PERSONNES HANDICAPÉES
SUR LE TERRAIN
ENQUÊTE
L’accès aux soins hospitaliers pour les personnes handicapées reste compliqué : difficulté d’expression des uns, appréhension des autres, manque de formation et d’accompagnement… Quelques équipes montrent pourtant l’exemple, en s’appuyant sur la coordination des soins.
Nous avons créé le dispositif Handiconsult pour remédier aux échecs d’accès aux soins en milieu ordinaire de patients lourdement handicapés dans la région », résume le Dr Jean-Henry Ruel, coordinateur de l’unité créée au sein du centre hospitalier régional d’Annecy (Haute-Savoie), qui accueille ces patients depuis avril 2012. Auparavant, l’établissement reçevait beaucoup de personnes en situation de handicap via son service des urgences, porteurs de pathologies compliquées par le retard de soins. « Dès 2009, nous avons entamé une réflexion avec les associations de patients et les établissements médico-sociaux, afin de remédier à ces situations. Notre solution était de créer une plateforme privilégiée », explique le médecin. Les données sur l’accès aux soins des personnes handicapées sont rares et dispersées. Pascal Jacob, auteur d’un récent rapport sur l’accès aux soins, estime, par exemple, que 80 % des personnes handicapées qui se déplacent aux urgences en ressortent 12 ou 24 heures plus tard sans avoir reçu aucun soin, parce que leurs besoins n’ont pas été compris ou que les équipes n’ont pas su y répondre. Une enquête menée par l’assurance maladie en 2005 montrait que les enfants handicapés de 6 à 12 ans ont quatre fois plus de risques que les autres de présenter un mauvais état de santé bucco-dentaire. Enfin, une recherche réalisée par la mutuelle Intégrance montrait, en 2007, que parmi les sociétaires, les personnes handicapées recouraient deux fois moins souvent au forfait ophtalmologique que l’ensemble de la population. Les facteurs économiques comptent, mais ils ne sont pas seuls en cause.
Les associations de patients revendiquent aujourd’hui une adaptation du système de soins pour une meilleure prise en charge de leur santé en milieu ordinaire. Historiquement, les premiers lieux de soins adaptés aux personnes handicapées sont les unités d’accueil et de soins pour personnes sourdes. La première a été créée en 1996 à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpétrière, puis le dispositif s’est développé à partir de 2001 pour compter aujourd’hui, douze unités régionales et deux unités de santé mentale. Là, des professionnels de santé bilingues français-langue des signes, mais aussi des interprètes permettent l’accès au système de droit commun. « Les intermédiateurs complètent également le dispositif », explique Benoît Drion, urgentiste et coordinateur du réseau Sourds et santé du Nord-Pas-de-Calais, basé à l’Institut catholique de Lille. Il s’agit de professionnels de santé sourds exerçant leur fonction dans l’hôpital et qui peuvent être sollicités pour accompagner un patient. « Ils ont leur diplôme et un excellent niveau en langue des signes, précise Benoît Drion. Surtout, ils connaissent des formes variées de langue des signes, ils ont appris à s’adapter, à réexpliquer les choses dans un niveau de langue différent, avec des supports visuels. » La spécificité de l’unité d’accueil et de soins en langue des signes de l’Institut catholique de Lille réside dans le fait qu’elle est la seule constituée en réseau. « Cela permet au patient de choisir l’établissement de soins ou le médecin les plus proches de chez lui. Les rendez-vous ne sont pas pris directement par le patient mais par le secrétariat de l’unité, qui organise aussi la présence des interprètes ou des intermédiateurs nécessaires. » La coordination est, en effet, l’un des maîtres mots dans l’accès aux soins des personnes handicapées. Au centre hospitalier régional d’Annecy, le dispositif Handiconsult a lui aussi mis en place un numéro unique d’appel et un secrétariat dédié. Des créneaux de consultations spécifiques sont réservés dans les services. Jean-Henry Ruel explique qu’il faut consacrer davantage de temps à ce public. Quinze minutes pour un patient en échec de soins depuis plusieurs années, qui a parfois perdu confiance dans l’institution hospitalière, qui peut être désorienté par la découverte du lieu, cela ne suffit pas. « Il faut reconnaître que certains de ces patients ont besoin d’un temps d’approche particulier et que tous ne peuvent pas rester une demi-heure dans la salle d’attente, poursuit le médecin. Le mieux est de sanctuariser des créneaux horaires, et de regrouper les demandes de rendez-vous que nous recevons. » Pour le moment, douze consultations ont été spécifiquement identifiées à Annecy : la gynécologie, l’ophtalmologie, l’ORL, la stomatothérapie, la prise en charge de la douleur, l’audiophonologie, la consultation spasticité, la dermatologie, la médecine physique et de réadaptation, les soins dentaires, la pneumologie, l’épileptologie. « Bien-sûr, il ne s’agit pas d’interventions en urgence, remarque Marie Claude Grenier, l’une des deux infirmières du dispositif. Nos délais d’attente vont de trois semaines à deux mois, pour nous permettre de réunir plusieurs patients sur un même créneau et de préparer l’opération si des matériels spécifiques sont nécessaires. » À Châtellerault (Vienne), l’accueil spécifique prend la forme d’un hôpital de jour au sein du centre hospitalier Camille-Guérin, créé en 2011. Le service, installé dans un secteur un peu isolé de l’hôpital, mais proche du parking et facile d’accès, est composé d’une salle d’attente, des bureaux de l’équipe, d’une chambre à deux lits. Il accueille des patients porteurs de différents types de handicap : « 33 % de nos patients présentent des retards mentaux, 20 % souffrent d’autisme, 13 % sont atteints de polyhandicap et autant ont des déficits sensoriels, explique le Dr Agnès Michon, praticien contractuel. Enfin, nous avons 20 % d’“autres”, qui recouvrent, notamment, des patients d’Ehpad avec des pathologies neurodégénératives. » Les personnes y sont prises en charge globalement, un bilan somatique est mené dès le premier rendez-vous, piloté par Agnès Michon. « Au besoin, on pourra coordonner des examens invasifs avec une intervention exigeant une anesthésie générale, ajoute le docteur. Par exemple, récemment, nous avons combiné une coloscopie avec des soins dentaires sur le même temps d’anesthésie… » L’infirmière ou le médecin accompagne la consultation, aide au déshabillage, assiste pour la mobilisation du patient. « Notre présence permet de décharger l’accompagnant, qui, de son côté, peut passer plus de temps avec le médecin pour poser des questions », remarque encore Agnès Michon. Dans toutes ces unités spécialisées, la formation des personnels est importante. « Nous suivons régulièrement des sessions, précise le médecin. Notamment sur le polyhandicap, l’autisme, l’évaluation de la douleur. Cela nous permet de mieux comprendre les conséquences de la douleur sur les troubles du comportement, par exemple. » Mais c’est aussi la préparation de la venue à l’hôpital, deuxième maître mot, qui facilite l’accès aux soins.
À Annecy, l’équipe d’Handiconsult a, par exemple, mis en ligne une vidéo qui montre le parcours à suivre pour parvenir jusqu’à l’accueil depuis le parking. « Nous avons également mis en ligne nos photos pour que les patients puissent se familiariser avec l’équipe », explique Jean-Henry Ruel. Au besoin, une visite du service peut être organisée pour les patients les plus craintifs. Et le temps passé à organiser les rendez-vous permet de recueillir les informations nécessaires au bon déroulement de la consultation. « Nous constituons un dossier très complet, que l’on appelle fiche de coordination, indiquant les besoins particuliers du patient, les informations sur ses précédentes consultations, ses traitements… », décrit Louisa Chevaleyre, cadre supérieure de santé et cadre de proximité sur le dispositif Handiconsult. L’hôpital Ambroise-Paré de Garches le confirme. « Dans l’urgence, on ne peut pas faire du bon travail », note le Dr Philippe Denormandie, chirurgien du service d’orthopédie. Dans son service, 14 lits sont réservés à des patients handicapés. « Nous réalisons des interventions qui permettent de réparer ou d’atténuer des déformations des membres d’origine neurologique centrale, résume le médecin. Habitués à prendre en charge des patients handicapés, nous avons donc mis en place une organisation particulière. » Trois semaines avant l’admission de tout patient, sa fiche de liaison (un document développé au sein de la mission handicap de l’AP-HP) doit avoir été remplie. Celle-ci comprend des données sur l’autonomie du patient, sur ses besoins spécifiques en aides techniques ou dispositifs médicaux, des renseignements sur son comportement, sa mobilité, sa motricité, des précisions sur son état sensoriel, la qualité de son sommeil, son alimentation habituelle, sa capacité d’élimination, son besoin d’assistance respiratoire, le risque de crises d’épilepsie, l’expression de la douleur… « Il n’est pas question de faire moins bien avec un patient handicapé qu’avec un autre patient, nous devons donc nous adapter à ses besoins pour que son autonomie soit conservée, que sa douleur particulière soit prise en charge, que ses déficits soient compensés », remarque Isabelle Cauchetier, cadre de soins du service d’orthopédie.
Un staff réunissant l’assistante de service social, l’infirmière programmatrice et la secrétaire du service permet de faire le point tous les quinze jours sur les admissions à venir. Toutes ces données préparent l’accueil du patient dans les meilleures conditions et le respect de son autonomie. La fiche comprend également des données sur la destination de sortie du patient. « Chez nous, ce n’est pas le chirurgien qui décide de l’agenda, ce sont plutôt les places disponibles dans les centres de rééducation », résume Philippe Denormandie. La mise en place de documents de liaison est aussi particulièrement importante pour le Dr Carole Bernard, médecin de rééducation physique et présidente du réseau R4P (Réseau régional de rééducation et de réadaptation pédiatrique en Rhône-Alpes). « Certains parents d’enfants handicapés sont très organisés, ils se déplacent en emportant de gros dossiers à chaque fois qu’ils viennent à l’hôpital. Mais d’autres en ont un peu assez de devoir tout coordonner. Quant aux établissement médico-sociaux ou aux personnes polyhandicapées, vous imaginez, se déplacer chaque fois avec tous ces documents ? », lance-t-elle. Le réseau R4P a donc imaginé un dossier médical en ligne qui conserve la mémoire du suivi médical de la personne, le carnet de soins et de suivi spécifique (C3S). Il contient les comptes rendus d’examens et de consultations, les radios, résultats d’examens, le projet individualisé de soins, des informations sur les habitudes de vie, le parcours médical, psychologique et socio-éducatif de l’enfant ainsi qu’une aide aux démarches administratives. « Et, surtout, le C3S est ouvert par la famille, c’est elle qui autorise l’accès au professionnel de santé », remarque Carole Bernard. Le document, en développement depuis quatre ans dans la région Rhône-Alpes, devrait être expérimenté dans deux autres régions françaises. Mais la question du financement, pour tous ces dispositifs, reste posée. À Annecy, le financement de l’ARS a, jusqu’à présent, permis d’investir dans du matériel adapté et de compenser le temps passé en consultation par les soignants. Mais, à Chatellerault, l’hôpital de jour, bien que porté par une association qui l’aide à s’équiper, il faut se battre chaque année pour une subvention ARS qui couvre le temps passé en consultation… « Et ce malgré un nombre de consultations en constante augmentation. Déjà 300 en 2013 », regrette Agnès Michon. Souhaitons que le rapport Jacob, commandé par le ministère de la Santé et rendu en juin dernier, incite à encourager et à développer le financement de ces dispositifs.
« Notre présence permet de décharger l’accompagnant, qui, de son côté, peut passer plus de temps avec le médecin pour poser des questions. »
Dr Agnès Michon, praticien contractuel au centre hospitalier Camille-Guérin, Châtellerault (Vienne).
→ Le rapport sur l’accès aux soins et à la santé des personnes handicapées est accessible en ligne : http://bit.ly/18ZXmAi
→ « Si tu savais » et « Si on voulait », deux films réalisés par l’association I = MC2, présentent les témoignages et propositions de personnes handicapées, de leurs proches, et de professionnels de la santé et de l’accompagnement. Ils sont disponibles auprès de l’association www.iegalemc2.org/
→ La mission handicap de l’AP-HP met en ligne les comptes-rendus de journées d’étude, des documents d’orientation pour une organisation des soins adaptés, les fiches de liaison, un répertoire des aides techniques et consultations spécialisées… http://handicap.aphp.fr