresseur et d’un anti–convulsivant est possible. La dose efficace sera obtenue par une titration sur environ quinze jours. Le traitement des effets secondaires (nausées, vertiges, somnolence) doit être associé.

Les traitements antalgiques ou préventifs locaux : crème analgésiante (Emla®), xylocaïne, emplâtres antalgiques à base de lidocaïne (Versatis®, pour les douleurs post-zostériennes).

Le Meopa (mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote), pour la prévention de la douleur provoquée par les soins.

L’anesthésie loco-régionale (ALR).

> La chirurgie.

Les moyens non médicamenteux

Il s’agit de moyens physiologiques et de méthodes cognitivo-comportementales et psychocorporelles :

Les moyens physiques et physiologiques :

– la cryothérapie/thermothérapie ;

– la kinésithérapie et les thérapies manuelles (ostéopathie, chiropractie) ;

– l’acupuncture, la digipuncture, la réflexologie plantaire, l’auriculothérapie ;

– la neurostimulation transcutanée (TENS).

Les méthodes cognitivo-comportementales : apprentissage, information. Elles font appel aux capacités cognitives de l’individu et pourront donc s’adresser à des personnes atteintes, par exemple, de dépression associée à des douleurs, en particulier lorsque celles-ci sont à l’origine du syndrome dépressif.

Les pratiques psychocorporelles : hypnoanalgésie, distraction, relaxation, méthodes d’origine orientale (qi gong, shiatsu, yoga…), pratiques en lien avec l’art (musique, peinture, théâtre…). Ces méthodes sont souvent déjà très développées en psychiatrie. Les soignants doivent en comprendre les mécanismes d’action et l’intérêt dans ce contexte.

Les pratiques à risque

Certaines pratiques sont présentées comme « à risque » chez les patients atteints de troubles psychiatriques. En cas de schizophrénie, notamment, il faut savoir que l’hypnose, la relaxation, la distraction favorisent la dissociation psychique. Ces méthodes peuvent être employées chez certains malades lorsqu’ils sont stabilisés. Parfois, ce sont les patients eux-mêmes qui les proposent. Les massages peuvent également faire l’objet de réserve dans certaines situations psychiatriques, en raison du morcellement du corps, plus spécifiquement chez les patients psychotiques. On peut aussi se poser la question de l’absence de relation corporelle érigée en méthode de soins absolue pour ces patients qui, finalement, n’ont plus l’expérience du contact avec leurs semblables. L’utilisation du toucher dans les soins, des massages, en particulier de confort et de bien-être, impliquent une adaptabilité à la personne soignée et non l’application d’une posture soignante dogmatique, en particulier en matière de soulagement de la douleur (voir cas clinique n° 3 ci-contre). Comme pour les pratiques utilisant le principe de dissociation, cette approche peut être proposée par des thérapeutes expérimentés, qui connaissent bien leurs patients(4).

En réalité, en psychiatrie, le recours à ces méthodes pour soulager la douleur est facilité, les procédés thérapeutiques étant souvent utilisés pour traiter la maladie mentale. Ils ne sont, le plus souvent, pas identifiés par les professionnels pour leurs propriétés antalgiques, par méconnaissance de la physiologie de la douleur, par manque d’identification des sensations corporelles, en particulier douloureuses, et de leur retentissement sur le comportement des patients.

EXEMPLES DE TRAITEMENT

Dépression grave

Les interactions entre douleur et dépression sont telles qu’il est souvent difficile d’identifier ce qui est à l’origine de la situation. Tous les traitements peuvent être mis en œuvre, il importera toutefois d’accompagner le patient dans un projet de soins cohérent, respectueux de son cheminement. Parfois, le soulagement de la douleur n’est pas la priorité, et il s’agira alors de trouver la ou les réponses pour faire évoluer la situation du patient (voir cas clinique n° 1 ci-contre).

Autisme

Pour les patients autistes, les voies d’administration des antalgiques doivent, dans la mesure du possible, être le moins invasives possible. Concernant les moyens non pharmacologiques, ils n’ont pas fait l’objet de suffisamment d’études. On peut noter qu’en fonction des situations cliniques, les techniques de distraction (musique, bulles de savon, jeux intégrant la respiration, jeux vidéo interactifs correspondant aux capacités du patient), l’hypnose, la méthode du chaud et/ou du froid, les massages peuvent être utilisés. Pour Oberlander et Zelter(5), « une gestion de la douleur réussie nécessite trois éléments » :

– un plan clairement identifié, impliquant les options pharmacologiques et non pharmacologiques ;

– la communication et la prise de décision coordonnée entre l’individu (dans la mesure du possible), les soignants et les cliniciens ;

- un processus d’évaluation continue, afin de maintenir ce plan de gestion sur la bonne voie, en particulier quand le soulagement de la douleur n’a pas été obtenu lors de la première ou de la deuxième rencontre clinique. Les auteurs précisent : « Ne pas ralentir les efforts ». Lorsque les soins doivent se dérouler en dehors du lieu de vie habituel du patient (intervention chirurgicale, par exemple), les spécialistes soulignent l’intérêt de maintenir une relation avec les personnes le connaissant bien.

TRAÇABILITÉ

La traçabilité, obligatoire dans les dossiers des patients, constitue un élément essentiel de la qualité de la prise en charge des patients douloureux. Une évaluation de la douleur, avec mise en place d’un antalgique, doit être suivie d’une réévaluation. L’efficacité comme l’inefficacité des thérapeutiques doivent être notées. Une évaluation sur plusieurs heures, voire plusieurs jours, permet de mieux comprendre les situations les plus complexes, en particulier lorsque les patients ont des difficultés de communication. Un accès à l’ensemble des données enregistrées, que le dossier du patient soit informatisé ou non, est essentiel. Il doit être possible d’effectuer une analyse rétrospective de la situation du patient : identifier les niveaux d’intensité de la douleur, l’efficacité des thérapeutiques, les moments et la durée des phases de douleur…

CONCLUSION

« La qualité d’un système de santé mentale est définie par la prise en compte de l’approche globale du patient, de l’efficacité du traitement proposé mais aussi par le soulagement de la douleur des patients. »(6) Ce soulagement reste difficile malgré des moyens thérapeutiques nombreux. Les questions de sensibilisation et de formation des personnels de soins semblent prioritaires dans un contexte où la pluridisciplinarité et la pluriprofessionnalité s’imposent.

1 – Article du décret des actes infirmiers. (complément).

3 – Lettre de l’Institut Upsa de la douleur (IUD) n° 3

4 – Schwob L. « Le shiatsu : une technique non médicamenteuse de la prise en soins de la douleur physique et psychique ». 10e congrès « Douleur et santé mentale », Paris, 2012.

5 – Oberlander T. F., Zelter L., « Douleur chez l’enfant autiste », Santé mentale et douleur, Springer, 2012.

6 – Saravane D., « Prise en charge et perspectives thérapeutiques » in Santé mentale et douleur, Springer, 2012, p. 239.

ATELIER

Le yoga, une expérience réussie

Isabel Beaufils, infirmière, a animé un atelier de yoga en service de psychiatrie pendant dix ans.

L’atelier yoga est proposé aux patients par les médecins, le psychologue ou les infirmiers, un avis médical étant toujours souhaitable. Le critère de pathologie n’a pas été retenu pour la pratique. Cependant, il a été noté que, lors de la phase aiguë de la maladie, l’atelier n’était pas indiqué, les séances étant collectives. C’est plutôt l’intérêt personnel, l’envie de participer, également les effets escomptés qui ont guidé notre choix. Des séances d’une heure se tiennent régulièrement deux fois par semaine. Leur déroulement et leur rythme (en moyenne sept) permettent aux personnes qui le souhaitent de poursuivre une pratique en ville, après la sortie de clinique. La création d’un espace particulier, où l’on peut travailler à son rythme, a été privilégiée. Les patients suivent les indications données pour chaque posture, il n’y a pas de modèle. Cela demande à chacun un travail de concentration et d’attention dans le présent, et à l’enseignant, un effort pour utiliser des indications simples et claires. Le choix des postures permet un travail complet sur le corps ; le cours progressif de la séance permet aux nouveaux arrivants de s’y retrouver et aux autres, qui participent régulièrement, d’aller de l’avant. Le travail respiratoire (pranayama) favorise la découverte, la prise de conscience de sa propre respiration. Son amplification procure des effets positifs pour la santé, son allongement induit une détente bénéfique, un lâcher-prise et le relâchement des tensions inutiles. Pendant la séance, la porte de la salle reste ouverte. C’est rare qu’une personne sorte, mais il me semble important de laisser cette possibilité. Je me souviens de Mme T, qui pouvait arriver en séance en pleine crise maniaque, et de M. X, parfois en plein délire. Ils effectuaient les postures comme bon leur semblait. Qu’importe, ils étaient là, à chaque séance, respectant l’espace et le silence demandés, et ils disaient se sentir bien. C’était leur propre yoga.

LES OUTILS D’AUTO-ÉVALUATION

L’EVS : très utile, en particulier chez les patients ayant une difficulté d’abstraction avec l’utilisation de l’EVA ou de l’EN. Les items suivants sont proposés au patient : 0 = douleur absente ou pas de douleur ; 1 = douleur faible ; 2 = douleur modérée ; 3 = douleur intense ; 4 = douleur extrême.

L’EVA : réglette horizontale de 10 cm. Le patient déplace le curseur en fonction du niveau de douleur ressentie, entre l’absence de douleur et le niveau de douleur le plus élevé qu’il puisse imaginer. Plus adaptée dans les cas de dépression légère, elle l’est moins pour les patients présentant des troubles cognitifs, des troubles de l’attention, ceux atteints de troubles bi-polaires ou schizophrènes. Elle est déconseillée chez les patients psychotiques, qui s’amusent avec le curseur.

L’EN : il s’agit d’utiliser la parole pour présenter au patient une possibilité de situer sa douleur entre 0 (absence de douleur) et 10 (douleur la plus intense qu’il puisse imaginer). Cela implique un niveau de compréhension et d’abstraction de la part de la personne soignée. Les indications et contre-indications à l’utilisation de cet outil sont identiques à celles de l’EVA.

Le questionnaire douleur Saint-Antoine (QDSA) :

traduit de l’anglais par l’équipe de l’hôpital Saint-Antoine, il permet au patient de préciser le type de douleur ressentie et les émotions qu’elle engendre. Il nécessite une bonne maîtrise de la langue. Il ne convient pas pour les patients schizophrènes, mais peut être utilisé pour ceux souffrant de dépression.

L’échelle des visages :

il s’agit de demander au patient de montrer le visage « qui semble avoir aussi mal que lui ». Ne pas utiliser les termes « triste » ou « heureux ». Elle est recommandée pour les patients schizophrènes (corrélation de 84 %)(2).

À noter : lorsque l’on évalue uniquement l’intensité de la douleur, il faut être vigilant. Si le patient souffre en plusieurs endroits, il indiquera toujours l’intensité de la zone la plus douloureuse, alors qu’il aura été soulagé sur d’autres zones corporelles.

La silhouette : permet au patient de localiser les zones de douleur sur une silhouette, ainsi que leur intensité, grâce à l’utilisation de quatre couleurs (il détermine la légende en fonction de l’intensité des douleurs). Cet outil implique une connaissance et une représentation adaptées du schéma corporel.

À noter : le schéma peut aussi être utilisé par les soignants pour identifier les zones de douleur chez un patient : douleurs liées à la pathologie, à un soin (perfusion, pansement, par exemple), à une plainte douloureuse sans lésion apparente, à une douleur neuropathique. Cet emploi permet à une équipe de porter un autre regard sur le patient.

2 – (Encadré p. 41) Saravane D., « Les modalités d’évaluation de la douleur en santé mentale », Douleur et analgésie, 2011.

Trois cas cliniques

Cas n° 1 : Mme S. occupait des fonctions de cadre supérieur dans une grande entreprise. À la suite d’un accident de la circulation, elle garde des séquelles de douleurs dorsales dont la cause n’est pas clairement identifiée, malgré de nombreuses investigations médicales. Cette douleur l’empêche de reprendre son travail. Progressivement, elle perd le goût de toute chose, son couple est en difficulté. Pourtant, lorsqu’elle arrive en consultation de lutte contre la douleur, dans un état de dépression grave, sa priorité est de régler sa situation sociale car elle est, à ce moment-là, sans ressources, et menacée de devoir quitter son logement. Dans ce cas précis, il appartient à l’équipe d’entendre les demandes prioritaires de la patiente et d’accepter que le traitement de la douleur fasse l’objet d’une consultation ultérieure.

Cas n° 2 : Mme T., patiente atteinte de troubles psychotiques sévères, était hospitalisée en secteur fermé. À plusieurs reprises, elle a présenté des troubles du comportement à type d’agressivité, cherchant à mordre les personnes de son entourage, criant et se plaignant, mangeant la mousse de son fauteuil. Son état risquant de s’aggraver, son traitement a été modifié. Les troubles ont disparu, et sont réapparus ultérieurement et ce à trois reprises, avant que l’équipe soignante fasse le lien entre les menstruations (très irrégulières) et ces « crises ». Un traitement antalgique lors des règles a suffi pour faire disparaître les modifications comportementales de la patiente. La traçabilité de toutes les données s’est avérée d’une grande utilité.

Cas n° 3 : Monsieur M. a été hospitalisé en secteur psychiatrique et placé sous camisole parce qu’il était très agité et agressif sur la voie publique. Il dit avoir reçu des coups lors de son interpellation par les forces de police et se plaint de douleurs dans la zone lombaire. Après un examen médical, le médecin prescrit des antalgiques ainsi que des massages de la zone lombaire avec une pommade à base d’anti-inflammatoires. Après les massages, le patient est calme, et son état d’agitation disparaît. Il s’endort, ce qui étonne beaucoup les soignants, compte tenu de son comportement antérieur.