SURDITÉ
SUR LE TERRAIN
INITIATIVE
Comme les treize autres unités de ce type en France, celle de Rennes accueille et prend en charge des personnes sourdes et malentendantes. Sa philosophie est de faire de l’intermédiation et non de se substituer au patient.
Les couloirs de l’hôpital sont encore très calmes. Il est 6 h 30. Dans le hall de l’unité d’anesthésie et de chirurgie ambulatoire, au 9e étage du bloc principal de Pontchaillou, à Rennes, quatre personnes sont présentes. Deux communiquent entre elles, mais l’on entend seulement les mouvements de leur bouche. Jean-Paul Commeureuc et Morgane Robert sont sourds tous les deux. Le premier va se faire opérer de la main ; la seconde est aide-soignante. S’ils sont là, ensemble, c’est parce qu’une équipe de professionnels s’est constituée il y a dix ans à Rennes autour de cette problématique : l’accueil et la prise en charge des personnes sourdes et malentendantes. Sa mission première ? Accompagner au quotidien les patients présentant un handicap de communication en facilitant leur accès à tout type de soins et de prévention.
C’est ce que fait Morgane Robert ce matin. M.Commeureuc ne lit pas sur les lèvres. Il faut donc lui traduire ce qu’explique une première infirmière à l’entrée de la chambre où il va patienter avant d’aller au bloc. À côté ou face à lui, l’aide-soignante répond aussi à ses interrogations, sur l’anesthésie notamment. Le patient semble être en confiance. « J’ai déjà accompagné ce monsieur pour d’autres interventions », expliquera plus tard Morgane Robert, avec l’aide de l’interprète présente ce jour-là. Arrive ensuite Mélanie Vilain, infirmière à l’unité de chirurgie ambulatoire, qui doit prendre la température de la personne hospitalisée, sa tension, et s’assurer qu’elle a bien pris une douche. L’examen habituel, est mené avec une attention particulière : « J’ai tendance à parler très vite. Là, je prends garde à m’exprimer plus lentement, à effectuer plus de gestes. Dans le service, on connaît Morgane. Mais, c’est particulier, car nous travaillons dans une relation à trois, sans que la troisième personne soit de la famille, en quelque sorte. On doit donc s’assurer que le patient a bien compris les explications. Un vrai défi : en ambulatoire, on sait que seulement un tiers des informations sont retenues par un patient entendant… »
Comme à l’accoutumée, Morgane Robert accompagne son patient jusqu’au bloc. Devant le brancardier, puis devant le chirurgien, elle aide M. Commeureuc à décliner et/ou confirmer son identité et sa date de naissance. Preuve que la philosophie de son travail est bien de faire de l’intermédiation, pas de se substituer au patient, qui doit rester acteur de sa prise en charge. Encore une bonne heure à attendre dans la salle du bloc, puis il sera temps de remonter avec le patient dans sa chambre. Mission accomplie. Une action devenue presque une routine pour cette aide-soignante qui œuvre dans l’unité depuis sa création. En 2012, 592 interventions de ce type ont été menées, soit 46 patients suivis durant leur hospitalisation. En dix ans, l’unité rennaise, qui est l’une des cinq premières ouvertes en France, est devenue un interlocuteur privilégié, à la fois du public concerné et des professionnels de santé en général. « Rien qu’à l’hôpital, je suis de plus en plus sollicitée, se réjouit le Dr Isabelle Ridoux, médecin à l’origine du service, elle-même utilisatrice de la langue des signes. Par exemple, ma consœur neurologue me demande d’intervenir pour doubler la consultation quand elle reçoit une personne sourde ou malentendante. Cela signifie que, n’étant pas neurologue, je ne mène pas toute seule “l’interrogatoire” mais que j’y participe pour aider à évaluer le ressenti du patient. Donner un sens, affiner ainsi les questions posées par le spécialiste, c’est essentiel, car si l’on s’en tenait uniquement à faire intervenir une interprète, on pourrait se tromper. » Le médecin est également demandé par ses confrères de psychiatrie, en urologie, et, à l’extérieur du CHU, par la médecine scolaire et la médecine du travail. Exemples à l’appui, le Dr Ridoux illustre toutes les subtilités auxquelles il faut se confronter pour percevoir au mieux ce qu’exprime une personne non ou mal-entendante. « Si un patient accomplit ce geste, l’interprète peut traduire par : “ça aspire”. Moi, je vais savoir que le geste signifie : “ça serre”… En fait, nous nous attachons à prendre en compte la langue du patient. Elle peut être très différente selon qu’il est sourd de naissance (il sera alors confronté à une très grande difficulté d’accès aux informations) ou qu’il l’est devenu à l’âge adulte (il pourra continuer à parler et à lire) » Anne-Sophie Le Leuch, psychologue au sein de l’équipe, sourde elle-même, reçoit des personnes qui apprécient le fait de pouvoir s’adresser directement et spontanément à une professionnelle, sans devoir faire étalage d’un problème intime devant une tierce personne présente pour la traduction. « Il faut très bien connaître le phénomène de la surdité, pas uniquement la langue des signes, confirme-t-elle. Par exemple, le suivi d’un schizophrène sourd est extrêmement difficile si l’équipe qui le prend en charge n’est pas informée sur la surdité. Il faut notamment savoir qu’un tel patient peut présenter des hallucinations auditives… »
L’unité de Rennes, comme les treize autres unités de ce type qui existent actuellement en France
À travers son action multiforme, l’équipe de l’unité apporte une véritable culture de la surdité aux soignants. Quand un document type est conçu pour faciliter, via l’envoi d’une télécopie, l’alerte du Samu par une personne sourde, on améliore, d’un côté, la prise en charge concrète du public concerné, et, en même temps, on fait de la pédagogie auprès des urgentistes. Idem avec la prise en charge d’une personne obèse en nutrition. « Dans ce domaine, beaucoup d’informations écrites sont transmises au patient, note Morgane Robert. J’ai donc accompagné une personne pour m’assurer que les messages passaient. » Un épisode dont Virginie Mouazé, infirmière, se souvient parfaitement. « Pour pouvoir bénéficier de la présence de l’interprète et de l’aide-soignante sur un créneau donné, nous avions regroupé mon intervention, celles du médecin et de la diététicienne, mais nous nous sommes heurtés à l’attitude distante du patient. Il s’est avéré difficile de bien évaluer son feed-back. Dans ce genre de situation, on ne peut pas être autant dans la subtilité », estime-t-elle. D’où, sans doute, l’intérêt des journées de sensibilisation, organisées deux fois par an au sein du CHU et intégrées désormais au programme de formation continue. « Une fois sensibilisés, les soignants s’approprient la problématique », assure le Dr Isabelle Ridoux. La prochaine étape pour l’unité rennaise sera peut-être d’intégrer une infirmière sourde ou maîtrisant la langue des signes.
1- Les CHU – sauf mention contraire – de Strasbourg, Bordeaux, Paris (AP-HP et CH Sainte-Anne), Montpellier, Nancy, Toulouse, Lille (Institut catholique), Marseille (AP), Nice et Grenoble comptent une unité régionale d’accueil et de soins des patients sourds.
2- Seulement 30 % d’un message lu sur les lèvres est compris.