Ancienne infirmière, mère de deux enfants atteints d’une maladie rare, Viviane Viollet s’est rapidement engagée dans le militantisme associatif.
Aujourd’hui vice-présidente de l’Alliance maladies rares, elle dresse le bilan de treize ans de combat.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment êtes-vous devenue l’une des fondatrices de l’Alliance maladies rares, en 2000 ?
VIVIANE VIOLLET : Il me faut résumer mon parcours personnel. Mes fils, qui ont aujourd’hui 34 et 32 ans, sont tous deux atteints du syndrome de l’X fragile. Après des années d’errance médicale, d’incompréhension du monde éducatif et médico-social face à leurs troubles du comportement, et de désespoir de ma part, le diagnostic a fini par être posé. Dans les années 1980, je travaillais encore comme infirmière dans un service de réanimation ; j’étais fatiguée, on me disait « stressée » ; j’ai bénéficié de bien peu d’égards et de compréhension dans le monde hospitalier, qui ne l’est pas tant que ça… Un jour, cependant, un pédiatre de cet hôpital m’a dit avoir lu un article dans une revue britannique évoquant les symptômes de mes fils. Il a écouté mon désarroi ; cela a été le plus beau jour de ma vie ! J’ai été orientée vers un médecin strasbourgeois, le Pr Jean-Louis Mandel, qui a identifié officiellement le syndrome de l’X fragile en 1991. Une analyse ADN a permis de poser le diagnostic chez mes fils dès 1989. Lorsque j’ai demandé au service génétique de l’hôpital de Strasbourg s’il existait une association de patients, la réponse a été négative. Aussi, avec mon mari, lui aussi infirmier, nous avons décidé d’agir.
Nous avons créé l’association du syndrome de l’X fragile, « Le Goëland », en 1990, avec une amie et un médecin traitant. À partir de là, j’ai travaillé à temps partiel pour me consacrer au militantisme associatif. Et j’ai pris ma retraite anticipée en 1998, afin de m’investir dans des formations. Il existe peu de traitements contre les maladies rares. Souvent, il faut en premier lieu agir sur l’accompagnement, l’éducation, des méthodes comportementales pour faciliter l’intégration sociale des malades, notamment dans le cas du syndrome de l’X fragile.
L’I. M. : Pourquoi avoir créé l’Alliance ?
V. V. : L’événement déclencheur, si l’on peut dire, a été un forum sur les maladies rares organisé dans le sillage des états généraux de la santé, en 1999. Plusieurs associations de maladies rares ont pris conscience de leur isolement. Chacune d’elles représentait trop peu de malades pour intéresser les pouvoirs publics, la médecine, la recherche, l’industrie pharmaceutique… C’est donc la volonté commune d’une poignée d’associations – dont Le Goëland – qui a mené, en 2000, à la création de l’Alliance. Celle-ci regroupe plus de 200 associations et représente 2 000 maladies rares. Elle s’est donné plusieurs missions : faire connaître et reconnaître les maladies rares auprès du public, des pouvoirs publics et des professionnels de santé ; accompagner les associations de patients ; améliorer la qualité et l’espérance de vie ; promouvoir la recherche.
Certes, l’Alliance recouvre un très grand nombre de pathologies différentes. Mais, depuis l’origine, nous travaillons sur la notion de transversalité. Quel que soit le diagnostic, les patients suivent souvent le même cheminement : diagnostic, prise en charge médicale, intégration sociale, traitements, recherche…
L’I. M. : L’Alliance maladies rares a participé à l’élaboration du Plan national maladies rares I (2004-2008). Quelles en étaient les grandes lignes ?
V. V : Ce plan avait pour objectifs de favoriser le diagnostic précoce et de développer une prise en charge adaptée. Il visait aussi à reconnaître les centres hospitaliers qui faisaient référence dans la prise en charge. Ces centres ont été labellisés par la Haute Autorité de santé. Aujourd’hui, toutes les pathologies rares bénéficient d’un centre de référence. Il en existe 131 sur le territoire, dont certains voués à plusieurs pathologies. En complément, des centres de compétences, qui assurent un maillage de la prise en charge sur toute la France, ont vu le jour. Il y en a 502 aujourd’hui. Leurs coordonnées sont disponibles sur le site d’Orphanet. Les patients se sentent moins isolés et moins confrontés à l’errance diagnostique.
L’I. M. : Qu’en est-il du Plan II, portant sur la période 2011-2014 ?
V. V. : Sa première grande réalisation a été la création de la Fondation pour les maladies rares, dirigée par le Pr Nicolas Lévy, qui va donner un coup d’accélérateur à la recherche, une dimension fondamentale pour améliorer la prise en charge. Par ailleurs, à l’issue du Plan I, il était apparu indispensable de proposer un service de proximité aux patients, car le maillage par les centres de référence et de compétences ne suffit pas : la coordination entre les secteurs sanitaire et social laisse encore à désirer. Une instance pilote a vu le jour dans les Pays de la Loire, en 2010 : la Plate-forme régionale d’information et d’orientation maladies rares (Prior). Cette structure expérimentale, qui regroupe généticiens, psychologues, ergothérapeutes, assistantes sociales…, a fait ses preuves. Elle conseille, notamment, les parents pour la scolarisation ou l’accueil des enfants dans un centre spécialisé. Dans le Sud, le réseau VADLR (Vivre avec une anomalie du développement en Languedoc-Roussillon), qui a été créé en 2009, fonctionne sur le même principe. Le Plan II insiste sur l’importance de développer ce type de structure dans les différentes régions. De notre côté, nous travaillons de plus en plus avec le monde du handicap, notamment l’Unapei (Union des parents et amis de personnes handicapées mentales), car certaines maladies rares engendrent une déficience intellectuelle préjudiciable à l’insertion sociale. Le bilan est plutôt encourageant, mais la mobilisation doit se poursuivre. Certaines maladies rares sont très connues et bénéficient d’une bonne prise en charge, comme la mucoviscidose ; d’autres ne sont pas logées à la même enseigne. Nous espérons qu’un plan III sera mis en place.
L’I. M. : Comment se passent l’accès et la prise en charge des médicaments orphelins ?
V. V. : Nous sommes évidemment concernés par ces médicaments. Nos maladies étant rares, les laboratoires sont peu enclins à développer et produire des médicaments. C’est pourquoi un règlement européen, en 1999, leur a donné des incitations, comme, par exemple, une exclusivité commerciale de dix ans. Plus de 65 médicaments orphelins sont aujourd’hui disponibles et pris en charge par la collectivité ; nous sommes donc très satisfaits. Mais, dans le contexte de crise, on commence à dire que ces médicaments coûtent trop cher à la société. Nous devons donc être vigilants pour que ces incitations soient pérennisées. L’Alliance porte deux messages : la société doit être solidaire de tous ; et promouvoir ces médicaments, c’est promouvoir l’innovation, qui bénéficiera à toutes les maladies. Un exemple : le Pr Nicolas Lévy mène des recherches sur la progéria, une maladie du vieillissement précoce – à l’origine des « enfants vieillards ». On sait aujourd’hui que ces avancées pourront bénéficier aux malades du sida.
L’I. M. : Les infirmières ont-elles un rôle à jouer dans la prise en charge ?
V. V. : Les infirmières se trouvent au plus près des patients. Elles ont un rôle d’accueil et d’écoute lors des hospitalisations. Je songe aux infirmières hospitalières mais aussi libérales, scolaires, ou exerçant dans les instituts médico-éducatifs (IME)… Dans le cadre d’une prise en charge de long terme, les soignantes pourraient intervenir dans l’éducation thérapeutique des patients, mais aussi assurer la coordination des soins et faire le lien entre l’équipe pluridisciplinaire et la famille. Il serait bon de créer des postes d’infirmière coordinatrice dans les services de proximité tels que Prior.
L’I. M. : Les médecins sont-ils aujourd’hui mieux informés sur les maladies rares ?
V. V. : Nous avons beaucoup communiqué auprès d’eux, pour faire passer le message suivant : face à un malade qui présente à plusieurs reprises les mêmes symptômes, pensez à une maladie rare et orientez-le vers une consultation de génétique. Aujourd’hui, la situation s’est améliorée. Le portail Orphanet est très utile et bien fourni. Il permet, via un moteur de recherche, d’identifier des pathologies à partir de symptômes. Les infirmières ont aussi intérêt à s’informer sur les maladies rares, notamment via ce portail. Tous les Ifsi devraient proposer des modules sur ce sujet. L’ensemble des professionnels de santé doivent rester en éveil, car les maladies sont rares, mais les malades sont nombreux, comme le dit le slogan de l’Alliance…
→ www.alliance-maladies-rares.org.
→ Maladies rares Info service : 01 56 53 81 36.
→ www.orpha-net.fr : portail des maladies rares et des médicaments orphelins.
VICE-PRÉSIDENTE DE L’ALLIANCE MALADIES RARES
→ Entre au service de réanimation d’un CH de Basse-Normandie en 1974.
→ Diagnostic de syndrome de l’X fragile pour ses deux fils en 1989.
→ Crée « Le Goéland » en 1990.
→ Prend sa retraite anticipée en 1998. Se lance dans le militantisme associatif. DU « Accompagnement des enfants et des familles atteintes de maladies génétiques » à la Pitié-Salpêtrière.
→ Co-fondatrice de l’Alliance maladies rares en 2000.
→ Déléguée de l’Alliance en Basse-Normandie entre 2004 et 2008.
→ Préside l’Alliance de 2010 à 2013. Vice-présidente depuis avril.
→ Moins d’1 personne sur 2 000 affectée.
→ En France : plus de 3 millions de personnes atteintes, et 1 personne sur 20 concernée.
→ 7 000 cas dont 80 % d’origine génétique.
→ Concernent aussi certains cancers, des pathologies infectieuses ou auto-immunes.