« Il faut encourager la compréhension ! » - L'Infirmière Magazine n° 329 du 15/09/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 329 du 15/09/2013

 

INTERVIEW : LAURENT DEGOS MÉDECIN HÉMATOLOGUE ET CHERCHEUR. PRÉSIDENT DE LA HAUTE AUTORITÉ DE SANTÉ (HAS) JUSQU’EN 2010.

DOSSIER

Pour le chercheur Laurent Degos, l’erreur est bonne en soi, car son analyse permet aux professionnels d’en réduire les occurences. Mais, déculpabiliser les soignants participe d’une philosophie qui peine à s’appliquer en France, où la sanction est encore privilégiée, contraignant la parole et freinant les démarches d’évolution des pratiques.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Qu’est-ce que l’erreur médicale ?

LAURENT DEGOS : Il faut distinguer la faute, qui est volontaire et entraîne une vraie culpabilité, de l’erreur, qui s’apparente plus à un événement inattendu. Quand on construit un château de cartes, tout peut s’écrouler d’un coup. Ce n’est pas à cause de la dernière carte posée : le château était fragile en raison d’une succession de petites malpositions. Ce n’est pas le dernier maillon qui est fautif ! C’est pour cela qu’il ne sert à rien de culpabiliser la personne qui a commis une erreur. Au contraire, si l’on veut tenter de réparer, tout le monde doit pouvoir parler. Or, dès que l’on cherche un coupable, plus personne ne parle.

L’I. M. : Dans votre livre(1), vous insistez sur les vertus de l’erreur.

L. D. : Dans tout système évolutif, on avance à tâtons. Il n’y a rien de pire que ce qui est figé. Voyez Kodak, qui n’a pas voulu passer au numérique. L’entreprise a déposé le bilan en janvier 2012 alors qu’elle faisait de très beaux films ! Errer, c’est le moteur de la vie. Beaucoup de prix Nobel sont dus à des erreurs. Une fois, dans mon service, l’infirmière a injecté un médicament non prescrit à un patient paralysé, qui s’est remis à marcher ! Qui, le premier, a eu l’idée de donner de l’interféron pour traiter les leucémies ? Cela a dû être un hasard. Et si nous sommes des hommes, et non des bactéries, c’est grâce à l’évolution, un ensemble d’erreurs génétiques. On paie cela par des malformations. L’erreur est bonne, à nous de la dédramatiser.

L’I. M. : Pourtant, en tant que président de la HAS, vous avez dû lutter contre l’erreur médicale…

L. D. : Je voulais plus de sécurité, car, en France, 10 % des personnes hospitalisées subissent un événement indésirable lié aux soins. Mais il y a plusieurs façons d’envisager cela. Prenez l’aviation, qui était peu sûre avant guerre. Les aviateurs se sont dit : « Il faut que l’on se retrouve entre nous, et que l’on explique ensuite ce qu’il faut réparer. » Résultat, l’aviation est aujourd’hui très fiable, et plus personne ne parle des dégâts passés. Dans ce cas, on a préféré supprimer la transparence au profit de la sécurité collective. La loi américaine dite Patient Safety Act relève du même principe, également appliqué au Danemark et en Australie : les soignants mènent une enquête fermée pour déterminer ce qui n’a pas fonctionné. Il faudrait la même chose en France, mais les juges et les médias aiment avoir un nom, désigner un coupable.

L’I. M. : Vous dites vouloir déculpabiliser les soignants…

L. D. : Quand une erreur médicale est commise, il y a deux victimes : le patient, et celui par qui l’erreur est arrivée. Il y a autant de travail psychologique à faire avec ce dernier qu’avec la victime. Sinon, on prend de grands risques, comme le suicide de ce médecin de « Koh Lanta » que l’on a culpabilisé tout de suite. Les infirmières sont souvent mises en cause, car ce sont elles qui font. Moi, je les félicite quand elles font une erreur, car elles révèlent ce qui ne fonctionne pas dans le système. Mais, en France, nous devons faire des rapports dès qu’il se passe quelque chose, alors que dans les pays anglo-saxons, on parle de « no blame, no shame ». Ce sont deux philosophies différentes, celle de la sanction, et celle de la compréhension.

L’I. M. : Comment pensez-vous que l’on devrait agir ?

L. D. : En général, ce sont des circuits locaux qui sont en cause, par exemple une mauvaise communication entre les services. Il faut donc travailler sur un cas plutôt que de vouloir être exhaustif. À la HAS, nous avons choisi d’analyser des cas où il n’y avait pas eu de dommages. Comme tout le monde pouvait parler sans gêne, nous avons pu trouver ce qui avait permis que l’erreur soit stoppée, et, ainsi, renforcer ces barrières.

L’I. M. : Croyez-vous à l’utilité des protocoles ?

L. D. : Quand on commence à faire des check-lists, on ne fait plus que ça. C’est ce qui est arrivé dans le domaine de la transfusion, aujourd’hui très sûre. Mais elle ne pourra plus évoluer à moins d’un saut technologique. Il vaut mieux laisser de l’autonomie aux gens plutôt que de fixer des procédures, même si, en médecine, les moments de prescription sont inévitables. Mais, si l’infirmière doit jouer le rôle du médecin, qu’elle le fasse ! Une étude américaine a montré que selon les hôpitaux, le nombre de morts variait du simple au double. Ce qui faisait la différence, ce n’était pas les procédures, mais le fonctionnement des équipes.

1- Éloge de l’erreur, éditions Le Pommier, 2011, 128 p., 12 €.

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