L'infirmière Magazine n° 329 du 15/09/2013

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

Mme P., 75 ans, 51 kg, est hospitalisée pour une double fracture bassin/omoplate suite à une chute à domicile. Cette patiente présente comme antécédents une ostéoporose avec chutes répétées et fractures multiples, une HTA, un remplacement de la valve aortique et une thrombose veineuse profonde compliquée d’une embolie pulmonaire. Son traitement habituel comporte un AVK (fluindione) et trois antihypertenseurs (amiloride, hydrochlorothizide et vérapamil). Elle présente, suite à sa chute, un état de déglobulisation avec un taux d’hémoglobine à 79 g/L.

Elle reçoit alors deux transfusions sanguines successives et de la vitamine K. La patiente a reçu un traitement anticoagulant par Lovenox (4 000 UI deux fois par jour). La fluindione sera reprise 15 jours après le début de son hospitalisation.

Elle est mise sous Venofer® deux jours plus tard. Elle reçoit trois perfusions intraveineuses rapides de 300 mg tous les deux jours. Après la seconde injection, elle présente une diarrhée importante. À la fin de la troisième administration, Mme P. fait un malaise, suivi d’une poussée de fièvre à 39 °C.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

La patiente a fait une chute sous AVK, causant un hématome à l’origine de sa déglobulisation. La vitamine K est administrée pour contrer l’effet anticoagulant de la fluindione.

Les saignements ont engendré une perte excessive de fer, engendrant une carence martiale. Mme P., âgée de 75 ans, est un sujet à risque et reçoit alors deux PGR (apportant chacun 200 mg de fer), puis trois injections de sels ferreux à la posologie de 300 mg par administration (6 mg/kg), soit, au total, une dose de fer de 1 300 mg (26 mg/kg).

Aucun dosage de la ferritinémie n’a été effectué. Or, il est impératif, avant l’administration de fer par voie intraveineuse, de confirmer biologiquement l’insuffisance de réplétion des stocks endogènes de fer par la mesure de la ferritinémie. Dans le cas de Mme P., les deux PGR, puis une supplémentation orale en fer auraient peut-être été suffisants.

De plus, l’administration en perfusion rapide (la vitesse de perfusion doit être lente) et la posologie trop élevée de fer (max 3 mg/kg/injection) ont déclenché chez cette patiente un surdosage en fer dont les signes cliniques sont malaise, diarrhée, fièvre…

Une surveillance clinique et biologique renforcée aurait sûrement permis d’éviter ce surdosage.

2. RAPPEL : LA SUPPLÉMENTATION EN FER

Le fer est un oligo-élément indispensable à la constitution de l’hémoglobine et aux transports de l’oxygène et du dioxyde de carbone dans le sang.

L’étiologie d’une carence en fer – dite carence martiale - peut être de trois ordres :

- une perte excessive (saignements chroniques) : cause la plus fréquente ;

- défaut d’absorption (maladie cœliaque, maladie de Crohn) ;

- carence d’apport (malnutrition, dénutrition).

Les sujets âgés, dénutris, dialysés, et les femmes enceintes sont des sujets particulièrement à risque. Le dosage de la ferritine (marqueur du stockage du fer) permet d’affirmer/infirmer le diagnostic.

En cas de carence avérée, un apport de sels ferreux est alors recommandé. Deux formes de supplémentation sont possibles : per os (Tardyferon en comprimé, Fumafer en poudre orale à diluer, Ferostrane en sirop…) et intraveineuse (Venofer, Ferristat, Ferinject).

Indications

Voie per os :

- Anémie par carence martiale.

- Traitement préventif de la carence martiale de la femme enceinte.

Voie intraveineuse, utilisée lorsque la voie orale est insuffisante ou mal tolérée pour le traitement :

- de l’anémie chez l’insuffisant rénal chronique dialysé ;

- des anémies aiguës en post-opératoire immédiat ;

- des anémies hyposidérémiques par carence martiale liées aux maladies inflammatoires chroniques sévères de l’intestin.

Posologie

Voie intraveineuse : la dose maximale par injection est de 3 mg/kg. Pour éviter tout risque de surdosage, il est recommandé de ne pas dépasser une dose totale de 15 mg/kg sur l’ensemble de la cure.

Voie per os : maximum 200 mg par jour.

Effets indésirables

> L’administration de fer peut provoquer des troubles gastro-intestinaux fréquents (constipations, nausées, douleurs abdominales…), une perturbation transitoire du goût (dysgueusie) avec sensation de goût métallique, et une coloration foncée des selles.

Les formes orales peuvent noircir les dents : il est recommandé d’administrer les formes orales liquides avec une paille.

Les formes injectables peuvent provoquer :

- hypotension, fièvre, frissons, et de rares réactions anaphylactiques ;

- réactions au point d’injection ;

- en cas d’extravasation : douleurs, inflammation, formation d’abcès stérile et pigmentation brune définitive de la peau.

Surdosage

Un surdosage peut causer une surcharge martiale responsable d’hémosidérose (dépôt de fer dans l’organisme se traduisant, notamment, par une coloration grise de la peau).

La symptomatologie peut comporter : nausées, vertiges, diarrhée, hypotension, malaise, tachycardie, érythème, lipothymie (sensation imminente de perte de connaissance), voire état de choc.

Ce surdosage peut être traité par un agent chélateur de fer (déféroxamine), éventuellement associé à un lavage gastrique.

Principales interactions

Il est strictement contre-indiqué d’associer du fer IV et du fer en PO : risque de lipothymie, voire de choc. Le thé en grande quantité et certains médicaments (topiques gastro-intestinaux) diminuent l’absorption intestinale du fer.

De plus, le fer diminue l’absorption de certains médicaments (diphosphonates, hormones thyroïdiennes, fluoroquinolones…). Il est donc conseillé de prendre les sels de fer à distance de ces médicaments (2 heures minimum si possible).

Mode d’administration

Par voie orale, le traitement est à prendre avec un verre d’eau, avant ou pendant un repas, pour améliorer la tolérance digestive. L’absorption faible du fer (de l’ordre de 10-20 %) est potentialisée par la vitamine C (ou acide ascorbique). Certaines spécialités contiennent à la fois du fer et de la vitamine C (Tardyferon, par exemple).

La forme injectable permet de pallier la mauvaise biodisponibilité orale du fer, mais nécessite de nombreuses précautions d’emploi. À titre d’illustration, l’administration de Venofer nécessite une dilution réalisée immédiatement avant la perfusion, exclusivement dans une solution isotonique stérile de chlorure de sodium 0,9 %, à raison de 5 ml (correspondant à 100 mg de fer) dans un maximum de 100 ml. Cette solution de fer diluée sera administrée en perfusion lente avec un débit de 3,5 ml par minute.

En raison d’un risque important d’incompatibilités physicochimiques, le fer injectable ne doit être mélangé avec aucun autre médicament injectable, en particulier avec les solutions glucosées ou les nutritions parentérales.

Précautions d’emploi et surveillance

Si l’administration de fer par voie orale ne justifie qu’une surveillance légère (suivi des effets indésirables potentiels) et quelques précautions ou conseils au patient par rapport à la prise, l’administration intraveineuse impose des précautions importantes. Il s’agit, notamment, de déceler tout signe de surdosage éventuel. (voir En pratique)

3. EN PRATIQUE

La prescription de fer n’est pas anodine, et nécessite au préalable la détermination du statut martial par dosage de la ferritinémie et la détermination de l’étiologie de la carence. Les dosages de fer sérique et de transferrine n’ont d’utilité que dans certaines situations (états inflammatoires, affections malignes ou insuffisance rénale chronique).

En raison de sa dangerosité, l’administration du fer par voie injectable est à réserver aux seuls cas où la voie per os est insuffisante ou inadaptée. Administration et précautions :

- Cette administration est effectuée après dilution dans du sérum physiologique, par voie IV stricte et en perfusion lente (certaines formes de fer sont administrables par voie IM profonde mais avec un risque de douleurs aiguës et coloration des tissus).

- La posologie ne doit pas excéder 3 mg/kg/injection. Pour éviter tout risque de surdosage, il est recommandé de ne pas dépasser une dose totale de 15 mg/kg.

- Une dose test doit être réalisée avant toute injection de fer.

- Afin d’éviter une administration périveineuse, il convient de s’assurer que l’aiguille est bien positionnée dans la veine avant de pratiquer la perfusion et d’étendre le bras du patient après la perfusion.

- Une surveillance accrue est nécessaire pendant et après la perfusion de fer, pour déceler tout risque de surdosage ou effet indésirable.

- En cas de relais de fer IV par du fer PO, un délai de cinq jours est conseillé avant la reprise d’une supplémentation per os.

VIGILANCE

La symptomatologie d’un surdosage peut comporter : nausées, vertiges, hypotension, malaise, tachycardie, érythème, voire état de choc.

Une intoxication aiguë nécessite une prise en charge urgente (lavage gastrique ou mise en place d’un chélateur de fer, la déferoxamine).