L'infirmière Magazine n° 326 du 01/07/2013

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

EMMANUELLE DEBELLEIX  

Puéricultrice auprès des enfants « passagers clandestins » des prisons, qui vivent la détention avec leur mère incarcérée, Sylvie Girou met en avant sa simple présence, en soutien à la vie naissante et à la parentalité.

Ils sont 50, peut-être 60 par an. Dont personne ne parle ou presque. Ces 50 ou 60 petits « passagers clandestins des prisons » naissent et grandissent dans l’un des 25 centres de détention français autorisés à accueillir les mères incarcérées et leurs enfants. Comment peut-on être enfant en prison, s’y développer ? Comment vivre une grossesse dans un milieu si hostile ? Comment être mère tout en étant détenue ? Comment se préparer à la séparation, quand la loi n’autorise pas la mère à garder son enfant avec elle passé l’âge de 18 mois ? Et comment, en tant qu’infirmière puéricultrice, accompagner mamans et jeunes enfants dans ce lieu hors du commun, à mille lieux de la naissance et des premiers pas rêvés ? Ces questions ont habité Sylvie Girou durant les dix-sept ans où, à l’occasion de son travail de secteur, elle a accompagné mères et nourrissons de la prison de Gradignan (Gironde). Des questions interrogeant sa pratique en permanence. La puéricultrice a été guidée par ce qui l’a toujours fait vibrer : le soutien à l’enfant et à la parentalité, sans jugement, ni discrimination.

Le rêve de sa mère

Au départ, pourtant, Sylvie ne s’imaginait pas infirmière. Elle voulait « travailler avec les enfants », mais elle ne savait pas sous quelle forme. « Le rêve d’une carrière de soignante, c’était celui de ma mère », confie-t-elle. Un rêve fruit d’un vécu familial douloureux : le décès, quand Sylvie avait 9 ans, de son père, atteint d’une pathologie lourde. Le soin, elle n’y songe qu’en terminale. La jeune fille n’a aucune appétence pour les bancs de la fac. Alors, infirmière, pourquoi pas ? Et, au détour de ses études à l’Ifsi, elle est séduite, tout à la fois par « la découverte du fonctionnement du corps humain » et « le prendre soin, entendu comme une possibilité d’aider les autres ». Son DE en poche, elle fait ses gammes en psychiatrie. Car le geste technique, c’est en fait « très peu pour elle ». Ce qui l’anime, c’est « la facette relationnelle du métier ». L’exercice se révèle « d’une richesse incroyable », mais, très vite, elle se sent frustrée par les cadences du service et « le manque d’espaces de concertation ». Elle enchaîne alors les expériences – en libéral, en laboratoire d’analyses médicales, et, surtout, en centre de vacances et en crèche. En 1989, elle saute le pas, et s’inscrit en école de puéricultrice. Qui lui ouvre les portes de la PMI de Gironde.

Pourquoi la PMI ? « Parce que l’exercice est synonyme de diversité. Et qu’il est fondé sur la relation d’aide », explique-t-elle. Durant trois ans, Sylvie exerce sur le secteur de Saint-Médard-en-Jalles, en banlieue de Bordeaux, et d’Audenge, sur les bords du bassin d’Arcachon. Accompagnement de jeunes couples anxieux au retour de la maternité, d’enfants prématurés, suivi des assistantes maternelles, soutien à l’allaitement… Elle assied son goût pour l’exercice, d’autant qu’Audenge est une commune rurale où le manque de structures d’accueil et de soins de proximité met en relief les besoins des enfants et des familles. Elle effectue alors aussi ses premières visites à domicile dans le cadre de signalement d’enfants en danger. « Des prises en charge complexes, mobilisant à l’extrême écoute et regard professionnels », commente-t-elle. Un rôle certain d’expertise, mené de concert avec les collègues de PMI (médecins, assistantes sociales…) et des services d’aide sociale à l’enfance. Sylvie évoque ce petit garçon de 9 ans, rencontré alors qu’elle venait de changer de secteur, pour travailler à Villenave-d’Ornon et Gradignan, toujours en banlieue bordelaise. Un enfant victime de maltraitances psychologiques de la part de son père qui le rêvait concertiste, au point d’avoir multiplié les brimades, devenues quotidiennes. « Mot après mot, l’enfant a pu dire sa souffrance, et le père, prendre conscience de ses actes, raconte-t-elle. Cela a été douloureux, d’autant que l’expertise s’est soldée par un départ de l’enfant chez sa mère. Une séparation motivée par le bien-être du jeune garçon. Mais que nous avons tenté d’accompagner aussi, pour que le lien père-fils qui avait viré à la maltraitance renaisse, autrement. » Est-ce en raison de ce genre de situations qu’elle aime son métier ? Pas seulement. « Rassurer un couple en difficulté au sortir de la maternité, c’est gratifiant aussi, juge-t-elle. De même que l’accccompagnement de parents étrangers et de leurs enfants en centre d’accueil pour demandeurs d’asile à Villenave-d’Ornon, notamment. »

Conditions d’enfermement

Sylvie se souvient de son premier jour à la prison, en 1994. Les cris le long des couloirs, les cellules surpeuplées, les barreaux de fer. « La prison, ou l’antithèse d’un endroit “normal” où vivre pour des enfants. Un lieu où ils subissent les conditions d’enfermement de leur mère », regrette-t-elle. D’autant que, précise l’infirmière, jusqu’aux années 1980, aucun suivi soignant spécifique mère-enfant n’y est organisé – la première intervention d’une puéricultrice de PMI à Gradignan date de 1988. Jusqu’à la parution d’une circulaire, en 1999, aucun aménagement spécifique n’est prévu par les textes. « À l’arrivée de ma collègue de secteur, en 1988, et même lors de la mienne, mères et enfants partageaient une cellule de 7 m2, porte close 22 heures sur 24, sans eau chaude, sans douche. Pas de repas spécifiques pour les enfants. Pas d’espace de jeu. Rien. » Le premier « combat » de Sylvie, de sa collègue et du médecin de PMI, consiste alors à œuvrer pour que les femmes aient les moyens, ne serait-ce que matériels, d’être mères, et les enfants d’être enfants. Suite à la parution de la circulaire de 1999, notamment, des aménagements améliorent leur quotidien : un espace spécifique pour trois mères et leurs enfants, dénommé « nursery » par l’administration pénitentiaire, est créé. Les cellules, de 15 m2, permettent de séparer l’espace de sommeil de la mère de celui de l’enfant, et sont dotées d’eau chaude et d’une douche. Leurs portes sont ouvertes en journée, avec accès à une salle de préparation de repas, à une salle de jeux, et à une cour spécifique. Une sage-femme de PMI et un psychomotricien sont autorisés à intervenir. « Mais, ces réalisations ne résolvent pas tout, explique Sylvie. En prison, tout est compliqué. Quid des aliments nécessaires aux enfants – qui les commande ? Et les paie ? Quid d’un couteau pour éplucher des légumes ? De l’accès à une machine à laver ? À des bougies d’anniversaire ? Autant d’objets habituellement interdits en détention. Être puéricultrice en prison, c’est, au quotidien, se battre pour toutes ces petites choses. »

Pas de jugement

« Et c’est aussi l’idée qu’une femme est libre d’être mère dans un lieu qui la prive de liberté, sans préjuger de ses capacités maternelles sous prétexte qu’elle a pu commettre des actes répréhensibles pour la société », souligne Sylvie. Ne pas juger. Mais bien, comme à l’extérieur, soutenir les mères, et veiller au bon développement de l’enfant. « Cela passe par beaucoup de soutien, notamment à celles que vécu chaotique et fragilité psychologique laissent démunies face à leur enfant. Nous les accompagnons, par exemple, à une activité partagée avec leur enfant. Ou leur apprenons comment nouer le lien avec leur tout-petit – massage, comptines, chansons qui le bercent, une fois le soir venu et les cellules fermées, comme plus tard, lorsqu’elles seront libérées. » Soutien, donc, au lien mère-enfant. Et au lien de l’enfant avec le monde extérieur – avec son père, même si celui-ci est souvent absent, avec sa famille. « Le quotidien d’un enfant vivant en prison, c’est le bruit des clés dans les serrures et des cris des détenues, les murs gris d’une cellule et un bout de cour grillagée. Favoriser leurs sorties à l’extérieur est primordial », souligne Sylvie. Promenades, visites familiales, accueil en crèche ou halte-garderie… Le rôle de puéricultrice en prison est là, aussi. « Un rôle exigeant en termes de positionnement professionnel, souligne Sylvie, car ces accompagnements font de nous, en quelque sorte, le prolongement, à l’extérieur, de la mère auprès de son enfant. D’où l’importance des réunions de supervision organisées par une psychologue », précise-t-elle. Nous travaillons sur les temps de “l’après-prison”. Celui de la séparation, imposée aux 18 mois de l’enfant. Et celui qui suit la sortie de la mère, lorsqu’ils se retrouveront ensemble, “dehors”. »

MOMENTS CLÉS

1960 Naissance à Limoges.

1982 Diplôme d’État d’infirmière (Limoges).

1982-1984 Exerce en psychiatrie adulte, à Limoges.

1985-1989 Travaille en centres de vacances, en libéral, en laboratoire d’analyses médicales, et en crèche, à Limoges puis à Montreuil.

1990 Diplôme d’infirmière puéricultrice (Niort).

1991 Entre à la PMI, au conseil général de Gironde.

1994-2011 En poste à la PMI sur les secteurs de Villenave-d’Ornon et de Gradignan, où se situe la prison.

POUR ALLER PLUS LOIN

→ Le site d’information sur les prisons de l’association Ban public, http://prison.eu.org

→ Le site du ministère de la Justice, http://www.justice.gouv.fr

→ Femmes en prison. Dans les coulisses de Fleury-Mérogis, de Martine Schachtel, (infirmière), Éd. Albin Michel.

→ Ombline, un film de Stéphane Cazes (2012).

→ Le mail de Sylvie Girou : girou.sylvie@orange.fr

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